Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes - Boulenger Jacques


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href="#n70" type="note">70, vont tous les soirs à la danse et dérobent à M. Blisson des poules qu’ils mangent ensuite chez Jean Pons71.

      Ainsi les gages des pasteurs n’étaient pas considérables. Pourtant ils leur auraient permis de vivre en conservant cette «liberté et repos d’esprit» que le synode provincial de Sauve72 leur croit nécessaires, s’ils les avaient régulièrement touchés. Mais, comme nous le verrons dans le chapitre IV, les églises étaient souvent «ingrates» et il est bien rare qu’elles aient payé leurs ministres sans retard et intégralement. Aussi, ceux qui, comme M. Baille, d’Anduze, se trouvaient à la tête d’une nombreuse famille73 et qui ne possédaient pas de fortune personnelle, devaient avoir de la peine à vivre. C’est le cas de M. Brunier; il est chargé de trois enfants de son premier lit dont l’aîné a treize ans, et d’un enfant du premier lit de sa seconde femme, encore enceinte, et il touche 300 l. de gages74. En 1599, on voit le consistoire de Nîmes faire l’aumône de 5 l. à la fille du pasteur Tempeste75.

      D’ailleurs les synodes recommandent sans cesse aux églises d’assister les ministres malades ou très âgés76, leurs veuves et leurs orphelins77. Il était d’usage de payer aux veuves et aux hoirs la valeur d’une année de gages ou à peu près: c’est ce qu’on appelait l’«année de viduité78»; et si l’église paraissait s’y refuser, le colloque et le synode l’ordonnaient au besoin79. Enfin, on dressait à la fin du synode provincial un «despartement» pour les veuves de la province, c’est-à-dire qu’on taxait chaque colloque suivant sa richesse et ses moyens. Chaque femme assistée obtenait alors la somme minime de 20 ou 25 l. environ80.

      On voit que la profession de pasteur n’était point lucrative: elle comportait beaucoup de travail et peu d’argent. Je montrerai81 que les consistoires avaient grand mal à obtenir de leurs administrés qu’ils déliassent les cordons de leurs bourses et que les ministres se trouvaient le plus souvent privés de la pension qu’ils auraient dû toucher. Ceci nous explique pourquoi l’on prenait soin de n’en créer qu’un nombre restreint et de s’assurer auparavant, «par tous les colloques», s’il n’y avait «aucun pasteur à pourvoir ayant les qualités requises», et si nul ministre «capable de sa charge» n’en pouvait «recevoir dommage82».

      Ce petit nombre des pasteurs était la cause de bien des débats entre les églises de la province. Il pouvait arriver, en effet, que l’une d’elles se trouvât dépourvue de ses ministres pour cause de maladie, de mort, d’envoi en mission etc. Dans ce cas, quand l’absence du pasteur était momentanée, l’église priait ses voisines de l’«assister», c’est-à-dire de lui prêter les leurs à tour de rôle pendant un temps plus ou moins long. Toutes les dépenses de ceux-ci étaient alors à sa charge. Elle payait leur voyage: Jérémie Ferrier, venu d’Alais prêcher à Nîmes, est remboursé de 30 sols que lui avait coûtés la location d’un cheval et d’«ung homme pour l’accompagner83». Elle les nourrissait: pour cinq repas de M. Massouverain, l’église de Nîmes paye 40 sous84, et 15 écus à sire Audiffret «pour les alimens qu’il a fournys à M. Gigord» pendant les trois mois que celui-ci a prêché à Nîmes85. Enfin elle les logeait gratis; ainsi le pasteur Moynier réclame au consistoire de cette même ville qu’on lui rembourse «la despense faicte par M. Janny, menistre de Vauvert… en sa maison86».

      Si l’absence de son ministre se prolongeait, l’église s’adressait au colloque87 ou au synode88, qui lui prêtait pour un temps déterminé un des ministres «en distribution», c’est-à-dire libres d’engagement immédiat envers une autre église.

      Mais les difficultés commençaient quand l’absence du pasteur devenait définitive et qu’il fallait au consistoire en trouver un nouveau. C’était une tâche difficile. On s’adressait au synode qui n’avait pas toujours sous la main un ministre «en liberté», et propre à être «distribué». Si la localité dépourvue était importante, ou encore exposée à l’influence des catholiques, le synode lui attribuait parfois le pasteur d’une autre église. De là des réclamations sans fin. Tantôt c’est Massillargues qui requiert le synode de lui donner définitivement M. Maurice qu’on lui avait naguère prêté; mais les églises associées de Nages, Solorgues, Boissière, Saint-Denis et Langlade le réclament comme «estant leur pasteur naturel et perpétuel», et l’obtiennent89. Tantôt c’est l’église de Brenoux qui veut que Terond lui soit accordé alors que le colloque de Nîmes le demande90. Les actes des synodes de Bas-Languedoc sont remplis de pareilles contestations.

      D’ailleurs, encore fallait-il que le pasteur plût à son troupeau. Les fidèles, par amour-propre, souhaitaient que ce fût un homme notoire qui leur fît le prêche et le catéchisme. Aussi le consistoire négociait-il de préférence avec les ministres d’un talent connu. On le voit écrire même à l’étranger à ceux qu’il désire acquérir91. En tout cas, il est défendu «de se pourvoir d’aucun pasteur, ny dedans, ny dehors la province ou royaulme» sans avoir pris «avis» du colloque et, autant que possible, du synode92.

      Ces négociations avec des étrangers étaient lentes: on y recourait cependant. Mais l’église préférait s’adresser à des pasteurs de sa province. Aussi les plus célèbres se voyaient-ils disputés avec acharnement. Souvent les contestations tournaient à l’aigre; des rivalités se créaient d’une ville à l’autre et se prolongeaient de colloque en synode jusqu’à durer pendant des années.

      Aucune, je pense, ne fut plus longue et plus ardente que celle qui divisa les deux villes de Nîmes et d’Alais. La première prétendait conserver le pasteur Jérémie Ferrier, qui lui avait été prêté pour quelques jours, en remplacement d’un de ses ministres. Ce Ferrier était, à ce qu’il semble, d’une grande éloquence, et les Nîmois s’étaient véritablement enthousiasmés de lui. Pour le garder, ils alléguaient surtout que leur église était «beaucoup plus importante» que celle d’Alais. Bien entendu cette raison exaspérait les habitants d’Alais. Le pauvre Ferrier leur paraissait coupable de tout; ils l’injuriaient, le calomniaient et souhaitaient «que le diable lui rompît les jambes», mais ils s’obstinaient à ne pas le céder. Ce ne fut qu’au prix des plus grandes peines que le synode sépara en 1601 le pasteur Ferrier d’un «troupeau» si attaché93.

      Afin de s’éviter de tels ennuis, le consistoire de Nîmes prenait soin, parfois, de retenir de longue main ses futurs ministres: il pensionnait pendant ses études un écolier en théologie, aspirant au ministère, un «proposant» comme on disait94, moyennant que celui-ci promît, en retour, de servir l’église lorsqu’il serait consacré.

      Les mœurs de ces étudiants en théologie étaient soumises à une surveillance sévère95. Ils travaillaient soit à l’académie de Nîmes96, soit à l’étranger, à Genève ou Heidelberg par exemple97, ou encore près d’un pasteur du colloque98,


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<p>71</p>

Délib. du 9 février 1600 (fo 327).

<p>72</p>

Cf. ci-dessus, p. 4.

<p>73</p>

Cf. ci-dessus, p. 6.

<p>74</p>

Valant à peu près 1.800 fr. d’aujourd’hui. Cf. p. 8, note 5. – V. un état des pasteurs du diocèse d’Uzès en 1575 dressé à l’assemblée de Nîmes. Les autres ministres sont pauvres également (Arch. du Gard, C, 1209).

<p>75</p>

Délib. du 27 octobre 1599 (fo 307).

<p>76</p>

Le consist. de Nîmes décide de proposer au colloque «d’entretenir M. Laurant… ayant esté pasteur» (Délib. du 2 juillet 1597, fo 185). – V. la Discipline, chap. I, art. 48.

<p>77</p>

Syn. nat. de Montpellier (1598) dans Aymon, Syn. nat., t. I, p. 216. – Syn. nat. de Gergeau (1601), ibid., p. 245. —Discipline, chap. I, art. 44.

<p>78</p>

Le 19 janvier 1600, le consist. de Nîmes vote le don de 200 écus, soit une année des gages de Falguerolles, à la «mère gran» de ses enfants (fo 321). – Le 28 octobre 1601, il accorde à Mlle de Chambrun les gages de son mari pendant son année de deuil et décide d’entretenir son fils qui étudie en théologie (fo 437).

<p>79</p>

Le syn. prov. de Saint-Germain de Calberte, séance du 14 mai «au matin» 1599, confirme la sentence du colloque de Nîmes ordonnant à ceux de Sommières de payer «dans deux ans et par quartiers aux hoirs dud. M. Bertrand 200 escus pour l’année de viduité» (B. P. F., copie Auzière).

<p>80</p>

«Despartement des vefves», fait au syn. prov. d’Uzès en 1603 (Arch. du consist. de Nîmes, A, 10, fo 99 ro).

<p>81</p>

V. chap. III.

<p>82</p>

Règlement donné en 1607 (Frossard, Recueil de règlements, no 6). Ces précautions étaient en usage longtemps avant ce règlement, si l’on en juge par le petit nombre de proposants qui sont reçus aux synodes.

<p>83</p>

Délib. du consist. de Nîmes du 23 février 1600 (Arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 329).

<p>84</p>

Délib. du 25 octobre 1600 (fo 370).

<p>85</p>

Délib. du 27 juin 1601 (fo 421).

<p>86</p>

Délib. du 22 mars 1600 (fo 336). – Cf. aussi une délib. du 19 octobre 1600 (fo 369).

<p>87</p>

V. notamment une délib. du 15 novembre 1600 (fo 372).

<p>88</p>

V. à la B. P. F. les actes des syn. prov. de Bas-Languedoc, 1596-1609 (Copie Auzière, passim).

<p>89</p>

Syn. prov. de Nîmes, séance du 10 mars 1601 (B. P. F., copie Auzière). – Massillargues, Gard, arr. Alais, con Anduze. – Nages, Solorgues, Boissière, Saint-Denis et Langlade, Gard, arr. Nîmes, con Sommières.

<p>90</p>

Syn. prov. d’Uzès, séance du 19 mars 1600 (B. P. F., copie Auzière). – Brenoux, Lozère, arr. et con Mende.

<p>91</p>

Ainsi l’église de Nîmes écrit à Goulard, à Genève, et à Couet, à Bâle, pour leur faire des propositions d’engagement (Délib. du 12 juin 1596; loc. cit., fos 95-96).

<p>92</p>

Décision du syn. prov. d’Alais, séance du 27 avril 1602 (B. P. F., copie Auzière).

<p>93</p>

J’ai rapporté la curieuse histoire de cette contestation dans l’appendice B sur les Pasteurs de Nîmes.

<p>94</p>

Les deux mots «escollier en théologie» et «proposant» sont synonymes. Le syn. prov. de Saint-Germain de Calberte, séance du 12 mai 1599, décide que le cinquième des deniers des pauvres sera réservé à l’entretien des «proposants» (B. P. F., copie Auzière). Or, celui de Nîmes, séance du 8 mai 1601, contient une délib. intitulée «Du quint des deniers des povres ordonnez pour les escoliers en théologie» (Ibid.). En outre, le 26 avril 1600, le consist. de Nîmes décide que les «escoliers proposans» liront en chaire chacun à son tour (fo 345). – Et le 31 août 1601, il prive un «escholier en théologie» nommé Gantelme de faire la lecture en chaire (fo 429).

<p>95</p>

Avant même de les inscrire à la «matricule» des proposants de l’académie, le consistoire de Nîmes fait enquête sur leur vie et leurs mœurs (V. ses délib. des 12 décembre 1601 et 23 janvier 1602, fos 447 et 457). – Lorsqu’ils passent leur premier examen au colloque, ils sont l’objet d’une nouvelle et très sévère enquête (Frossard, Recueil de règlements, art. 2). – Enfin, lors de leur examen au synode, celui-ci doit s’assurer par tous les moyens possibles que leurs mœurs sont irréprochables (Frossard, Recueil de règlements, art. 7).

<p>96</p>

M. Corbière (Académie protestante de Montpellier, dans Mém. de l’Académie des sciences et lettres de Montpellier, t. VIII, 3e fasc., années 1888-89, p. 431) dit qu’une partie des deniers du roi fut destinée par le synode de Montpellier (1598) à fonder l’Académie de Nîmes. – Ceci est corroboré par Aymon, Syn. nat., t. I, p. 225. – Dans la «Distribution des 45.000 escus… faite au synode de Montpellier» le «collège de Nîmes» reçoit 611 escus, 6 sols, 8 deniers (B. N., ms. franç. 15815, fo 75 ro, – et ms. Brienne 208, fo 473 ro). On verra que l’on fut loin de toucher les sommes promises par le roi (cf. plus loin, appendice A sur les Deniers du roi). – Le 12 mai 1599, le syn. prov. de Saint-Germain de Calberte exhorte les pasteurs Moynier, Gigord et Falguerolles à «continuer les lecteures en théologie» (B. P. F., copie Auzière). – Le synode prov. d’Uzès (1600) gratifie Gigord de 200 deniers et Moynier et Falguerolles de 50 chacun «d’aultant que despuis huict ans ou environ lesd. sieurs se sont heureusement employés en la lecteure de la théologie jusqu’à présent, au grand avancement des escoliers dont plusieurs ont esté promeus au sacré ministère» (Ibid.). – On eut de la peine à faire prospérer l’académie; en 1601, elle n’a pas de professeurs en théologie (cf. ci-dessous) et il n’y a que huit étudiants à la matricule des proposants (D’après A. Borrel, dans Bulletin de la Soc. de l’hist. du Protestantisme français, t. III, p. 46).

<p>97</p>

Le consist. de Nîmes entretient, en septembre 1599, un certain Félix, écolier en théologie, qui étudie à Genève (Délib. du 22 septembre 1599, fo 303). – Il entretient Jean Terond qui étudie à Heidelberg, en 1595, etc. (fos 17, 183, etc.).

<p>98</p>

Mardochée Suffren, proposant, demeure avec le pasteur Tufan qui lui fait «des leçons» (Délib. du consist. de Nîmes du 11 novembre 1596, fo 138).