Le Montonéro. Aimard Gustave

Le Montonéro - Aimard Gustave


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déjà trop, murmura le jeune homme.

      – Un serviteur dévoué, répondit sérieusement l'Indien qui avait entendu l'aparté du peintre, doit tout connaître, afin, lorsque l'heure sonne où son assistance est nécessaire, d'être en mesure de venir en aide à son maître.

      Il arriva alors à l'artiste ce qui arrive à la plupart des hommes en semblable circonstance. Voyant qu'il n'y avait pas moyen de faire autrement, il se décida à accorder sa confiance entière à l'Indien, et il lui avoua tout avec la plus grande franchise, franchise dont le Guaranis n'aurait pas eu à s'applaudir s'il en avait connu les motifs. Bien qu'il ne se l'avouât pas complètement à lui-même le peintre n'agissait que sous la pression de la nécessité et, reconnaissant l'inutilité de cacher la moindre chose à un serviteur si clairvoyant, il préférait se mettre de son plein gré complètement entre ses mains, espérant que cette façon d'agir l'engagerait à ne pas le trahir; il avait eu un instant la pensée de lui brûler la cervelle, mais, réfléchissant combien ce moyen était scabreux, surtout dans sa position, il préféra essayer de la douceur et d'une franchise feinte.

      Heureusement pour lui, le peintre avait affaire à un homme honnête et réellement dévoué; ce qui, vis-à-vis de tout autre l'aurait probablement perdu, fut ce qui le sauva.

      Tyro avait longtemps mené la vie des gauchos, chassé dans la pampa et exploré le désert dans toutes les directions; il connaissait à fond toutes les ruses indiennes: rien ne lui était plus facile que de servir de guide à son maître pour le conduire soit au Haut-Pérou, soit à Buenos Aires, soit au Chili, soit même au Brésil.

      Lorsque la confiance fut bien établie entre les deux hommes, ce que le Français avait fait d'abord avec une feinte franchise, il ne tarda pas à s'y laisser aller avec toute la naïve droiture de son caractère, heureux de rencontrer dans ce pays, où tout le monde lui était hostile, un homme qui lui témoignât de la sympathie, dût cette sympathie être plus apparente que réelle. Il fut le premier à demander sérieusement conseil à son serviteur.

      – Voici, ce qu'il faut faire, dit celui-ci: dans cette maison, tout m'est suspect; elle est remplie d'espions; feignez de vous mettre en colère contre moi et de me renvoyer. Demain, à l'heure de votre promenade habituelle, je me trouverai sur votre passage, et nous conviendrons de tout. Notre conversation a duré trop longtemps déjà, maître; les soupçons sont éveillés; je vais descendre comme si j'avais été rudoyé par vous. Suivez-moi jusqu'à l'entrée de l'appartement en parlant haut et en me disant des injures; puis, au bout d'un instant, vous descendrez et vous me congédierez devant tout le monde. Surtout, maître, ajouta-t-il en appuyant avec intention sur ces dernières paroles, soyez muet jusqu'à demain avec les habitants de cette maison; qu'ils ne soupçonnent pas notre entente, sinon, croyez-moi, vous êtes perdu.

      Sur ces derniers mots, l'Indien se retira en appuyant le doigt sur sa bouche.

      Tout se passa ainsi que cela avait été convenu entre le maître et le serviteur.

      Tyro fut immédiatement chassé de la maison, dont il sortit en grommelant, et Émile remonta dans son appartement, laissant tous les peones stupéfaits et confondus d'une scène à laquelle ils ne s'attendaient nullement de la part d'un homme qu'ils étaient accoutumés à voir ordinairement si doux et si tolérant.

      Le lendemain, à la même heure que chaque jour, le peintre sortit pour sa promenade habituelle, en ayant soin, tout en feignant la plus complète indifférence de se retourner de temps en temps pour s'assurer qu'il n'était pas suivi. Mais cette précaution était inutile, nul ne songeait à surveiller sa promenade, tant on la savait inoffensive.

      Arrivé sur le bord de la rivière, à quelques centaines de pas de la ville, un homme, embusqué derrière un rocher, se présenta subitement à lui.

      Le jeune homme étouffa un cri de surprise; il avait reconnu Tyro, le serviteur guaranis, congédié par lui la veille, suivant leur mutuelle convention.

      III

      LES RECLUSES

      A peu près à l'instant, où la demi-heure après dix heures du matin sonnait à l'horloge du Cabildo de San Miguel de Tucumán, un homme frappait à la porte de la mystérieuse maison du Callejón de las Cruces.

      Cet individu, vêtu à peu près comme les riches artisans de la ville, était un homme d'une taille moyenne, courbé légèrement par l'âge; quelques rares cheveux gris s'échappaient sous les ailes de son chapeau de paille; il portait de larges lunettes bleues à tiges de fer, et s'appuyait sur une canne; du reste, son apparence était fort respectable, le pantalon de drap olive très propre et le poncho de fabrique chilienne qui recouvrait ses vêtements supérieurs ne laissaient rien à désirer.

      Au bout de quelques minutes, un judas, glissa dans une rainure, et une tête de vieille femme apparut derrière.

      – Qui êtes-vous? Et que demandez-vous ici, señor? dit une voix.

      – Señora, répondit le vieillard en toussant légèrement, excusez ma hardiesse, j'ai entendu dire que l'on avait dans cette maison besoin d'un professeur de musique; si je me suis trompé, il ne me reste qu'à me retirer en vous priant encore une fois d'agréer mes excuses.

      Pendant que le vieillard disait ces quelques paroles du ton le plus naturel et le plus dégagé en apparence, la femme placée derrière le judas l'examinait avec la plus sérieuse attention.

      – Attendez, répondit-elle au bout d'un instant.

      Le judas se referma.

      – Hum! murmura à voix basse le professeur; la place est bien gardée.

      Un bruit de verrous qu'on tire et de chaînes qu'on détache se fit entendre, et la porte s'entr'ouvrit tout juste assez pour livrer passage à une personne.

      – Entrez, dit alors d'un ton rogue la femme qui s'était d'abord montrée au judas et qui paraissait être la portière ou la tourière de cette espèce de couvent.

      Le vieillard entra lentement, son chapeau à la main et en saluant bien bas.

      La vue de son crâne chauve, couvert seulement par places de quelques rares touffes de cheveux d'un gris roussâtre, parut donner confiance à la tourière.

      – Suivez-moi, lui dit-elle d'une voix moins acariâtre, et remettez votre chapeau, ces corridors sont froids et humides.

      Le vieillard s'inclina, replaça son chapeau sur sa tête, et, appuyé sur son bâton, il suivit la tourière de ce pas un peu traînant particulier aux personnes qui ont dépassé de quelques années le milieu de la vie.

      La tourière lui fit traverser de longs corridors qui semblaient tourner sur eux-mêmes et qui donnaient enfin dans un cloître assez spacieux, dont le centre était occupé par un massif de lauriers-roses et d'orangers, du milieu duquel jaillissait une gerbe d'eau, qui retombait avec fracas dans une vasque de marbre blanc.

      Les murs de ce cloître, sur lequel s'ouvraient les portes d'une trentaine de cellules, étaient garnis d'une infinité de tableaux d'une exécution assez médiocre, représentant les divers épisodes de la vie de Nuestra Señora de la Soledad ou de Tucumán.

      Le vieillard ne jeta qu'un regard dédaigneux à ces peintures à demi effacées par les intempéries des saisons, et continua à suivre la tourière qui trottinait devant lui en faisant résonner, à chaque pas, le lourd trousseau de clefs, suspendu à sa ceinture.

      Au bout de ce cloître, il y en avait un autre en tout semblable au premier, seulement les tableaux représentaient des sujets différents, la vie je crois de Santa Rosa de Lima.

      Arrivée presque à la moitié de la longueur de ce cloître, la tourière s'arrêta, et, après avoir respiré avec force pendant quelques minutes, elle frappa discrètement deux coups légers à une porte en chêne noir, curieusement sculptée.

      Presque aussitôt une voix douce et harmonieuse prononça de l'intérieur de la cellule ce seul mot:

      – Adelante.

      La tourière ouvrit la porte et disparut, après avoir, d'un signe, ordonné au vieillard de l'attendre.

      Quelques


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