Le Montonéro. Aimard Gustave

Le Montonéro - Aimard Gustave


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vous remercie, monsieur. Me permettez-vous de vous adresser une question encore?

      – Parlez, madame. En venant ici, je me suis mis entièrement a vos ordres.

      – Êtes-vous riche?

      Le peintre rougit; ses sourcils se froncèrent.

      La marquise s'en aperçut.

      – Oh! Vous ne me comprenez pas, monsieur, s'écria-t-elle vivement; loin de moi la pensée de vous offrir une récompense. Le service que vous consentez à nous rendre est un de ceux que nul trésor ne saurait payer et que le cœur peut seul acquitter.

      – Madame, murmura-t-il.

      – Permettez-moi d'achever. Nous sommes associés maintenant, fit-elle avec un charmant sourire; or, dans une association, chacun doit prendre sa part des charges communes. Un projet comme le nôtre a besoin d'être conduit avec adresse et célérité, une misérable question d'argent peut en faire manquer la réussite ou en retarder l'exécution: voilà dans quel sens je vous ai parlé et pourquoi je vous répète ma phrase; Êtes-vous riche?

      – Dans toute autre position que celle où, le sort m'a momentanément placé, je vous répondrais: Oui, madame, parce que je suis artiste, que mes goûts sont simples et que je vis de presque rien, ne trouvant de joies et de bonheur que dans les surprises toujours nouvelles que me procure l'art que je cultive et que j'aime follement; mais en ce moment, dans la situation périlleuse où vous et moi nous nous trouvons, où il faut entreprendre une lutte désespérée contre toute une population, je dois être franc avec vous, vous avouer que l'argent, ce nerf de la guerre, me manque presque complètement; vous répondre, en un mot, que je suis pauvre.

      – Tant mieux fit la marquise avec un mouvement de joie.

      – Ma foi, reprit-il gaiement, je ne m'en suis jamais plaint, c'est aujourd'hui seulement que je commence à regretter cette richesse dont je me suis toujours si peu soucié, car elle m'aurait facilité les moyens de vous être utile; mais nous tâcherons de nous en passer.

      – Qu'à cela ne tienne, monsieur. Dans cette affaire, vous apportez le courage, le dévouement, laissez-moi vous apporter, cette richesse qui vous manque.

      – Ma foi, madame, répondit l'artiste, puisque vous posez aussi franchement la question, je ne vois pas pourquoi j'obéirais, en vous refusant, à une susceptibilité ridicule, parfaitement hors de saison, puisque ce sont surtout vos intérêts qui sont en jeu dans cette affaire; j'accepte donc l'argent dont vous jugerez convenable de disposer; bien entendu que je vous en tiendrai compte.

      – Pardon, monsieur, ce n'est pas un prêt que je prétends vous faire, c'est ma part que j'apporte à notre association, voilà tout.

      – Je l'entends ainsi, madame; seulement si je dépense votre argent, encore faut-il que vous sachiez de quelle façon.

      – A la bonne heure, fit la marquise en se dirigeant vers un meuble dont elle ouvrit un tiroir d'où elle retira une bourse assez longue, au travers des mailles de laquelle on voyait briller une quantité considérable d'onces.

      Après avoir refermé avec soin le tiroir, elle présenta la bourse au jeune homme.

      – Il y a là deux cent cinquante once1 en or, dit-elle, j'espère que cette somme suffira; cependant, si elle était insuffisante, avertissez-moi, j'en mettrai immédiatement une plus forte encore à votre disposition.

      – Oh! Oh! Madame, j'espère non seulement que cela suffira, mais encore que j'aurai à vous remettre une partie de cette somme, répondit-il en prenant respectueusement la bourse et la plaçant avec soin dans sa ceinture; j'ai, à présent, une restitution à vous faire.

      – A moi, monsieur?

      – Oui, madame, fit-il en retirant l'anneau, qu'il avait passé à son petit doigt, cette bague.

      – C'est moi, qui l'avais enveloppée dans la lettre, dit vivement la jeune fille avec une étourderie charmante.

      Le jeune homme s'inclina tout interdit.

      – Gardez cette bague, monsieur, répondit en souriant la marquise; ma fille serait désolée de vous la reprendre.

      – Oh! Oui! fit-elle toute rougissante.

      – Je la garderai donc, dit-il, avec une joie secrète, et changeant subitement de conversation, je ne viendrai plus qu'une fois, mesdames, dit-il, afin de ne pas éveiller les soupçons; ce sera pour vous avertir que tout est prêt; seulement, tous les jours, à la même heure, je passerai devant cette maison; lorsque le soir, au retour de ma promenade, vous me verrez tenir une fleur de suchil à la main ou une rose blanche, ce sera un indice que nos affaires vont bien; si, au contraire, j'ôte mon chapeau et je fais le geste de m'essuyer le

      – Nous avons trop d'intérêt à avoir de la mémoire, dit la marquise; soyez sans crainte, nous n'oublierons rien.

      – Maintenant, plus un mot sur ce sujet, et donnez votre leçon de musique, dit l'abbesse en ouvrant une méthode et la remettant au jeune homme.

      Le peintre s'assit près d'une table entre les deux dames, et commença à leur expliquer, tant bien que mal, les mystères des noires, des blanches, des croches et des doubles croches.

      Lorsque, quelques minutes plus tard la tourière entra, son regard de serpent, en glissant entre ses paupières à demi closes, aperçut les trois personnes très sérieusement occupées en apparence à approfondir la valeur des notes et les différences de la clef de fa avec la clef de sol.

      – Ma sainte mère, dit hypocritement la tourière, un cavalier, se disant envoyé par le gouverneur de la ville, réclame de vous la faveur d'un entretien.

      – C'est bien ma sœur. Quand vous aurez reconduit ce señor, vous introduirez ce caballero en ma présence; priez-le de patienter quelques minutes.

      Le peintre se leva, salua respectueusement les dames et sortit à la suite de la tourière. Derrière lui la porte de la cellule se referma.

      Sans prononcer une parole, la tourière le guida à travers les corridors, que déjà il avait parcourus, jusqu'à la porte du couvent, devant laquelle plusieurs cavaliers enveloppés de longs manteaux étaient arrêtés à la stupéfaction générale des voisins, qui n'en croyaient pas leurs yeux, et s'étaient placés sur le seuil de leurs portes afin de les mieux voir.

      Le peintre, grâce à son apparence de vieillard, à sa petite toux sèche et à sa démarche cassée, passa au milieu d'eux sans attirer leur attention, et s'éloigna dans la direction de la rivière.

      La tourière fit signe à un des cavaliers qu'elle était prête à le guider auprès de la supérieure. Dans le mouvement que fut obligé de faire ce cavalier pour mettre pied à terre, son manteau se dérangea légèrement.

      Juste au même instant, le peintre, arrivé à une certaine distance, se retourna pour jeter un dernier regard sur le couvent.

      Il réprima un geste d'effroi en reconnaissant le cavalier dont nous parlons.

      – Zéno Cabral! murmura-t-il. Que vient faire cet homme dans le couvent?

      IV

      L'ENTREVUE

      Le peintre français ne s'était pas trompé: c'était bien, en effet, Zéno Cabral, le chef montonero, qu'il avait vu entrer dans le couvent.

      La tourière marchait d'un pas pressé, sans détourner la tête devant le jeune homme qui, de son côté, semblait plongé dans de sombres et pénibles réflexions.

      Ils allèrent ainsi, pendant assez longtemps, à travers les corridors sans échanger une parole, mais au moment où ils atteignirent l'entrée du premier cloître, le chef s'arrêta et touchant légèrement le bras de sa conductrice:

      – Eh bien? lui dit-il à voix basse.

      Celle-ci se retourna vivement, jeta un regard scrutateur autour d'elle puis, rassurée sans doute par la solitude au centre de laquelle elle se trouvait, elle répondit sur le même ton bas et étouffé,


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21,250 francs de notre monnaie. front, alors priez Dieu, mesdames, parce que de nouveaux embarras se seront dressés devant moi. En dernier lieu, si vous me voyez effeuiller la fleur que je tiendrai à la main, vous devrez faire en toute hâte vos préparatifs de départ: le jour même de ma visite nous quitterons la ville. Vous souviendrez-vous de toutes ces recommandations?