Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes - Boulenger Jacques


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de Nîmes subissent son influence directe, et même prennent ses ordres. Ainsi le consistoire possède une autorité politique effective à côté de son autorité morale (Chapitre V).

      Voici donc les protestants parfaitement organisés et disciplinés. Au-dessus des fidèles et les gouvernant, le consistoire, dont l’autorité et l’influence familières sont considérables, et qui se trouve rigoureusement subordonné au colloque et au synode. Maintenant quels sont les rapports de cette petite société protestante, ainsi constituée, avec les catholiques? Elle les opprime, car elle est la plus forte, de même que les catholiques le sont presque partout ailleurs. L’exercice du culte romain est autant que possible empêché; les papistes eux-mêmes sont écartés des emplois publics et soumis à toute une série de mesures vexatoires que prend contre eux la municipalité de Nîmes (Chapitre VI). Mais ils ne renoncent pas à la lutte et, entre prêtres et pasteurs, se livre une guerre de sermons, de pamphlets, d’influences, dont le but est de provoquer des conversions (Chapitre VII).

      Il ressort de tout cela que les huguenots de Nîmes, à qui leur nombre assurait la prépondérance, vivaient tranquillement en république, sous leurs consuls et leurs magistrats dirigés eux-mêmes par le consistoire. Ils ne souhaitaient nullement qu’un nouvel édit vînt changer quelque chose à leur état. Aussi, lorsqu’il fut question de l’édit de Nantes, bien loin de seconder les négociations de l’assemblée générale, ils montrèrent une mauvaise volonté que celle-ci, plus tard, leur reprocha. Leurs intérêts, en effet, se trouvaient opposés à ceux des réformés de presque tout le reste de la France: à Nîmes et dans son colloque, c’étaient les catholiques qui souhaitaient l’édit de Nantes pour replacer leur religion au premier rang, tandis que les protestants s’efforçaient d’en empêcher les effets, comme l’exigeait l’intérêt particulier de leur petit État.

       Sources.– J’ai tiré la plus grande partie de ce mémoire des registres de délibérations du consistoire de Nîmes, conservés aux archives de ce consistoire12, où j’ai pu travailler en 1899 et 1900 grâce à l’obligeance de M. le pasteur Fabre. Ces registres renferment tous les renseignements sur la vie privée des protestants.

      Les actes des synodes provinciaux de 1596 à 1609 se trouvent aussi dans ces mêmes archives13: il en existe une copie faite par M. le pasteur Auzière à la Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme français. Cette copie est préparée pour l’impression et il est dommage qu’elle ne soit pas publiée. J’en ai collationné sur le registre original une certaine partie dont on trouvera des extraits dans les pièces justificatives. Je n’y ai point relevé d’erreurs, ce qui n’a rien d’étonnant puisque M. Auzière, pour en avoir copié plusieurs registres in-folio, possédait mieux que personne cette difficile écriture.

      Enfin, le consistoire de Nîmes renfermait une pleine armoire de documents non classés, que j’ai dépouillés, et où j’ai vu beaucoup de pièces concernant le duc de Rohan, mais fort peu intéressant mon sujet.

      Aux archives départementales du Gard, j’ai trouvé plusieurs cahiers de remontrances des catholiques ou des protestants sur l’application de l’édit de Nantes; j’ai parcouru aussi un certain nombre de registres de notaires14 qui m’ont fourni de bons renseignements sur l’état des personnes.

      Les archives communales de Nîmes renferment un registre des délibérations consulaires qui va de 1599 à 1604. Le précédent est malheureusement perdu.

      Celles d’Aigues-Mortes se trouvaient en 1899 dans de fort belles armoires, mais dans un grand désordre.

      Dans la série TT des Archives nationales, j’ai eu sous les yeux tout ce qui intéressait le colloque de Nîmes, et les actes des États de Languedoc (H1 74810 1109).

      A la Bibliothèque nationale, j’ai dépouillé notamment les lettres du duc de Ventadour (franç. 3225, 3337, 3550, 3562, 3575, 3586, 3589) et du connétable Henri de Montmorency (franç. 3549, 3550, 3559, 3561, 3570, 16061), les actes des assemblées (Brienne 208, 209, 219, 221; franç. 15814, 15815, 15816), et un certain nombre d’autres manuscrits, notamment, les franç. 20870, Dupuy 62, 63, etc.

      Enfin, la Bibliothèque de la Société de l’histoire du protestantisme m’a fourni la copie Auzière dont j’ai parlé; des inventaires manuscrits d’archives protestantes, communales ou particulières, de Bas-Languedoc, faits par M. Teissier; et des analyses des dires par écrit avec pièces et notes à l’appui de Peiremales, l’un des commissaires députés par Louis XIV pour exécuter l’édit de Nantes, qui ont pour auteur le même M. Teissier. L’original s’en trouve aux archives de la Cour d’appel de Nîmes (9e division, no 50): je n’en ai tiré que peu de choses15.

      I

      LES PASTEURS

      Leurs fonctions.

      Leur entretien: Contrats d’engagement. Gages en espèces. Gages en nature. Avantages matériels. Pauvreté. Pension de retraite. «Assistance» des veuves et des orphelins.

      Petit nombre des pasteurs. Difficulté d’acquérir un pasteur «perpétuel». Dissensions entre les églises à ce sujet.

      Les «proposants». Contrats d’engagement. Leurs études. Leurs prérogatives. Leur entretien. Exemples: Jean Terond, Mardochée Suffren.

      Conclusion: De l’influence des pasteurs.

      Chaque église du colloque de Nîmes16 avait à sa tête un consistoire et un ou plusieurs pasteurs. Il est nécessaire de bien connaître les pouvoirs et les droits de cette assemblée et de ces ministres pour se rendre compte de l’influence qu’ils pouvaient exercer sur le peuple.

      Étudions en premier lieu les pasteurs.

      Tout d’abord, qu’avaient-ils à faire? Je ne m’étendrai pas longtemps sur ce point, car les obligations du ministère sont réglées par la Discipline17 et, étant officielles, elles se trouvent les mêmes dans le colloque de Nîmes qu’ailleurs. En outre, M. P. de Felice les a étudiées18.

      Les ministres avaient comme fonction principale la prédication. Ils devaient exposer un livre entier de la Bible, et non, comme aujourd’hui, en développer un passage19.

      Encore fallait-il qu’ils fussent fort circonspects et qu’ils se gardassent d’alléguer des passages d’Origène «et autre faulx docteurs», car ils prêchaient devant un public averti, et les fidèles ne manquaient pas de se plaindre au consistoire si le pasteur avait à leur avis erré sur des points de doctrine20. C’est ainsi qu’un marchand, le sieur Péladan, reprochait au ministre Venturin d’avoir dit en chaire «que le feu d’enfer estoyt ung feu qui consume tout, ung feu consumant21». Ce fait témoigne de la forte instruction théologique que le peuple avait alors; il nous aide à comprendre comment les controverses scolastiques, insupportables pour nous, auxquelles se livraient en public pasteurs et prêtres, pouvaient déterminer des conversions22.

      A Nîmes il y avait un service religieux complet tous les jours23, c’est-à-dire prêche et prières publiques. Le dimanche, en 1600, on prêchait à 5 heures et à 8 heures du matin; puis les «après-dynées», on faisait encore deux prêches: l’un au petit-temple et l’autre à l’audience présidiale24, ce qui scandalisait fort les catholiques25. Et trois pasteurs seulement se partageaient tous ces sermons26.

      Outre ces prédications, les ministres devaient faire le catéchisme aux


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<p>12</p>

Sous la cote B, 90; j’ai vu le tome VI et surtout le t. VII qui va de 1595 à 1602.

<p>13</p>

Sous la cote A, 10: «Livre des actes des synodes provinciaux despuis aoust 1596 jusques en l’année 1609.» Le registre comprend le synode de Montpellier (21 août 1596), de Sauve (7 mai 1597), de Montpellier (20 mai 1598), de Saint-Germain de Calberte (12 mai 1598), de Nîmes, par députés (5 août 1599), d’Uzès (15 mars 1600), de Nîmes (7 mai 1601), d’Alais (17 avril 1602), d’Uzès (15 avril 1603), etc.

<p>14</p>

M. Puech (Une ville au temps jadis ou Nîmes à la fin du XVIe siècle) a dépouillé entièrement tous les registres de notaires. Malheureusement, les notes de son livre sont trop rares et trop peu précises.

<p>15</p>

Je désigne par les initiales B. P. F. la Bibliothèque de la Société de l’histoire du Protestantisme français, par les initiales B. N. la Bibliothèque nationale, par les mots Arch. du consist. les archives du consistoire de Nîmes.

<p>16</p>

Il est impossible d’exposer la situation matérielle et d’étudier l’influence des pasteurs de Nîmes, sans parler en même temps des autres pasteurs du colloque. L’histoire de l’église de Nîmes est intimement liée à celle des églises qui dépendaient d’elle. Pour savoir, par exemple, si les salaires de ses ministres étaient élevés relativement, ou faibles, il faut bien qu’on les compare avec ceux qui étaient alloués aux pasteurs des autres églises. C’est pourquoi, dans le cours des chapitres suivants, nous rapprocherons l’église de Nîmes de ses voisines toutes les fois que cela devra nous permettre d’apprécier plus exactement son état d’esprit, ses ressources, etc.

<p>17</p>

Discipline, chap. I, art. 12 et suiv.

<p>18</p>

Protestants d’autrefois, 2e série, chap. II, pp. 30 et suiv.

<p>19</p>

P. de Felice, op. cit., 2e série, p. 33.

<p>20</p>

C’est le droit strict des fidèles de «venir se plaindre contre leurs pasteurs aux consistoires» (Cf. syn. prov. de Nîmes, séance du 13 mars 1600; B. P. F., copie Auzière).

<p>21</p>

Délib. du consist. de Nîmes du 8 mars 1600 (Arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 332).

<p>22</p>

V. pour ces controverses, ci-dessous, chap. VII.

<p>23</p>

P. de Felice, op. cit., 1re série, p. 96.

<p>24</p>

Délib. du consist. du 19 mai 1600 (loc. cit., fo 350).

<p>25</p>

Ils s’en plaignent aux commissaires exécuteurs de l’édit de Nantes, sur leurs cahiers de remontrances, art. 19 (Arch. du Gard, G, 446). Le choix de la cour présidiale remontait sans doute à 1597 (Délib. du consist. des 23 octobre 1596 et 29 octobre 1597; loc. cit., fos 133 et 197).

<p>26</p>

Voy. l’appendice B sur les Pasteurs de Nîmes.