Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes - Boulenger Jacques


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      Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes

      INTRODUCTION

      Organisation générale du parti protestant. Les assemblées politiques. Les assemblées ecclésiastiques. Celles-ci maintiennent l’unité du parti. Importance du consistoire.

      Plan de ce mémoire.

      Sources.

      On a déjà étudié la situation sociale des protestants avant et après l’édit de Nantes. M. Paul de Felice publie un ouvrage dans lequel il nous renseigne sur leur culte, la vie de leurs pasteurs, le fonctionnement de leurs assemblées et leur pédagogie1. Mais l’inconvénient de ce livre est de s’étendre sur un plan trop vaste. L’évolution du parti protestant n’y est pas nettement marquée, faute de précision, et le mot «autrefois» remplace trop souvent la date exacte que l’on souhaiterait.

      En outre, comment se comportait le gouvernement communal dans les villes huguenotes? Quels étaient les rapports des réformés avec les catholiques? Est-il juste de dire que les protestants formaient un État dans l’État? On pourra élucider ces questions lorsqu’un certain nombre de monographies auront fait bien connaître l’organisation du parti réformé dans les différentes provinces de France. C’est dans l’espoir de contribuer à ce résultat que l’on s’est proposé d’étudier ici la situation sociale et religieuse des calvinistes dans le colloque de Nîmes.

       Organisation générale du parti.– En 1594, les protestants, réunis à Sainte-Foy, réorganisaient leur parti comme il l’était avant l’avènement de Henri IV. Le règlement politique qu’ils adoptèrent les mettait peut-être à part du reste des Français, mais on n’avait pas alors ce patriotisme dont la dernière forme apparut sous la Révolution, et le reste des Français voulait massacrer, brûler ou pour le moins convertir les protestants. En outre, depuis l’avènement de Henri IV, cinq années s’étaient écoulées sans que les huguenots pussent rien obtenir de leur ancien chef que des promesses, d’ailleurs vagues2. Ils commençaient à se détromper sur son compte: tant qu’il fut roi de Navarre et héritier présomptif, il réclama avec eux la liberté du culte3; mais, devenu roi de France, il lui parut que les idées conservatrices étaient les bonnes et les protestants des rebelles; il voulait «vivre en réalité, jouir enfin, et se reposer4». Aussi ne se soucia-t-il plus de brouiller ses affaires avec le pape et de s’aliéner la majorité catholique de ses sujets. Les huguenots s’en aperçurent et crurent bon de se réorganiser: c’est alors qu’ils adoptèrent le fameux règlement de Sainte-Foy qui fut revisé à Saumur (1595) et à Loudun (1596).

      Ils se divisaient en neuf provinces dont chacune avait: 1o un conseil provincial permanent de cinq ou sept membres; 2o une assemblée composée de trois députés par colloque qui se tenait une fois l’an. En outre une assemblée générale, composée de deux députés pour chaque province, plus un pour La Rochelle, devait s’occuper des affaires générales du parti5.

      A côté de ces assemblées politiques, ils conservaient leur ancien système d’assemblées ecclésiastiques. La France était divisée en Provinces qui se composaient d’un certain nombre d’églises dressées6, gouvernées chacune par une assemblée élue nommée Consistoire et desservie par un ou plusieurs pasteurs. Dans chaque province, les églises se groupaient en Colloques; et, dans chacun de ces colloques, une assemblée, composée des députés de toutes les églises et nommée pareillement Colloque, jugeait en premier appel les causes déjà examinées par les consistoires et réglait les différends des églises entre elles. On pouvait appeler des décisions du colloque au Synode provincial formé des députés de tous les consistoires de la province. Et enfin, en dernier ressort, on recourait au Synode national composé par les députés des synodes provinciaux de France.

      Toutes ces assemblées ecclésiastiques devaient faire appliquer la Discipline, et les assemblées politiques avaient à diriger la conduite politique du parti. Il semble au premier abord que celles-ci soient plus intéressantes que les premières. Mais, au point de vue un peu spécial de cette étude, cela n’est pas exact.

      Je souhaiterais, en effet, de montrer l’état intime du parti. Comment vivaient les huguenots d’une ville comme Nîmes, par exemple? Quels étaient leurs rapports avec les autorités, à une époque où la loi ne fixait pas nettement leurs droits ni leurs devoirs? Comment se comportaient-ils à l’égard des catholiques?

      Nous verrons que les protestants s’étaient organisés en république: dans chaque petite localité il y avait un consistoire qui gouvernait les habitants et, par suite, la ville quand les huguenots y étaient en majorité et pouvaient y élire des consuls de leur religion. Le laboureur de Saint-Gilles7 ou de Calvisson8 entendait peut-être parler des grandes négociations engagées par l’assemblée générale avec le roi en vue d’obtenir un édit qui réglerait sa situation, mais il s’intéressait davantage à l’élection de son consistoire, à la maladie de son pasteur, ou au moyen de ne pas payer sa «quotisation pour l’entretenement de l’église9».

      Et il faudrait précisément savoir si le laboureur respecte le consistoire et paye sa taxe. Car s’il n’est pas attaché à ce consistoire, s’il ne craint pas son autorité, toutes les autres assemblées qui reposent sur celle-là vont se trouver «en l’air», séparées de la nation, impopulaires, et s’il ne paye pas, le parti va se trouver privé d’argent et de vie.

      C’est le consistoire, avec les assemblées ecclésiastiques placées au-dessus de lui, qui forme, si je peux dire, le cadre du parti. La décadence ou l’accroissement de son influence sera le signe de la puissance ou de la faiblesse des protestants. Si le «fidèle» respecte la Discipline rigoureuse, qui soumet ses moindres actes au contrôle du consistoire, les assemblées politiques pourront alors faire leurs conditions au roi, certaines d’avoir derrière elles un peuple enrégimenté et tout prêt à les soutenir. Elles simplifient l’existence du parti en obtenant pour lui des conditions meilleures, mais les consistoires assurent sa vie.

      Remarquons maintenant que leur pouvoir sur les fidèles pourrait donner aux consistoires une importance funeste à l’unité du parti, si les colloques et les synodes n’étaient pas là pour leur rappeler qu’ils ne sont que des membres du grand corps protestant, et les mettre en communication les uns avec les autres. Leur initiative, en effet, n’est pas nulle, mais toujours soumise au contrôle des assemblées supérieures, et aucune de leurs décisions n’a de valeur absolue, puisqu’on peut toujours en faire appel au colloque, puis au synode.

      Cette parfaite subordination des assemblées les unes aux autres donne aux protestants une cohésion, une unité qui font la force de leur parti, à condition que le contact de la minorité dirigeante des assemblées avec la foule des fidèles soit maintenu, c’est-à-dire que l’autorité du consistoire sur le peuple soit absolue.

      Plan.– Les deux premiers chapitres seront consacrés à étudier les ministres et le fonctionnement du consistoire. M. Paul de Felice a déjà traité cette question, d’une manière générale, dans ses deux volumes sur les Pasteurs et les Assemblées ecclésiastiques, aussi me contenterai-je de rapporter des détails nouveaux et propres à faire connaître l’état intérieur du parti à Nîmes.

      Pour exister, pasteurs et assemblées ont besoin d’argent. Il faut en obtenir des fidèles: le consistoire lève des impôts (Chapitre III). S’il devient impopulaire, s’il n’est pas respecté, si son influence sur les fidèles diminue, ceux-ci commenceront par ne pas payer leurs taxes, et les assemblées ne pourront plus avoir lieu, les pasteurs ne pourront plus vivre: ce sera la fin du parti10.

      Mais au contraire, le consistoire possède une autorité dont nous n’avons pas idée (Chapitre IV). Il fait respecter et applique rigoureusement la Discipline, recueil de décisions des synodes qui lui donne le droit de contrôler tous les actes de la vie de ses administrés. Un homme, par exemple, rapporte-t-il que M. X. a juré dans sa


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<p>1</p>

Les protestants d’autrefois, v. ci-dessous la Bibliographie.

<p>2</p>

Anquez, Hist. des Assemblées politiques, pp. 68 et suiv., 93 et suiv.

<p>3</p>

Il adressa aux États de Blois un mémoire où il établissait que la France ne serait complètement pacifiée que le jour où catholiques et protestants posséderaient les mêmes immunités (Anquez, op. cit., p. 85).

<p>4</p>

Michelet, Hist. de France, t. X, p. 191.

<p>5</p>

Anquez, op. cit., pp. 62-67.

<p>6</p>

«Ce que le synode [de Montpellier, en mai 1598] appelle dresser ou former une église ne veut pas dire établir un exercice dans un lieu où il n’eût jamais, ou y recevoir un ministre par imposition des mains, où y nommer un consistoire dont il n’y eût pas une ombre auparavant. Mais c’est y rendre perpétuel et ordinaire ce qui ne s’y étoit fait que provisionellemment et par intervalles; y donner en propre un ministre qui n’y avoit servi que par occasion ou par emprunt; y assujettir les anciens à une discipline réglée; y ranger les familles par quartiers sous la direction de l’ancien qui en devoit prendre soin; déclarer à quelle classe ou colloque l’église appartiendroit et lui donner rang entre celles de la province: choses qui avoient accoutumé de se régler de vive voix et d’être mises en pratique sans autre loy que la conformité de l’usage reçu dans les églises du même synode. C’est porquoy on écrivoit fort rarement des actes de ces établissemens.» (E. Benoist, Hist. de l’éd. de Nantes, t. I, p. 258).

<p>7</p>

Arr. Nîmes, chef-lieu de canton.

<p>8</p>

Arr. Nîmes, canton Sommières.

<p>9</p>

Chaque ministre était à la charge de l’église qu’il desservait; v. ci-dessous, chap. I et III.

<p>10</p>

Les sommes que le roi leur avait promises ne leur furent pas payées; voy. l’appendice A sur les Deniers du roi.