Le Montonéro. Aimard Gustave

Le Montonéro - Aimard Gustave


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tant besoin de protection! Allons, le ciel n'est pas juste de laisser ainsi, sans rime ni raison, tourmenter à tout bout de champ un brave garçon qui ne soupire qu'après la tranquillité.

      Il se leva et commença à marcher à grands pas dans sa chambre.

      – Cependant, ajouta-t-il au bout d'un instant, ces dames sont dans une position effroyable, je ne puis les abandonner ainsi sans essayer de leur venir en aide, mon honneur y est engagé, un Français, malgré lui, représente la France en pays étranger. Mais que faire?

      Il s'assit de nouveau et parut se plonger dans une sérieuse rêverie; enfin, au bout d'un quart d'heure à peu près; il se releva:

      – C'est cela, dit-il, je ne vois que ce moyen si je ne réussis pas, je n'aurai rien à me reprocher, car j'aurai fait plus même que ma situation actuelle et surtout la prudence devraient me permettre de tenter.

      Émile avait évidemment pris une résolution.

      Il ouvrit la porte et descendit dans le patio.

      Il faisait presque nuit, les peones, débarrassés de leurs travaux plus ou moins bien accomplis, se délassaient, à demi couchés sur des petates, fumant, riant et causant entre eux.

      Le peintre n'eut pas besoin de chercher longtemps pour découvrir ses domestiques au milieu des vingt ou vingt-cinq individus groupés pêle-mêle sur les petates.

      Il fit signe à l'un d'eux de le venir trouver chez lui, et il remonta aussitôt dans sa chambre.

      L'Indien, au signe de son maître, s'était aussitôt levé et mis en devoir de lui obéir.

      C'était un Indien guaranis, très jeune encore, il paraissait être âgé tout au plus de vingt-quatre à vingt-cinq ans, aux traits beaux, fins et intelligents, à la taille haute, à l'apparence robuste et aux manières libres et dégagées.

      Il portait le costume des gauchos de la pampa et se nommait Tyro.

      A l'appel de son maître, il avait jeté sa cigarette, ramassé son chapeau, relevé son poncho et s'était élancé vers l'escalier avec une vivacité de bon augure.

      Le peintre aimait beaucoup ce jeune homme qui, bien que d'un caractère assez taciturne, comme tous ses congénères, semblait cependant lui porter de son côté une certaine affection.

      Arrivé à la chambre à coucher, il ne dépassa pas la porte, mais, s'arrêtant sur le seuil, il salua respectueusement et attendit qu'il plût à son maître de lui adresser la parole.

      – Entre et ferme la porte derrière toi, lui dit le peintre d'un ton amical, nous avons à causer de choses importantes.

      – Secrètes, maître? répondit l'Indien.

      – Oui.

      – Alors, avec votre permission, maître, je laisserai au contraire la porte ouverte.

      – Pourquoi donc ce caprice?

      – Ce n'est pas un caprice, maître, tous ces cuartos sont rendus sourds par les petates qui recouvrent leur sol, un espion peut, sans être entendu, venir coller son oreille contre la porte et entendre tout ce que nous dirions, d'autant plus facilement que nous-mêmes, absorbés par notre propre conversation, nous n'aurions pas été avertis de sa présence au lieu que si toutes les portes demeurent ouvertes, personne n'entrera sans que nous le voyons, et nous ne risquerons pas d'être espionnés.

      – Ce que tu me fais observer là est assez sensé, mon bon Tyro, laisse donc les portes ouvertes; cette précaution ne saurait nuire, bien que je ne croie pas aux espions.

      – Est-ce que le maître ne croit pas à la nuit, répondit l'Indien avec un geste emphatique; l'espion est comme la nuit, il aime se glisser dans les ténèbres.

      – Soit, je ne discuterai pas avec toi; venons au motif qui m'a fait t'appeler.

      – J'écoute, maître.

      – Tyro, avant tout, réponds-moi franchement à la question que je vais t'adresser.

      – Que le maître parle.

      – Remarque bien que je ne t'en voudrai pas de ta franchise; fais surtout bien attention à la forme de ma question, afin d'y répondre en connaissance de cause; es-tu pour moi seulement un bon domestique, accomplissant strictement tes devoirs, ou bien un serviteur dévoué, sur lequel j'ai droit de compter à toute heure.

      – Un serviteur dévoué, maître, un frère; un fils, un ami; vous avez guéri ma mère d'une maladie qui semblait incurable; quand vous avez acheté le rancho, au lieu de nous chasser elle et moi, vous avez conservé à la vieille femme son cuarto, sa huerta et son troupeau; moi, vous m'avez traité en homme, ne me commandant jamais avec rudesse et ne m'obligeant jamais à faire des choses honteuses ou déshonorantes, bien que je sois Indien; vous m'avez toujours considéré comme un être intelligent, et non pas comme un animal qui n'a que l'instinct. Je vous le répète, maître, je vous suis dévoué en tout et pour tout.

      – Merci, Tyro, répondit le peintre avec une nuance d'émotion, je soupçonnais déjà ce que tu viens de me dire, mais je tenais à t'entendre me l'affirmer, car j'ai besoin de toi.

      – Je suis prêt, que faut-il faire?

      Malgré la franchise de cet aveu, le peintre français, peu au courant encore du caractère de ces races primitives, ne se souciait nullement de mettre l'Indien complètement dans la confidence de ses secrets.

      Le trop de civilisation rend défiant.

      Le Guaranis s'aperçut facilement de l'hésitation de l'artiste qui, peu habitué à dissimuler, laissait son visage refléter, comme un miroir, ses émotions intérieures.

      – Le maître n'a rien à apprendre à Tyro, dit-il avec un sourire; l'Indien sait tout.

      – Comment! s'écria le jeune homme avec un bond de surprise, tu sais tout?

      – Oui, fit-il simplement.

      – Pardieu! reprit-il, pour la rareté du fait, je ne serais pas fâché que tu m'apprisses ce tout dont tu parles si délibérément.

      – C'est facile: que le maître écoute.

      Alors, à la stupéfaction extrême du jeune homme, Tyro lui rapporta, sans omettre le plus léger détail, tout ce qu'il avait fait depuis son arrivée à San Miguel de Tucumán.

      Cependant, peu à peu, Émile, par un effort de volonté extrême, parvint à reconquérir son sang-froid en réfléchissant et en reconnaissant avec une joie intérieure, que ce récit, si complet du reste, avait une lacune, lacune importante pour lui: il s'arrêtait au matin même, Tyro ignorait donc l'aventure du Callejón de las Cruces.

      Cependant craignant que cette lacune ne provint que d'un oubli, il résolut de s'en assurer.

      – C'est bien, lui dit-il, tout ce que tu me rapportes est exact, mais tu oublies de me parler de mes promenades à travers la ville.

      – Oh! Quant à cela, répondit l'Indien avec un sourire, il est inutile de s'en occuper, le maître passe tout son temps à rêver en regardant le ciel et à se promener en gesticulant; on a reconnu au bout de deux jours que ce n'était pas la peine de le suivre.

      – Diable! On me suivait donc, je ne savais pas avoir des amis qui me portassent un si grand intérêt.

      Un sourire équivoque se dessina sur les lèvres spirituelles de l'Indien, mais il ne répondit pas.

      – Tu connais sans doute la personne qui m'espionnait ainsi?

      – Je la connais, oui, maître.

      – Tu me diras son nom alors?

      – Je le dirai, quand il sera temps de le faire, mais ce n'est qu'un instrument; d'ailleurs, si cette personne vous espionnait pour le compte d'un autre, moi, maître, je la surveillais pour le vôtre, et ce qu'elle a pu rapporter n'est que de peu d'importance; moi seul possède vos secrets, ainsi vous pouvez être tranquille.

      – Comment tu possèdes mes secrets, s'écria le peintre, jeté de nouveau


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