Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes - Boulenger Jacques


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ils devaient inspecter aussi, en compagnie d’anciens, les pauvres de l’hôpital et des prisons29.

      Telles sont en quelques mots les obligations des ministres de Nîmes. Si l’on songe qu’ils pouvaient avoir, en dehors de leurs prêches, leurs catéchismes, leurs visites, à répondre aux pamphlets et aux défis des controversistes catholiques30, on trouvera comme nous qu’ils gagnaient bien la pension que l’église leur allouait.

      Leurs occupations ne leur permettaient pas d’exercer des fonctions profanes. La Discipline leur interdit même la médecine et la jurisprudence31. Leur entretien était donc à la charge de leur «troupeau».

      Le synode provincial de Sauve en 1597 engage les églises à donner aux pasteurs une somme suffisant à leur entretien et à celui de leur famille et propre à leur assurer «la liberté et le repos d’esprit» qui leur sont nécessaires pour vaquer à leur charge32. Ces gages fixes étaient de beaucoup la partie la plus importante de leur revenu. Il n’y avait pas en effet de casuel: «Les actes pastoraux sont tous gratuits33». D’autre part, on ne peut pas compter parmi les revenus des pasteurs les sommes que le roi leur avait promises en 1592 et 1594, car, depuis 1596 au moins, ils n’en touchaient plus rien. Henri IV renouvela ces promesses au moment de l’édit de Nantes, mais les ministres n’en virent guère davantage l’exécution: c’est ce que je montrerai plus loin34.

      Ils ne pouvaient donc compter que sur ce que leur église leur promettait. Or, aucune règle n’existait pour forcer celle-ci à leur donner une somme d’argent fixée.

      Les traitements étaient, en effet, proportionnés non à la place, mais à la personne, et l’on payait le pasteur suivant son importance et sa célébrité. En conséquence, on faisait marché avec lui avant de le prendre: en 1600, par exemple, l’église de Nîmes offre à Gigord 400 écus pour les deux charges de pasteur et de lecteur en théologie à son académie35. Les synodes reconnaissaient la valeur de ces sortes de traités36, mais ils ne les encourageaient pas et souhaitaient qu’ils se réduisissent à de simples promesses enregistrées dans le livre du consistoire37.

      Ces contrats pouvaient présenter des clauses assez variables. Ainsi, le ministre Ricaud ne reçoit par an que 324 ou 347 l. environ de Saint-Jean de Gardonnenc38, mais Jérémie Ferrier en touche 690 à Alais39. – L’église d’Anduze donne 500 l. à chacun de ses deux ministres, Alphonse et Baille, qui ne se trouvent pas assez payés40; le colloque et le synode sont de leur avis et condamnent Anduze à donner 600 l. à Baille, qui en a besoin «à cause de la grandeur de sa famille41». – Gasques touche 600 l. du Vigan, plus 50 l. d’Avèze42. – Plus tard, en 1610, cette même ville du Vigan n’offrira à Daniel Venturin que 450 l. par an, payables par quartiers, plus 60 l. des habitants de Molières et 30 de ceux d’Avèze; elle lui abandonnera en plus sa part des deniers du roi, et, s’il ne croit pas Molières et Avèze solvables, elle prendra les 90 l. à sa charge en se faisant annexer ces deux églises, quitte à exiger d’elles son remboursement. En revanche, Venturin fera les voyages aux synodes et colloques à ses frais, et il devra donner quatre cènes par an à ceux de Molières43. Ces conditions lui parurent suffisantes, car il les accepta44. – M. Fillon fait quittance, les 20 et 21 février 1597, aux habitants d’Aimargues de 700 l. qu’ils lui ont avancées sur ses gages de 1596 et 159745. Or, en février ils ne lui ont sans doute payé que le premier quartier de ses gages de l’année, il est donc probable qu’il a au moins 525 l. par an. – Brunier, d’Uzès, touche 200 écus, soit 600 l. chaque année46. – Falguerolles reçoit à Nîmes 600 l. de traitement47, et cette église fait offrir 1200 l. à Gigord, qu’elle lui payera «à quartiers avancés», et dont il aura 600 comme ministre et 600 comme lecteur en théologie48.

      Il ne faudrait pourtant pas croire que les ministres qui enseignaient la théologie dans l’académie de Nîmes49 fussent bien payés. Ainsi, Moynier et Falguerolles (ou plutôt ses hoirs50) recevaient, en 1600, 150 l. chacun à titre de gratification, pour avoir, «au grand avancement des escoliers», professé «despuis huict ans ou environ51». Puis l’année suivante, Moynier touche encore 200 l.52. Et c’est là tout son salaire. Aussi conçoit-on qu’il se plaigne au synode53.

      Quelquefois, on payait une partie des gages en nature. Voici, par exemple, une pièce que sire Cappon, en bon «receveur des deniers du ministère54», joignit à ses comptes. C’est une quittance de Moynier datée du 15 mars 1595, où il reconnaît avoir reçu six «saumées» de blé valant 54 l., plus des marchandises pour 17 l. 8 sols et 8 deniers que led. Cappon lui a «forni de sa boutique», le tout en déduction de son «assistance55». Ainsi le pasteur et le receveur trouvaient là leur compte.

      On ne pouvait naturellement, sauf conventions spéciales dont je n’ai pas relevé d’exemple, forcer les pasteurs à accepter leurs gages en nature. Ils touchaient de 5 à 600 l. par an, en moyenne, ce qui correspond approximativement à un traitement de 3.000 à 3.600 fr. d’aujourd’hui56. En outre, leurs églises leur accordaient certains avantages. Par exemple, à Nîmes, ils sont logés, ou du moins ils touchent pour ce de l’argent: en 1578, Claude de Falguerolles n’a que 30 l.57; cette somme est loin de suffire à son fils Jean58, qui déclare en juin 1597 «qu’il n’a moyen de se loger à cinquante livres». Le consistoire projette en conséquence de louer la maison de M. Chabaut où l’on pourra mettre ensemble deux ministres59.

      Les frais de voyage aux colloques et aux synodes leur sont remboursés60, à moins de conventions spéciales61 que les synodes désapprouvent62. De même, quand on les envoie en mission, on paye leur déplacement, leurs dépenses63, et s’ils vont assister une église qui manque momentanément de pasteur, ils sont nourris, logés, défrayés de tout64. Très souvent, on stipule dans les conditions d’engagement que l’église payera non seulement le voyage de son nouveau ministre et de sa famille, mais encore le déménagement de ses meubles et de ses livres. Ainsi, le «changement de la famille et mesnage» de M. Ferrier coûte 58 l. 15 sols aux Nîmois65, ce qui est cher, puisque pour faire venir de Genève le mobilier de M. Fillon, leur nouveau pasteur, ceux d’Aimargues n’ont que 60 l. à débourser66.

      On reconnaît encore aux ministres certains droits plus ou moins considérables. Voici, par exemple, M. Moynier qui requiert son consistoire de lui délivrer le «carteyron [de] pleumes» et la rame de papier qu’il est d’usage de donner chaque année


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<p>29</p>

Délib. du 8 novembre 1600 (fo 371).

<p>30</p>

V. ci-dessous, chap. VII.

<p>31</p>

Discipline, chap. I, art. 37. – V. à ce sujet P. de Felice, Protestants d’autrefois, 2e série, chap. II, qui reproduit et commente la Discipline.

<p>32</p>

B. P. F., copie Auzière.

<p>33</p>

P. de Felice, op. cit., 2e série, p. 230. – Ainsi au syn. prov. d’Uzès, séance du 18 mars 1600, un pasteur est accusé d’avoir pris 6 écus pour bénir des mariages hors son église (B. P. F., copie Auzière).

<p>34</p>

V. l’appendice sur les Deniers du roi.

<p>35</p>

V. Pièce no 8.

<p>36</p>

Le syn. prov. de Nîmes, séance du 9 mars 1601, condamne l’église d’Anduze à payer à son ancien ministre, le sieur Pasquier, «50 l. pour sa fille, suivant l’accord dès longtemps faict entre lad. église et led. sieur Pasquier, selon lequel lad. église a donné semblable somme à chacun des autres enfants dud. sieur» (B. P. F., copie Auzière).

<p>37</p>

Syn. prov. de Sauve, 1597 (Ibid.).

<p>38</p>

«Contrat d’obligation passé par les consuls dud. lieu… de la somme de 595 livres au proffict dud. Ricaud pour ses gages de ministre despuis le mois de julhet 1596 jusques au mois d’avril aud. an 1598» (Ordonnance des commissaires exécuteurs de l’édit de Nantes, portant continuation de l’exercice de la R. P. R. à Saint-Jean de Gardonnenc (1662); B. N., ms. franc. 15832, fos 41 vo-42 ro).

<p>39</p>

Cf. syn. prov. de Nîmes, séance du 11 mars 1601 (Arch. du consist. de Nîmes, A, 10, fo 63).

<p>40</p>

Syn. prov. de Sauve (1597); (B. P. F., copie Auzière).

<p>41</p>

Syn. prov. d’Uzès, séance du 24 avril 1603 (Ibid.).

<p>42</p>

Arch. comm. du Vigan, BB, 2. – Le Vigan, Gard, chef-lieu con. – Avèze, arr. et con Le Vigan. – Noble Christofle de Barjac de Gasques fut pasteur du Vigan de 1563 à 1569 et de 1570 à 1609 (d’ap. M. F. Teissier dans le Bull. de la Soc. du Protestantisme, t. XLVIII – 1899), p. 652.

<p>43</p>

Arch. comm. du Vigan, GG, 2. – Molières, Gard, arr. et con Le Vigan.

<p>44</p>

En 1611, il est ministre du Vigan et député au duc de Ventadour (Ibid., FF, 6).

<p>45</p>

Ordonnance des commissaires exécuteurs de l’édit de Nantes (1662) (B. N., ms. franç. 15832, fo 5 vo). – Aimargues, Gard, arr. Nîmes, con Vauvert.

<p>46</p>

«L’église d’Uzès… le satisfera de la somme de 100 escus deus pour sa pension ordinaire pendant les six mois» (Syn. prov. de Montpellier en 1596; B. P. F., copie Auzière).

<p>47</p>

C’est ce que touchent ses hoirs pour l’«année de viduité» (Délib. du consist. de Nîmes du 19 janvier 1600; arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 321).

<p>48</p>

Pièce no 8.

<p>49</p>

V. sur cette académie, ci-dessous, pp. 17, note 2.

<p>50</p>

Il était mort en novembre ou décembre 1599 (Cf. l’Appendice B.)

<p>51</p>

Syn. prov. d’Uzès (1600); (B. P. F., copie Auzière).

<p>52</p>

Délib. du consist. de Nîmes du 5 février 1602 (loc. cit., fo 465).

<p>53</p>

Syn. prov. d’Alais, séance du 27 avril 1602 (B. P. F., copie Auzière).

<p>54</p>

V. sur les fonctions du receveur des deniers du ministère, ci-dessous, chap. III.

<p>55</p>

Ces comptes sont parmi les arch. non classées du consist. de Nîmes. On y trouve également la reconnaissance suivante: «Mémoire que j’ai receu une saumée de bled, pour 9 livres, de M. le lieutenant de Favier pour mon assistance. [Signé] Falguerolles.» – Cf. une quittance par laquelle Marisy reconnaît avoir reçu de ses églises d’Aubais, Congeniès [et Junas] 60 l. sur ses gages, soit «10 l. en argent et 60 l. en blé» (1604, 15 août). Arch. nat., TT, 2422.

<p>56</p>

Si l’on admet avec M. le vicomte d’Avenel (Hist. économique de la propriété… t. I, p. 137) qu’il faut multiplier par 6 environ.

<p>57</p>

P. de Felice, Protestants d’autrefois, 2e série, p. 238.

<p>58</p>

Claude de Falguerolles, pasteur de Nîmes, eut pour fils Jean qui lui succéda à Nîmes en 1591 et mourut en 1599 (Puech, Guillaume de Reboul, pp. 81-84).

<p>59</p>

Délib. du consist. de Nîmes du 11 juin 1597 (Arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 183). – Une délib. du 5 janvier 1599 (fo 257) montre que le troisième pasteur, Chambrun, était logé également.

<p>60</p>

Falguerolles reçoit un écu pour ses frais au colloque de Vauvert (Délib. du consist. de Nîmes du 2 octobre 1598, fo 239). – Le syn. prov. de Saint-Germain de Calberte, séance du 12 mai 1599, décide que les villes où se tiendront les synodes logeront dorénavant «les pasteurs et anciens avec les montures en maison bourgeoise» (B. P. F., copie Auzière).

<p>61</p>

V. ci-dessus les conditions offertes au pasteur Daniel Venturin par l’église du Vigan.

<p>62</p>

Frossard, Recueil de règlements, art. 76.

<p>63</p>

De Gasques, député en cour par Nîmes, Montpellier et Uzès, au sujet de l’édit de Nantes, reçoit 400 écus d’or sol (Délib. consulaire de Nîmes du 9 février 1601; arch. comm., LL, 15, fo 164 ro).

<p>64</p>

Cf. ci-dessous, p. 13.

<p>65</p>

Délib. du consist. de Nîmes du 28 mars 1601 (loc. cit., fo 402).

<p>66</p>

Arch. comm. d’Aimargues, E, Supp. 688 – Aimargues, Gard, con Vauvert.