Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques

Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes - Boulenger Jacques


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href="#n99" type="note">99». Deux ans plus tard, on le voit décider que deux d’entre eux, choisis par leurs confrères et le pasteur Moynier, assisteront aux séances, mais «sans pouvoir opiner100». Et une semaine après, c’est Jehan Blachière et Jehan Ginac qui sont admis à cet honneur, après avoir juré, «la main levée à Dieu», de tenir secret ce qu’ils entendront101. Au temple, les proposants ont un banc spécial, immédiatement derrière celui des pasteurs102, qui n’a pas coûté moins de 5 l.103. Enfin, ils ont le droit de lire en chaire chacun à son tour104, et c’est une punition que d’en priver l’un d’eux105.

      Pendant qu’ils étudient pour être admis au «ministère de la parole de Dieu», les écoliers en théologie ne gagnent pas d’argent. Or, le plus souvent fils de pasteurs, ils ne sont pas riches, car, ainsi que le remarque M. de Felice, il n’y a eu, au XVIe siècle, que quelques ministres aisés et appartenant à de hautes familles, alors qu’il s’en trouve bien plus au XVIIe siècle106. Aussi voit-on le synode national de Montpellier (1598) se préoccuper de l’entretien des proposants: il ordonne que les diacres devront apporter au colloque ou au synode un compte des deniers des pauvres, afin qu’on puisse vérifier si la cinquième partie de la recette a été réservée pour les écoliers, et faciliter ainsi l’exécution du chapitre IV, article 4, de la Discipline107. Cette ordonnance fut soumise l’année suivante au synode provincial de Saint-Germain de Calberte qui la fit exécuter et décida que les proposants ainsi entretenus demeureraient dorénavant à la disposition du synode108. Mais cette levée du cinquième ne fournissait pas une grosse somme, et le colloque de Nîmes qui pensionne, en 1601, deux écoliers, emploie à cela «beaucoup plus que dud. quint109». Ce ne fut pas non plus, après l’édit de Nantes, la promesse que fit le roi de 45.000 écus, dont les églises ne touchèrent jamais rien110, qui fournit des fonds suffisants à cet usage. Grâce à des impositions volontaires, et à l’aide apportée par la municipalité nîmoise, qui levait sur tous les habitants une certaine somme destinée spécialement aux proposants111, le colloque ou même le consistoire parvenaient tant bien que mal à entretenir aux études des écoliers qui s’engageaient souvent, en retour, à les servir comme pasteurs.

      C’est ce que fit Jean Terond, par exemple. Au mois de décembre 1592, en consistoire extraordinaire, le pasteur Jean de Falguerolles représenta qu’il était opportun de «recouvrer» un quatrième ministre à cause de la vieillesse de Chambrun: il avait, disait-il, cherché lui-même parmi les proposants, et aucun ne lui avait paru mieux «conditionné des mœurs et probités requises à son eage et profession» que le fils du pasteur Terond, de Meirueys, qui avait accepté en principe de se vouer à servir plus tard l’église; il proposait en conséquence de l’envoyer à Genève aux frais du consistoire. Mais celui-ci ne voulut pas s’engager à la légère et décida qu’on ferait d’abord «proposer» son pasteur futur devant «une douzaine d’hommes doctes et estudieux112». Cette épreuve fut subie par le jeune homme avec succès, car en mars 1593 on décida en principe le chiffre de sa pension113, et enfin, le 12 mai, on lui fit signer un traité d’engagement. Il promettait de se consacrer au service de l’église quand il en serait digne. A cette condition, il toucherait 60 l. tournois pour son voyage, et 200 l. tournois chaque année114.

      Le contrat signé, Jean Terond ne s’empressa pas de partir115. C’est qu’il ne pouvait obtenir sa pension: en janvier 1595, il n’avait pu toucher que la moitié de ce qui lui était dû116. Sans doute, il ne se souciait guère de s’en aller au loin mourir de faim. Cependant il dut se décider: le consistoire l’avait menacé de lui couper les vivres s’il ne partait pas117. Il arriva à Genève avant le 8 mars118, puis de là il s’en fut à Heidelberg119 où, sans doute, il se plut, puisqu’au bout de quatre ans il fallut lui écrire de revenir120 pour se faire consacrer121. A peine de retour, il fut distribué, «sans préjudice des droicts» que l’église de Nîmes avait sur lui122 aux églises de Boubaux, Brenoux, La Melouze et Laval123.

      Tous les écoliers proposants n’étaient pas entièrement entretenus par une église et en vertu d’un contrat comme Jean Terond. Voici, par exemple, Mardochée, fils du pasteur Barnabé Suffren124, à qui son père n’avait pas dû laisser un héritage bien considérable puisque le consistoire devait lui donner 25 l. pour qu’il pût se faire faire des habits125. Il eut la chance d’être distingué par Mme d’Aubais qui s’engagea à lui servir une pension de 30 écus par an126. Cela, joint à quelque argent qu’il eut encore de l’église, lui permit de partir pour Genève127. Le consistoire, qui avait pris soin de faire constater au colloque les droits qu’il s’acquérait sur Mardochée en l’entretenant128, ne l’abandonna pas tout-à-fait une fois qu’il fut arrivé là-bas. Mardochée mourait seulement à peu près de faim129. Cependant, comme il écrivait lettres sur lettres, on lui envoyait de temps en temps quelque argent: par exemple, «33 l. et 10 escus en or», en une fois, par un marchand gènevois du nom d’Arnaud Jolly130. D’ailleurs, en juillet, Mardochée dut revenir sur l’ordre de l’église131. Ce ne fut pas sans chagrin. Les leçons que lui donnait un certain M. Tufan par ordre du colloque lui laissaient regretter celles qu’il avait pu avoir à Genève; si bien qu’ayant réuni toutes ses ressources, il repartit pour la Suisse, malgré le consistoire, afin d’y étudier à ses frais132. Quelques mois plus tard, il implorait 10 écus du colloque «pour employer en habitz», et si le consistoire décidait d’«intercéder» pour lui, c’était à cause «de la bonne espérance» qu’on avait de ses études133 et de la nécessité où se trouvaient sa mère et ses sœurs134.

      Nous avons vu par le cas de Jean Terond qu’il ne suffisait pas toujours à une église d’avoir entretenu un proposant, grâce à des sacrifices pécuniaires relativement assez considérables135, pour être assurée de l’avoir plus tard comme pasteur. Le synode allait en effet au plus pressé et fournissait d’abord de ministres les églises tout à fait dépourvues. Ainsi, en 1600, malgré les Nîmois qui réclamaient Terond, celui-ci fut encore prêté pour un an à l’église de Saint-Martin de Boubaux136. Néanmoins, sans approuver les contrats d’engagement dans le genre de celui que Terond avait signé137, les synodes admettaient généralement qu’une église s’acquérait des droits sur un pasteur lorsqu’elle l’avait autrefois «entretenu aux études138». Ce qui était bien interdit aux


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<p>100</p>

Délib. du 21 octobre 1598 (fo 244).

<p>101</p>

Délib. du 28 octobre 1598 (fo 245).

<p>102</p>

Délib. du 25 décembre 1596 (fo 146).

<p>103</p>

Délib. du 7 février 1597 (fo 163).

<p>104</p>

Délib. du 26 avril 1600 (fo 345).

<p>105</p>

Délib. du 31 août 1601 (fo 429). – Sur la première partie du service du dimanche, à laquelle préside le lecteur, cf. P. de Felice, Protestants d’autrefois, 1re série, pp. 99 et suiv.

<p>106</p>

Protestants d’autrefois, 2e série, p. 209.

<p>107</p>

Aymon, Syn. nat., t. I, p. 216. – Cette ordonnance fut corroborée par le syn. nat. de Jargeau, 1601 (loc. cit., t. I, p. 237).

<p>108</p>

Séance du 12 mai 1599 (B. P. F., copie Auzière).

<p>109</p>

Syn. prov. de Nîmes, séance du 8 mars 1601 (Ibid.). Le colloque de Montpellier entretient aussi deux écoliers; quant à ceux d’Uzès, Anduze et Sauve, ils ne peuvent «faire aucun quint… d’aultant qu’on n’exige assez pour fornir aux nécessitez ordinaires de leurs povres et cotitez de l’entretenement des povres vefves».

<p>110</p>

Cf. l’appendice A sur les Deniers du roi.

<p>111</p>

«L’argent deub par la ville pour l’entretenement des escolliers proposans…» (Délib. du consist. de Nîmes du 12 juin 1596, loc. cit. fo 96).

<p>112</p>

Délib. du 3 déc. 1592 (Arch. du consist., B, 90, t. VI, fo 127).

<p>113</p>

Délib. du 17 mars 1593 (Ibid., fo 155).

<p>114</p>

«Accord faict avec Mre Jean Theron led. mecredy, 12 may 1593» (Ibid., fo 174).

<p>115</p>

Délib. des 28 juillet 1593, 7 avril, 20 juillet 1594, 18 janvier 1595 (Ibid., fos 209, 284, 319).

<p>116</p>

Savoir 196 l. 15 sols tournois, depuis le 12 mai 1593; on lui devait encore 133 l. 6 s. 4 d. tournois (Délib. du 25 janv. 1595, Ibid., fo 320).

<p>117</p>

Ibid.

<p>118</p>

Délib. du 8 mars (Ibid., fo 334).

<p>119</p>

Délib. des 15 décembre 1595, 11 juin 1597 (Arch. du consist., B, 90, t. VII, fos 17, 183).

<p>120</p>

Délib. du 26 septembre 1598 (Ibid., fo 242).

<p>121</p>

Le 27 janv. 1599, le consistoire charge les pasteurs de «parler à M. Therond, pasteur, des jours qu’il voudroit prêcher» (Ibid., fo 262).

<p>122</p>

Syn. prov. de Saint-Germain de Calberte, séance du «14e may au matin» 1599 (B. P. F., copie Auzière).

<p>123</p>

Même synode, séance du 14e may. – Brenoux, Lozère, arr. et con Mende. – Saint-Martin de Boubaux, Lozère, arr. Florac, con Saint-Germain de Calberte. – La Melouze et Laval, Gard, arr. Alais, con La Grand’Combe.

<p>124</p>

Délib. du consist. de Nîmes du 15 avril 1592 (Arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 59).

<p>125</p>

Délib. du 21 septembre 1594 (Ibid., fo 298).

<p>126</p>

V. les délib. des 15 et 24 mars 1595 (fos 336 et 340).

<p>127</p>

Le 12 mai 1595, le consist. lui donne 100 l. et fait écrire à Mme d’Aubais de lui bailler, «s’il luy plait», ce qu’elle lui avait «cy devant offert», afin qu’il puisse «aller advanser ses estudes à Genève». (fos 357-8).

<p>128</p>

Cf. délib. du 26 juillet 1595 (fo 379).

<p>129</p>

Il écrit au consistoire qu’il va être forcé de revenir car il n’a pas du tout d’argent (Délib. du 10 janvier 1596, fo 27).

<p>130</p>

Délib. du 29 novembre 1595 (fo 13). – Le 31 janvier 1596, on lui mande 10 écus (fo 30), le 12 juin, 12 écus (fo 95).

<p>131</p>

Le 2 juillet, il est de retour; on l’accuse de vouloir s’en retourner à Genève (fo 102).

<p>132</p>

Le consist. lui remontre que le colloque avait ordonné qu’«il demeureroit avec M. Tufan qui luy feroit des leçons». Mais il ne put même attendre le colloque prochain, car «il avoit compagnie», et plus tard «il ne pourroit… passer» (Délib. du 12 novembre 1596, fo 138).

<p>133</p>

Délib. du 8 janvier 1597 (fo 153). – Cette somme lui fut envoyée (Délib. du 29 janvier 1597, fo 160).

<p>134</p>

Délib. du 9 avril 1597 (fo 175).

<p>135</p>

V. ci-dessous, chap. III, la difficulté qu’elles avaient à payer les pasteurs.

<p>136</p>

Syn. prov. d’Uzès, séance du 19 mars 1600 (B.P.F., copie Auzière).

<p>137</p>

Ainsi, le syn. prov. de Sauve (1597) déclare que le contrat d’engagement passé par M. Alphonse avec l’église d’Anduze est nul et contraire à la discipline, pour n’avoir été approuvé par une assemblée ecclésiastique, et il exhorte les pasteurs à ne faire aucune formalité semblable, mais à enregistrer seulement leur promesse au livre du consistoire (B. P. F., copie Auzière. – V. aussi Frossard, Recueil de règlements, art. 20).

<p>138</p>

Le syn. nat. de Jargeau (1601) cassa l’ordonnance du syn. prov. d’Uzès citée note 2. (Aymon, Syn. nat., t. I, p. 242). – D’ailleurs le syn. d’Uzès avait reconnu formellement les droits des Nîmois sur la personne de Terond.