Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron. Ciceron

Toutes les Oeuvres Majeures de Cicéron - Ciceron


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; dans le pouvoir, l’abondance et la disposition des moyens indispensables pour l’exécution, ou qui la facilitent.

      Considérez ensuite les circonstances, c’est-à-dire, ce qui est plus grand, moindre, égal ou semblable. On en peut tirer des conjectures, en considérant avec attention quelle est la tournure habituelle des choses plus grandes, moindres, égales ou semblables. C’est à ce lieu qu’il faut rapporter le résultat, je veux dire ce que produit d’ordinaire chaque chose, comme la crainte, la joie, l’incertitude.

      Les conséquences forment le quatrième lieu que nous avons attribué aux choses. Elles comprennent ce qui dépend du fait, immédiatement ou non. C’est ici qu’il faut considérer quelle est la coutume, quelle est la loi, la formule d’accusation, la manière de poursuivre, l’usage ou l’habitude, l’intérêt ou la haine que l’action inspire, parce que ces moyens peuvent quelquefois conduire à des conjectures et à des soupçons.

      XIII. Il est d’autres soupçons qui naissent tout à la fois et des lieux attribués aux choses, et des lieux attribués aux personnes ; car tout ce qui concerne et la fortune, et la nature, et la manière de vivre, les goûts, les actions, les événements, les discours, les intentions, enfin le physique et le moral, font partie de tout ce qui contribue à rendre un fait probable ou incroyable, et se joignent aux conjectures.

      On doit surtout examiner dans cet état de question, d’abord si le délit est possible ; ensuite, si tout autre que l’accusé peut en être l’auteur ; puis on discute la facilité qu’il a eue de le commettre, point dont nous avons parlé plus haut ; si cette action était de nature à causer des remords, et en même temps quel espoir on avait de la cacher ; enfin la nécessité, qui montre si le fait ou les suites étaient inévitables. Presque tout ceci peut se rapporter à l’intention que nous attribuons aux personnes, comme dans la cause que nous avons établie. Cet abord familier dans la route, la conversation engagée, le choix de la même auberge, le souper commun, voilà pour les antécédents ; la nuit et le sommeil, voilà pour le fait. Le départ de l’accusé, seul, et sans compagnon de voyage ; son indifférence envers un homme avec qui il voyageait comme avec son ami, son épée ensanglantée, voilà pour les suites.

      La plupart de ces détails appartiennent à l’intention. On examine si l’accusé avait étudié avec soin et préparé toutes ses démarches, ou s’il a agi avec assez d’imprudence pour qu’on ne puisse rien soupçonner de criminel dans sa conduite. C’est alors que l’on considère s’il ne pouvait point trouver quelque voie plus commode, si ce n’est point l’ouvrage du hasard. Car là où l’argent,les secours et les complices ont manqué, il ne paraît pas qu’il y ait eu faculté d’agir. C’est ici qu’avec un peu d’attention, on verra se réunir les lieux relatifs aux choses et les lieux relatifs aux personnes.

      Il serait aussi difficile que superflu de tracer ici, comme nous l’avons fait plus haut, à l’accusateur et au défenseur, la marche que chacun doit suivre. Superflu : la question une fois posée, on verra facilement tout ce qui lui convient, si, en ne croyant pas trouver ici tous les cas prévus et développés, on met un peu d’intelligence et de soin à comparer sa cause avec les exemples donnés. Difficile : en effet, ou n aurait jamais fini de développer le pour et le contre sur chacun de ces nombreux sujets, qui se modifient suivant les circonstances. Il faut donc s’attacher à l’examen des points dont nous avons parlé.

      XIV. Pour rendre l’invention plus facile, revenez souvent et avec soin sur la narration de votre adversaire et sur la vôtre, et en formant toutes les conjectures dont chaque point est susceptible, examinez pourquoi, dans quelle intention, avec quel espoir de réussite l’action a été commise ; pourquoi de telle manière plutôt que de telle autre ; pourquoi par celui-ci plutôt que par celui-là ; pourquoi sans complices, ou avec tel complice ; pourquoi avec ou sans confidents, ou précisément avec ceux-là ; pourquoi a-t-on ou n’a-t-on pas fait telle chose avant l’action ; pourquoi celle-ci pendant l’action même ; pourquoi celle-là après ; ce qu’on a fait à dessein, ou ce qui était une suite naturelle de l’action ; si le discours est d’accord avec le fait ou conséquent en soi, si tel signe indique plutôt ceci que cela, ou l’un et l’autre, ou lequel des deux ; ce qu’on a fait d’inutile, ce qu’on n’a pas fait de nécessaire.

      Après cet examen rigoureux de toutes les parties du fait, on déploiera les lieux communs dont nous avons parlé, et qu’on tenait en réserve. Tantôt séparés, tantôt réunis, ils fourniront des arguments solides, dont les uns établiront la probabilité ; les autres, la nécessité du fait. Souvent les tortures, les témoins, les bruits publics fortifient les conjectures ; et chacune des deux parties doit, par les mêmes moyens, tâcher de les faire tourner à son avantage ; car on doit tirer des soupçons de la question, des témoins et des bruits publics, comme de la cause, de la personne, et du fait même.

      Aussi, suivant nous, c’est une erreur égale de penser que cette espèce de soupçons n’a nullement besoin d’art, ou bien de donner pour chaque genre une méthode particulière. En effet, on peut tirer des mêmes lieux toutes sortes de conjectures ; on peut suivre la même marche pour vérifier les dépositions arrachées par la torture, celles des témoins, les bruits publics, et pour remonter à leur source : et dans toute cause, si une partie des arguments tirés de la cause même y sont inhérents, et ne peuvent facilement s’adapter à toutes les causes de la même espèce, il en est d’autres qui s’appliquent d’une manière plus vague à toutes celles de la même espèce, ou même à la plupart des causes.

      XV. Ces arguments, qui conviennent à un grand nombre de causes, nous les appelons lieux communs ; car un lieu commun sert de développement à une chose douteuse ou certaine : certaine, si vous voulez, par exemple, montrer qu’un parricide est digne des plus grands supplices ; il faut, avant d’appuyer sur ce point, prouver le crime : douteuse, quand le contraire offre des raisons également probables ; par exemple : Il faut croire aux soupçons, ou bien il ne faut pas y croire. Parmi les lieux communs, les uns s’emploient pour exciter l’indignation ou la pitié, comme nous l’avons dit plus haut ; les autres, pour appuyer quelque point qui offre des raisons pour et contre.

      Ces lieux communs répandent dans le discours beaucoup d’éclat et de variété, mais si on les emploie avec mesure, et seulement quand on aura gagné l’auditeur par des preuves plus convaincantes ; car il n’est permis de traiter une question générale que lorsqu’on a développé quelque point inhérent à lu cause, et pour préparer l’auditoire à ce qui suit, ou pour le délasser, quand on a épuisé la matière. On ne peut douter, en effet, que tout ce qui orne l’élocution, tout ce qui donne de l’agrément et du poids à un discours, de la dignité au style et aux pensées, ne se rapporte aux lieux communs. Aussi les lieux communs, qui appartiennent, comme nous l’avons dit, à toutes les causes, n’appartiennent pas également à tous les orateurs ; car celui qui, par une longue habitude de la parole, n’aura pas amassé un grand fonds de pensées et d’expressions, ne pourra point leur donner les ornements et la force qu’ils exigent. Ces observations peuvent s’appliquer à tous les lieux communs en général.

      XVI. Pour revenir à la question de fait en particulier, voici les lieux communs qu’elle offre ordinairement : les soupçons, les bruits publics, les témoins, les aveux arrachés par la torture, méritent ou ne méritent pas notre confiance, selon la nature et l’intérêt de la cause, et on en donne les raisons. On peut avoir ou ne pas avoir égard à la conduite passée ; un homme déjà coupable d’un tel délit, peut être ou n’être pas capable de tel autre ; il faut s’attacher surtout aux motifs, ou ne point s’y arrêter. Ces lieux communs et tous les autres semblables,qui naissent du fond du sujet, peuvent s’employer pour et contre.

      Mais il y a des lieux propres à l’accusateur, comme celui qui exagère l’atrocité du fait, et celui qui nous défend la pitié pour les méchants. Il y en a de propres au défenseur, comme celui qui excite l’indignation en dévoilant la mauvaise foi de l’accusateur, et qui cherche par les plaintes à exciter la compassion. On suit, à l’égard de ces lieux communs et de tous les autres, les mêmes règles que pour toutes les autres espèces de raisonnements. Mais ceux-ci exigent plus d’art et de finesse, et en même temps plus de simplicité


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