En dialogue avec le monde. Andrea Franc

En dialogue avec le monde - Andrea Franc


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de conclure des contrats commerciaux avec d’autres pays. En décembre 1813, la Suisse se dote de son premier tarif douanier, essentiellement pour percevoir quelques taxes. Mais face aux contestations d’un mouvement populaire dirigé par le Directoire commercial de Saint-Gall, il ne dure que huit mois. Ce dernier refuse tout droit de douane sur le coton brut et se sent même assez fort pour affronter la concurrence des fabricants anglais. Lorsqu’à l’occasion du Congrès de Vienne en 1815, sa souveraineté est une nouvelle fois confirmée par les grandes puissances européennes, la Suisse constitue un îlot de libre-échange, de surcroît le plus moderne d’Europe. La Diète prélève, sur les fils de coton filés à la machine et les tissus uniquement, un batz douanier fixé si bas qu’il n’exerce pas d’effet de verrouillage.

      Sur le long terme, le Blocus continental pose cependant des jalons importants pour l’économie suisse. Bon an mal an, les commerçants suisses conquièrent de nouveaux débouchés hors d’Europe, à commencer par les États-Unis encore jeunes. Forte de l’orientation mondiale de son commerce extérieur, la Suisse est pendant deux siècles le pays aux plus fortes exportations par habitant en Europe et aux plus gros investissements directs hors d’Europe, en particulier aussi dans les pays du Sud. Par ailleurs, la guerre économique du Blocus donne de nouvelles impulsions à l’économie domestique et à l’industrie textile suisse. L’absence de concurrence britannique sur le marché continental favorise le développement des filatures mécaniques de coton. Entre 1808 et 1814, une vague de création d’entreprises porte leur nombre à 60 dans le canton de Zurich, 17 dans celui de Saint-Gall et 7 en Appenzell. Des entrepreneurs comme Johann Caspar Zellweger à Trogen (Appenzell) ou Hans Caspar Escher à Zurich, proches du modèle anglais, trouvent des débouchés en Allemagne, malgré les entraves au commerce imposées par la France, et réalisent des bénéfices importants dans la conjoncture de la guerre. Dans le même temps, le Blocus retarde la disparition du filage à la main.

      Après la chute de Napoléon et la levée du Blocus, des cotonnades anglaises à bas prix inondent le continent. Cela provoque en 1816/1817 une grave crise économique au sein de la Confédération qui n’est protégée par aucun droit de douane. Les guerres napoléoniennes sont terminées, mais le protectionnisme des États européens, lui, continue sans relâche, même après le Congrès de Vienne en 1815. Dans les années 1820, l’économie suisse est en piteux état. L’Allemagne, la Scandinavie et l’Italie centrale et méridionale sont les seuls pays ouverts aux exportations suisses. La disponibilité de mercenaires n’a plus guère d’importance et rend toute possibilité de pression à cet égard insignifiante. En outre, la solde relève de la compétence des cantons et les accords commerciaux de celle de la Diète fédérale.

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      Construite en 1801/02, la filature du Hard est la première en Suisse à être entièrement mécanisée, Winterthour, vers 1820.

      Le mercantilisme a certes été banni sous Napoléon, mais les puissances européennes mènent désormais des politiques protectionnistes plus modernes. Une fois de plus, elles en paient le prix sur le plan économique. En termes de volume d’échanges, la Suisse dépasse dès 1820 l’Espagne, la grande puissance coloniale du début des temps modernes, tout comme la Belgique et l’Autriche. Et elle est, après l’Angleterre, leader de la filature mécanique du coton. En 1827, le canton de Zurich compte à lui seul plus d’une centaine de filatures employant quelque 5000 ouvriers. L’expérience du Blocus continental marque l’économie suisse qui s’affirme comme un acteur planétaire et se forge un esprit politique empreint de scepticisme à l’égard des grandes puissances européennes. Par ailleurs, pays d’accueil des penseurs français en exil, la Suisse devient un creuset des idées libérales. Le concept du citoyen libre et de ses vertus est inextricablement lié à celui de l’entrepreneur et de l’économie de marché. Après les années 1830, l’industrie suisse d’exportation se trouve pourtant confrontée à un renouveau du protectionnisme. Venant de l’Union douanière allemande (Zollverein), celui-ci s’étend rapidement et inclut bientôt les royaumes et principautés du sud de l’Allemagne. La Suisse septentrionale notamment perd ainsi un débouché essentiel. L’existence même de son économie est menacée. Mais au lieu d’adhérer à la « Zollverein », les forces libérales exigent la création d’un espace économique fédéral pour compenser les désavantages causés.

      Noyau de penseurs européens réunis autour de Germaine de Staël, son animatrice et inspiratrice, le groupe de Coppet développe et cultive des idées libérales au château de Coppet en Suisse. Le bâtiment appartient au banquier genevois et père de Mme de Staël, Jacques Necker, qui l’a acquis en 1784. À Paris, le Genevois s’est élevé au rang de directeur du Trésor royal de Louis XVI. Necker rend public en février 1781 l’état des finances et la menace d’une banqueroute de la France. En 1804, Napoléon bannit de Paris la fille de Necker à cause de ses écrits dans lesquelles elle dénonce tant le système monarchique que la domination des jacobins. Germaine de Staël se retire au château de Coppet. Au temps de Napoléon, elle y accueille des exilés français et penseurs suisses célèbres, dont Benjamin Constant et Jean de Sismondi. Constant publie les traités politiques « Sur la possibilité d’une constitution républicaine » (1803) et « Principes de politiques » (1806), qui préconisent un État constitutionnel à système parlementaire et la libre entreprise. Selon Constant, qui a connu la Terreur jacobine après la Révolution française, le libéralisme est menacé par ses propres valeurs. Attribuer le droit de vote et d’élection aux masses pauvres et incultes constitue à ses yeux un danger pour le régime libéral. Il rédige les bases de la philosophie d’État moderne en faveur du suffrage censitaire, connu depuis l’Antiquité et pratiqué sous des formes diverses par les cantons avant 1848.

      Le triomphe du libéralisme (1830–1869)

      Les bases de la prospérité

      L’une des rares études internationales sur l’histoire de la Suisse est intitulée «The Triumph of Liberalism» (Le triomphe du libéralisme). L’Américain Gordon A. Craig, historien et professeur à l’université de Stanford, y décrit surtout le rôle de Zurich comme moteur de la modernisation économique, politique et culturelle de la Suisse, mais aussi de toute l’Europe. Selon lui, la Suisse aurait servi de modèle et de laboratoire pour la construction libérale des États européens. Les «libre-échangistes» britanniques prennent eux aussi la Suisse comme modèle. Dans les pays voisins de la Suisse, des révolutions – de nouveau violentes – éclatent vers 1830, et les citoyens réclament des États-nations modernes. Pendant ce temps, la méfiance des commerçants suisses à l’égard des voisins européens, datant du Blocus continental, ne faiblit pas. Ils continuent de se concentrer sur les marchés extra-européens du monde entier. Par ailleurs, la souveraineté politique de chaque canton et l’absence d’une administration centrale empêchent toute velléité d’expansion impériale de la Suisse. Elle demeure ainsi l’un des rares pays d’Europe sans colonie dans des pays du Sud.

      Au XIXe siècle, les troubles politiques dans les pays voisins continuent d’alimenter un afflux incessant de réfugiés politiques, économiques et culturels en Suisse. Selon l’écrivain Gottfried Keller, l’on entend alors, en se promenant dans Zurich, un mélange de langues tel que nous le connaissons au XXIe siècle. Ces réfugiés européens jouent un rôle essentiel pour le maintien et le développement de l’industrie suisse. Parmi eux figure le pharmacien Heinrich Nestle de Francfort qui, après des activités politiques délicates avec sa corporation d’étudiants, part en compagnonnage et s’installe dans les années 1830 à Vevey, où il modifie son nom en Henri Nestlé. Employé dans une pharmacie à Vevey, il réalise des expériences dans son propre petit laboratoire. Après avoir développé divers produits et subi plus d’un échec, il commercialise enfin la «Farine Lactée Henri Nestlé». Ce lait en poudre pour nourrissons jette les bases du groupe Nestlé, entreprise alimentaire suisse toujours


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