Le Montonéro. Aimard Gustave

Le Montonéro - Aimard Gustave


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veillé, répondit-elle vivement, veillé du soir au matin et du matin au soir.

      – Et vous n'avez rien découvert?

      – Rien.

      – Tant pis, fit le chef froidement, tant pis pour vous, ma sœur, car si vous êtes si peu clairvoyante, ce n'est pas cette fois encore que vous quitterez votre poste de tourière pour un emploi supérieur dans le couvent ou un plus élevé encore dans celui des Bernardines.

      La tourière tressaillit; ses petits yeux gris laissèrent échapper une flamme sinistre.

      – Je n'ai rien découvert, c'est vrai, dit-elle avec un rire sec et nerveux comme le cri d'une hyène, mais je soupçonne, bientôt je découvrirai; seulement je suis surveillée et l'occasion me manque.

      – Ah! Et que découvrirez-vous? demanda-t-il avec un intérêt mal dissimulé.

      – Je découvrirai, reprit-elle en appuyant avec affectation sur chaque syllabe, tout ce que vous voulez savoir et plus encore. Mes mesures sont prises maintenant.

      – Ah! Ah! fit-il, et quand cela, s'il vous plaît?

      – Avant deux jours.

      – Vous me le promettez.

      – Sur ma part de paradis!

      – Je compte sur votre parole.

      – Comptez-y; mais vous?

      – Moi?

      – Oui.

      – Je tiendrai les promesses que je vous ai faites.

      – Toutes?

      – Toutes.

      – C'est bien; ne vous inquiétez plus de rien; mais donnant, donnant?

      – C'est convenu.

      – Maintenant, venez, on vous attend; cette longue station pourrait éveiller les soupçons, plus que jamais il me faut agir avec prudence.

      Ils se remirent en marche. Au moment où ils entraient dans le premier cloître, une forme noire se détacha d'un angle obscur dans lequel, jusque-là, elle était demeurée confondue au milieu des ténèbres, et, après avoir fait un geste de menace à la tourière, elle parut s'évanouir comme une apparition fantastique, tant elle s'envola rapidement à travers les corridors.

      Arrivée à la porte de la cellule de la supérieure, la tourière frappa doucement deux coups sans recevoir de réponse; elle attendit un instant, puis recommença.

      Adelante, répondit-on alors de l'intérieur.

      Elle ouvrit et annonça l'étranger.

      Priez ce seigneur d'entrer, il est le bienvenu, répondit l'abbesse.

      La tourière s'effaça, le général entra, puis, sur un geste de la supérieure, la tourière se retira en refermant la porte derrière elle.

      La supérieure était seule assise dans son grand fauteuil abbatial; elle tenait ouvert à la main un livre d'heures qu'elle semblait lire.

      A l'entrée du jeune homme, elle inclina légèrement la tête et d'un geste lui indiqua un siège.

      – Pardonnez-moi, madame, dit-il en la saluant respectueusement, de venir troubler d'une façon aussi malencontreuse vos pieuses méditations.

      – Vous êtes, dites-vous, señor caballero, envoyé vers moi par le gouverneur de la ville; en cette qualité, mon devoir est de vous recevoir à quelque heure qu'il vous plaise de venir, reprit-elle d'un ton de froide politesse. Vous n'avez donc pas d'excuses à me faire, mais seulement à m'expliquer le sujet de cette mission dont le motif m'échappe.

      – Je vais avoir l'honneur de m'expliquer, ainsi que vous m'y engagez si gracieusement, madame, répondit-il avec un sourire contraint, en prenant le siège qui lui était désigné.

      La conversation avait commencé sur un ton de politesse aigre-doux qui établissait complètement la situation dans laquelle chacun des deux interlocuteurs voulait demeurer vis-à-vis de l'autre, pendant toute la durée de l'entretien.

      Il y eut un silence de deux ou trois minutes: le montonero tournait, retournait son chapeau entre ses mains d'un air dépité; l'abbesse, tout en feignant de lire attentivement le livre qu'elle n'avait pas quitté, jetait à la dérobée des regards railleurs sur l'officier.

      Ce fut lui qui, comprenant combien son silence pouvait paraître singulier, reprit la parole avec une aisance trop soulignée pour être naturelle.

      – Señora, j'ignore quel motif cause le déplaisir que vous semblez éprouver de me voir, veuillez me le faire connaître et agréer, avant tout, mes humbles et respectueuses excuses pour le trouble que vous occasionne, à mon grand regret, ma présence.

      – Vous vous méprenez, caballero, répondit-elle, sur le sens que j'attache à mes paroles; je n'éprouve aucun trouble, croyez-le bien, de votre présence; seulement, je suis contrariée d'être contrainte par le bon plaisir des personnes qui nous gouvernent, de recevoir, sans y être préparée à l'avance, la visite d'envoyés fort recommandables sans doute, mais dont la place devrait être partout ailleurs que dans la cellule de la supérieure d'un couvent de femmes.

      – Cette observation est parfaitement juste, madame, il n'a pas tenu à moi qu'il n'en fût pas ainsi; malheureusement c'est, quant à présent, une nécessité qu'il vous faut subir.

      – Aussi, reprit-elle avec une certaine aigreur, vous voyez que je la subis.

      – Vous la subissez, oui, madame, reprit-il d'un ton insinuant, mais en vous plaignant, parce que vous confondez vos amis avec vos ennemis.

      – Moi, señor, vous faites erreur sans doute, dit-elle avec componction, vous ne réfléchissez pas à ce que je suis. Quels ennemis ou quels amis puis-je avoir, moi, pauvre femme retirée du monde et vouée au service de Dieu?

      – Vous vous trompez, ou bien ce qui est plus probable, excusez-moi, je vous en prie, madame, vous ne voulez pas me comprendre.

      – Peut-être aussi est-ce un peu de votre faute, señor, reprit-elle avec une légère teinte d'ironie, et cela tient-il à l'obscurité dont vos paroles sont enveloppées, à votre insu sans doute.

      Don Zéno réprima un geste d'impatience.

      – Voyons, madame, fit-il au bout d'un instant, soyons francs, le voulez-vous?

      – Je ne demande pas mieux pour ma part, señor.

      – Vous avez ici deux prisonnières?

      – J'ai deux dames que je n'ai reçues dans l'intérieur de cette maison, que sur l'injonction et le commandement exprès du gouverneur de la ville; est-ce de ces deux dames dont vous parlez, señor?

      – Oui, señora, d'elles-mêmes.

      – Fort bien; elles sont ici, j'ai même des ordres très sévères à leur sujet.

      – Je le sais.

      – Ces dames n'ont rien que je sache à voir dans cet entretien?

      – Au contraire, madame, car c'est d'elles seules qu'il s'agit; c'est pour elles seules que je me suis présenté ici.

      – Très bien, señor, continuez, je vous écoute.

      – Ces dames ont été faites prisonnières par moi, et par moi aussi conduites dans cette ville.

      – Vous pourriez même ajouter dans ce couvent, señor; mais continuez.

      – Vous supposez à tort, madame, que je suis l'ennemi de ces malheureuses femmes; nul, au contraire, ne s'intéresse plus que moi à leur sort.

      – Ah! fit-elle avec ironie.

      – Vous ne me croyez pas, madame; en effet, les apparences me condamnent.

      – En attendant que vous fassiez condamner ces malheureuses dames; n'est-ce pas, caballero?

      – Señora! s'écria-t-il avec violence, mais, se contraignant aussitôt, pardonnez-moi cet


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