Le Montonéro. Aimard Gustave

Le Montonéro - Aimard Gustave


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n'est pas possible! fit l'abbesse avec horreur.

      – Cet homme avait, je ne sais comment, surpris quelques mots, en Europe, de ce secret que mon aïeul croyait si bien gardé. Son but, en s'introduisant dans notre maison, était de découvrir le reste de ce secret, afin de nous voler notre fortune. Pendant le temps qu'il demeura à la chacra, plusieurs fois il essaya, par des questions adroites, d'apprendre les détails qu'il ignorait; questions adressées tantôt à mon grand-père, tantôt à mon père, jeune homme alors. Enfin, le rapt odieux qu'il commit ne provint pas d'un amour poussé jusqu'à la folie, ainsi que vous pourriez le supposer, il aurait demandé à mon grand-père la main de sa fille que celui-ci la lui aurait accordée; non, il n'aimait pas doña Laura.

      – Alors, interrompit l'abbesse, pourquoi l'a-t-il enlevé.

      – Pourquoi, dites-vous?

      – Oui.

      – Parce qu'il croyait qu'elle possédait ce secret qu'il voulait à tout prix découvrir; voilà, madame, le seul motif de ce crime.

      – Mais ce que vous me dites-là est infâme, señor, s'écria l'abbesse; cet homme était un démon.

      – Non, madame, c'était un malheureux dévoré de la soif des richesses et qui à tout prix voulait les posséder, dût-il pour cela porter le déshonneur et la honte dans une famille et marcher sur des monceaux de cadavres.

      – Oh! fit-elle en cachant sa tête dans ses mains.

      – Maintenant, madame, voulez-vous savoir le nom de cet homme, reprit-il avec amertume; mais c'est inutile, n'est-ce pas? Car vous l'avez déjà deviné sans doute.

      L'abbesse hocha affirmativement la tête sans répondre.

      Il y eut un assez long silence.

      – Mais pourquoi rendre des innocents, dit enfin l'abbesse, responsables des crimes commis par d'autres?

      – Parce que; madame, héritier de la haine paternelle, après vingt ans, il y a quinze jours seulement que j'ai retrouvé une trace que je croyais à jamais perdue; que le nom de notre ennemi a comme un coup de foudre éclaté subitement à mon oreille et que j'ai à demander à cet homme un compte sanglant de l'honneur de ma famille.

      – Ainsi, pour satisfaire une vengeance qui pourrait être juste si elle s'adressait au véritable coupable, vous seriez assez cruel?

      – Je ne sais encore ce que je ferai, madame. Ma tête est en feu, la fureur m'égare, interrompit-il avec violence, cet homme nous a volé notre bonheur, je veux lui enlever le sien, mais je ne serai pas lâche comme il l'a été, lui; il saura d'où part le coup qui le frappe, c'est entre nous une guerre de bêtes fauves.

      En ce moment la porte de la seconde chambre s'ouvrit brusquement, et la marquise parut, calme et imposante.

      – Guerre de bêtes fauves, soit, caballero, dit-elle, je l'accepte.

      Le jeune homme se leva brusquement, et foudroyant la supérieure d'un regard de mépris écrasant:

      – Ah! On nous écoutait, dit-il avec ironie; eh bien, tant mieux, je le préfère ainsi; cette trahison indigne m'évite une explication nouvelle; vous connaissez, madame, les motifs de la haine que je porte à votre mari; je n'ai rien de plus à vous apprendre.

      – Mon mari est un noble caballero qui, s'il était présent, flétrirait d'un démenti, ainsi que je le fais moi-même, le tissu d'odieux mensonges dont vous n'avez pas craint de l'accuser devant une personne, ajouta-t-elle en jetant un regard de douloureuse pitié à la supérieure, qui n'aurait peut-être pas dû ajouter une foi si crédule à cette effroyable histoire, dont la fausseté est trop facile à prouver, pour qu'il soit nécessaire de la réfuter.

      – Soit, madame; cette insulte venant de vous ne peut me toucher, vous êtes naturellement la dernière personne à qui votre mari aurait confié cet horrible secret; mais, quoi qu'il arrive, un temps viendra, et ce temps est proche, je l'espère, où la vérité se fera jour, et où le criminel sera démasqué devant tous.

      – Il y a des hommes, señor, que la calomnie, si bien ourdie qu'elle soit, ne saurait atteindre, répondit-elle avec mépris.

      – Brisons là, madame; toute discussion entre nous ne servirait qu'à nous aigrir davantage l'un contre l'autre, je vous répète que je ne suis pas votre ennemi.

      – Mais qu'êtes-vous donc alors, et pour quel motif avez-vous raconté cette horrible histoire?

      – Si vous aviez eu la patience de m'écouter quelques minutes de plus, madame, vous l'auriez appris.

      – Qui vous empêche de me le dire maintenant que nous sommes face à face?

      – Je vous le dirai si vous l'exigez, madame, reprit-il froidement, j'aurais cependant préféré qu'une autre personne qui vous fût plus sympathique que moi se chargeât de ce soin.

      – Non, non, monsieur, je suis Portugaise aussi, moi, et lorsqu'il s'agit de l'honneur de mon nom, j'ai pour principe de traiter moi-même.

      – Comme il vous plaira, madame; je venais vous faire une proposition.

      – Une proposition, à moi? fit-elle avec hauteur.

      – Oui, madame.

      – Laquelle? Soyez bref, s'il vous plaît.

      – Je venais vous demander de me donner votre parole de ne pas quitter cette ville sans mon autorisation, et de ne pas essayer de donner de vos nouvelles à votre mari.

      – Ah! Et si je vous avais fait cette promesse?

      – Alors, madame, je vous aurais, moi, en retour, fait décharger de l'accusation qui pèse sur vous, et je vous aurais immédiatement fait obtenir votre liberté.

      – Liberté d'être prisonnière dans une ville au lieu de l'être dans un couvent, dit-elle avec ironie; vous êtes généreux, señor.

      – Mais vous n'auriez pas comparu devant un conseil de guerre.

      – C'est vrai; j'oubliais que vous et les vôtres vous faites la guerre aux femmes, aux femmes surtout: vous êtes si braves, seigneurs révolutionnaires!

      Le jeune homme demeura froid devant cette sanglante injure; il s'inclina respectueusement.

      – J'attends votre réponse, madame, dit-il.

      – Quelle réponse? reprit-elle avec dédain.

      – Celle qu'il vous plaira de faire à la proposition que j'ai eu l'honneur de vous adresser.

      La marquise demeura un instant silencieuse, puis, relevant la tête et faisant un pas en avant:

      – Caballero, reprit-elle d'une voix fière, accepter la proposition que vous me faites, serait admettre la possibilité de la véracité de l'accusation odieuse que vous osez porter contre mon mari; or, cette possibilité je ne l'admets pas; l'honneur de mon mari est le mien, il est de mon devoir de le défendre.

      – Je m'attendais à cette réponse, madame, bien qu'elle m'afflige plus que vous ne le pouvez supposer. Vous avez bien réfléchi, sans doute, à toutes les conséquences de ce refus?

      – A toutes, oui, señor.

      – Elles peuvent être terribles.

      – Je le sais et je les subirai.

      – Vous n'êtes pas seule, madame, vous avez une fille.

      – Monsieur, répondit-elle avec un accent de suprême hauteur, ma fille sait trop bien ce qu'elle doit à l'honneur de sa maison pour hésiter à lui faire, s'il le faut, le sacrifice de sa vie.

      – Oh! Madame.

      – N'essayez pas de m'effrayer, señor, vous ne sauriez y réussir! Ma détermination est prise, je n'en changerai pas, quand même je verrais l'échafaud dressé devant moi; les hommes se trompent, s'ils croient seuls posséder le privilège du courage; il est bon que, de temps en temps, une femme leur montre qu'elles aussi savent mourir pour leurs convictions. Trêve donc, je vous prie, à de plus longues prières, señor,


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