Le Montonéro. Aimard Gustave

Le Montonéro - Aimard Gustave


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causons sérieusement.

      – Causons sérieusement, je ne demande pas mieux, madame, répondit le peintre; à ce propos, je me permettrai de vous rappeler la phrase que vous-même avez prononcée: le temps presse.

      – C'est juste, vous êtes sans doute étonné de me voir, moi, supérieure d'une maison, presque d'un couvent, à qui l'on a confié la garde de deux prisonnières d'importance, entrer dans un complot dont le but est de les faire évader.

      – En effet, murmura-t-il en s'inclinant, cela me paraît assez singulier.

      – J'ai pour cela plusieurs motifs et votre étonnement cessera, lorsque vous saurez que je suis Espagnole et fort peu sympathique à la révolution faite par les habitants de ce pays pour en chasser mes compatriotes, à qui il appartient par toutes les lois divines et humaines.

      – Cela me paraît assez logique.

      – De plus, dans mon opinion, un couvent n'est pas et ne peut sous aucun prétexte être métamorphosé en prison; ensuite les femmes doivent toujours être placées en dehors de la politique et être laissées libres d'agir à leur fantaisie; pour tout dire enfin, la marquise de Castelmelhor est une ancienne amie de ma famille; j'aime sa fille comme une sœur, et je veux les sauver à tout prix, dût ma vie payer la leur.

      Les deux dames se jetèrent dans les bras de l'abbesse, en l'accablant de caresses et de remerciements.

      – Bon, bon, reprit-elle, en les écartant doucement, laissez-moi faire, j'ai juré de vous sauver et je vous sauverai, quoiqu'il arrive, chères belles; il ferait beau voir, ajouta-t-elle en souriant, que trois femmes aidées par un Français, ne fussent pas assez fines pour tromper ces hommes jaunes, qui ont fait cette malencontreuse révolution, et qui se croient les aigles d'intelligence et des foudres de guerre.

      – Plus je réfléchis à cette entreprise et plus j'en redoute pour vous les conséquences je tremble, car ces hommes sont sans pitié, murmura tristement la marquise.

      – Poltronne! fit gaiement la supérieure, n'avons-nous pas ce caballero avec nous?

      – Avec vous, mesdames, jusqu'au dernier soupir, s'écria-t-il, emporté malgré lui par l'émotion qu'il éprouvait.

      La vérité était que la beauté de doña Eva, jointe au romanesque de la situation, avait complètement subjugué l'artiste; il avait tout oublié et n'éprouvait plus qu'un désir, celui de se sacrifier pour le salut de ces femmes si belles et si malheureuses.

      – Je savais bien que je ne pouvais me tromper, s'écria l'abbesse en lui tendant une main, sur laquelle le peintre appliqua respectueusement ses lèvres.

      – Oui, mesdames, reprit-il, Dieu m'est témoin que tout ce qu'il est humainement possible de faire pour assurer voire fuite je le tenterai, mais vous ne vous êtes sans doute adressées à moi qu'après avoir combiné un plan; ce plan il est indispensable que vous me le fassiez connaître.

      – Mon Dieu, monsieur, répondit la marquise, ce plan est bien simple, tel seulement que des femmes sont capables d'en élaborer un.

      – Je suis tout oreilles, madame.

      – Nous n'avons aucune accointance dans cette ville, où nous sommes étrangères et où, sans en savoir le motif, il paraît que nous avons beaucoup d'ennemis, sans compter un seul ami.

      – Cela est à peu près ma position aussi à moi, dit le jeune homme en hochant la tête.

      – A vous, monsieur! fit-elle avec surprise.

      – Oui, oui, à moi, madame; mais continuez, je vous en prie.

      – Notre bonne supérieure ne peut faire qu'une seule chose pour nous, mais cette chose est immense: c'est de nous ouvrir la porte de ce couvent.

      – C'est beaucoup, en effet.

      – Malheureusement, de l'autre côté de cette porte, son pouvoir cesse complètement, et elle est contrainte de nous abandonner à nous-mêmes.

      – Hélas! Oui, fit la supérieure.

      – Hmm! murmura le peintre comme un écho.

      – Vous comprenez combien notre position serait critique, errant seules à l'aventure dans une ville qui nous est complètement inconnue.

      – Alors, vous avez songé à moi.

      – Oui, monsieur, répondit-elle simplement.

      – Et vous avez bien fait, madame, répondit le peintre en s'animant; je suis peut-être le seul homme incapable de vous trahir dans toute la ville.

      – Merci pour ma mère et pour moi, monsieur, murmura doucement la jeune fille qui, jusqu'à ce moment, avait gardé le silence.

      Le peintre eut un éblouissement, les accents si suavement plaintifs de cette voix harmonieuse avaient fait tressaillir son cœur dans sa poitrine.

      – Malheureusement, je suis bien faible moi-même pour vous protéger, mesdames, reprit-il; je suis seul, étranger, suspect, plus que suspect même, puisque je suis menacé d'être mis prochainement en jugement.

      – Oh! firent-elles en joignant les mains avec douleur, nous sommes perdues alors.

      – Mon Dieu! s'écria l'abbesse, nous avons mis tout notre espoir en vous.

      – Attendez, reprit-il, tout n'est peut-être pas aussi désespéré que nous le supposons; de mon côté je prépare un plan d'évasion, je ne puis vous offrir qu'une chose.

      – Laquelle? s'écrièrent-elles vivement.

      – C'est de partager ma fuite.

      – Oh! De grand cœur, s'écria la jeune fille en frappant ses mains avec joie l'une contre l'autre.

      Puis, honteuse de s'être ainsi laissé aller à un mouvement irréfléchi, elle baissa les yeux et cacha dans le sein de sa mère son charmant visage inondé de larmes.

      – Ma fille vous a répondu pour elle et pour moi, monsieur, dit noblement la marquise.

      – Je vous remercie de cette confiance dont je saurai me rendre digne, madame; seulement, il me faut quelques jours pour tout préparer; je n'ai avec moi qu'un homme auquel je puisse me fier, je dois agir avec la plus grande prudence.

      – C'est juste, monsieur, mais qu'entendez-vous par quelques jours?

      – Trois au moins, quatre au plus.

      – C'est bien, nous attendrons; maintenant pouvez-vous nous expliquer quel est le plan que vous avez adopté?

      – Je ne le connais pas moi-même, madame. Je me trouve dans un pays qui m'est totalement inconnu, et dans lequel je manque naturellement de la plus vulgaire expérience; je me laisse diriger par le serviteur dont j'ai eu l'honneur de vous parler.

      – Êtes-vous bien sûr de cet homme? monsieur; pardon de vous dire cela, mais vous le savez, un mot nous perdrait.

      – Je suis aussi sûr de la personne en question qu'un homme peut répondre d'un autre. C'est lui qui m'a fourni les moyens de me présenter devant vous sans éveiller les soupçons; je compte, non seulement sur son dévouement, mais encore sur sa finesse, sur son courage et surtout sur son expérience.

      – Est-ce un Espagnol, un étranger ou un métis?

      – Il n'appartient à aucune des catégories que vous avez citées, madame; c'est tout simplement un Indien guaranis auquel j'ai été assez heureux pour rendre quelques légers services, et qui m'a voué une reconnaissance éternelle.

      – Vous avez raison, monsieur; vous pouvez, en effet, compter sur cet homme; les Indiens sont braves et fidèles; lorsqu'ils se dévouent, c'est jusqu'à la mort. Pardonnez-moi toutes ces questions, qui, sans doute, doivent vous paraître assez extraordinaires de ma part, mais vous le savez, il ne s'agit pas de moi seulement dans cette affaire, il s'agit aussi de ma fille, de ma pauvre enfant chérie.

      – Je trouve fort naturel, madame, que vous désiriez être complètement édifiée sur mes projets pour notre commun salut; soyez bien


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