Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques
voyait, en 1598, exhortée par le synode à se faire «une collection de livres en théologie348». Quoi qu’il en soit, ce ne fut pas, comme le dit M. de Felice349, le synode nat. de La Rochelle, en 1607, qui encouragea le premier les églises à se créer des bibliothèques, et Nîmes en possédait une fort importante bien longtemps auparavant.
Les deniers du ministère devaient subvenir à toutes les dépenses que je viens d’énumérer; voyons d’où ils provenaient.
Le roi promit aux églises, en 1598, de leur donner 45 000 écus. Cette promesse ne fut pas tenue350, si bien que le consistoire de Nîmes dut continuer à pourvoir à l’entretien des ministres par des impositions sur les habitants. A l’époque qui nous occupe, on décidait officiellement que ceux de la Religion seuls en auraient la charge351; mais, vu les difficultés de toutes sortes qu’on avait à recouvrer une subvention si nécessaire, on n’hésitait pas, en pratique, à taxer les catholiques, et ce après comme avant l’édit de Nantes352.
Chaque année, le consistoire extraordinaire, avec le concours des magistrats et des consuls353, décidait quelle somme on prélèverait: tantôt 500 écus comme en 1596354, tantôt 800 comme en 1601355. Il déléguait ensuite quelques membres des consistoires vieux et nouveau, un des magistrats, un ou deux consuls, pour en faire la répartition sur les habitants356. Cette répartition, inscrite sur un livre long nommé «la tariffe357», était alors présentée au magistrat pour qu’il en autorisât l’exaction358. Une fois le «livre signé», on chargeait de lever l’imposition celui qui faisait «meilheure condition», après avoir pris l’avis des consuls: ainsi, en 1600, l’ancien Salveton ayant accepté «d’en fere l’exaction pour 100 l. tournois», on décide «que le bail de lever led. libvre sera passé aud. sire Salveton359». Mais on ne donnait pas toujours la levée à forfait et le consistoire la confiait souvent à des agents qu’il surveillait lui-même. Le 9 décembre 1598, en effet, nous le voyons décider que «les diacres et anciens… poursuyvront ceulx quy sont commis à la levée des rolles360»; et une autre fois, il ordonne qu’elle se fera «par survelliances et ysles… par les nommés à cest effect… suivant les rolles361».
La levée a lieu d’ailleurs très malaisément et les petites églises comme les grandes ne mettent aucun enthousiasme à entretenir leurs pasteurs. A Nîmes, les uns se plaignent d’être trop imposés et ne veulent pas payer intégralement leur taxe; les autres «ne veullent payer rien du tout362» et il y réussissent: on décide de les «adjouster» aux rôles de l’année suivante363, mais c’est toujours un an de gagné, et pourquoi céderaient-ils davantage plus tard? Un nommé Jehan de Vidalle déclare «qu’il yroit plus tost baptizer son enfant à la messe que bailher rien à MM. les ministres364», et il est probable que l’«exhortation pour l’entretenement des pasteurs» que Chambrun fait en chaire après le prêche ne doit pas être sur lui d’un effet puissant365.
Aussi, la levée est-elle loin de rendre ce qu’elle devrait et les pasteurs ne peuvent-ils obtenir leurs gages. En mars 1598, il est dû à Falguerolles, «oultre les arreyrages de l’année passée… ung cartier de la présante366». En mai, le consistoire est forcé d’emprunter 300 l., remboursables dans trois mois et au taux de 12 %, desquelles Chambrun prend 100 l., Falguerolles 200 et Moynier rien367. Cela ne remplit pas la bourse du ministère: en septembre, il ne s’y trouve encore «pas d’argent, mesmes pour les pasteurs servans368». On atteint ainsi l’époque369 de la levée de l’imposition, que l’on décide le 21 octobre. Naturellement, elle ne se fait pas mieux que d’habitude; en décembre, on décide de «poursuyvre» ceux qui en sont chargés370, car, sans doute, on la veut terminée pour la fin de l’année. Les pasteurs sont tellement pressés qu’à peine quelque argent se trouve-t-il entre les mains du receveur qu’ils demandent qu’on leur délivre à chacun 12 écus371. D’ailleurs, c’est la coutume de leur distribuer à mesure ce qui rentre372, car il est impossible de réunir une somme suffisante pour les payer en une fois.
Cependant, en 1599, le consistoire semble vouloir se libérer à l’égard des ministres. Il charge le sieur de Saint-Cézary de prévenir le conseil de ville de la difficulté que présentent la levée des rôles et l’entretien du ministère; il ordonne de poursuivre rigoureusement «ceulx quy doibvent d’argent des bénéfices pour le payement» des pasteurs373; le receveur déposera le compte de ce que les ministres ont reçu sur leur assistance374; enfin, ceux qui refuseront de payer seront traînés devant le juge criminel375. Malgré tout, en juillet, il reste dû encore tellement d’argent aux pasteurs que l’un d’eux, Falguerolles, prévient le consistoire qu’il s’en plaindra au colloque376. Quelques mois plus tard, il mourait377 sans avoir jamais pu toucher les 200 écus qui lui étaient dus378.
Ainsi la ville de Nîmes ne pouvait arriver à fournir les sommes nécessaires à «l’entretien de l’église». S’il en était ainsi dans la plus riche et la plus puissante ville du colloque, on imagine ce qui se passait dans les autres. Les assemblées sont remplies par les querelles d’argent des pasteurs et des consistoires. D’ailleurs, que pouvait-on sur les fidèles? La Discipline autorisait les colloques et les synodes à procéder par des censures ecclésiastiques contre les églises coupables d’«ingratitude» envers leurs ministres et à aller même jusqu’à les priver du culte. Cette peine grave, la seule efficace, on peut le dire, pouvait bien être prononcée contre des églises de peu d’importance379, mais comment l’appliquer à des villes comme Nîmes, exposée aux influences catholiques et où les fidèles se trouvaient livrés aux «séductions» des prêtres et des jésuites? Nous verrons que les pasteurs combattaient ces influences à grand’peine. Ceux d’Alais, réclamant au synode leur ministre Ferrier qui leur avait été emprunté pour quelque temps, se plaignent que «plusieurs de la Religion, se voyantz sans preche, seroient alez au sermon de Rhodes, jésuite380». On juge de ce qui se serait passé dans les mêmes conditions à Nîmes, où le consistoire se trouve forcé de sévir à chaque instant contre des fidèles et même contre des proposants381, qui ont été «ouyr» le P. Coton.
Aussi ne songeait-on pas à appliquer de peines aussi radicales, ni même à appliquer aucune peine. En voici la preuve. Un synode de 1594 avait ordonné que les diacres et anciens ne pourraient quitter leurs charges avant d’avoir «satisffait à l’entretainement des ministres382». Conformément à cette décision, on voit, en janvier 1597, le consistoire de Nîmes s’engager à ne pas se séparer avant d’avoir soldé «ce que restera des gaiges deubz à MM.
348
Syn. prov. de Montpellier, séance du 27 mars 1598 (B.P.F., copie Auzière).
349
350
V. l’appendice sur les
351
Le consist. de Nîmes décide, le 18 octobre 1596, que «la somme résollue» sera départie «sus chacun de la Religion» (
352
Requête du chapitre de Nîmes au parlement de Toulouse pour qu’il interdise aux protestants de lever aucune somme sur les rentiers des dîmes pour l’entretien des ministres; juin 1601 (Arch. du Gard, G, 177). – Pour plus de détails, v. ci-dessous, chap. VI.
353
V. l’assemblée du 18 octobre 1596 «convocquée sur la contribution pour l’entretenement du ministère» (Arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 132); et celle du 11 novembre 1599 (fo 313). V. aussi délib. du conseil de ville du 19 décembre 1599 (Arch. comm. de Nîmes, LL, 15, fo 90).
354
Délib. du consist. extraordinaire du 18 octobre 1596, citée.
355
«Oultre 700 l. que se pourront retirer des restes desd. deux livres [d’imposition des années précédentes] et 1.300 l. qu’on pourra retirer d’alheurs [peut-être en imposant les rentiers des bénéfices] sera nécessaire, pour subvenir tant au paiement des arreyrages deubz esd. pasteurs que pour leur assistance de la présente année 1601 et fraix extraordinaires de l’églize, d’imposer la somme de 800 escutz sans y comprendre les leveures et fraix des livres» (Délib. du 8 avril 1601, Arch. du consist., B, 90, t. VII, fo 404).
356
Délib. du consist. de Nîmes du 18 octobre 1596 (
357
D’après le règlement donné à l’église en 1596; Borrel,
358
Chargés Cheyron diacre et Salveton ancien de «fere signer le livre sur le payement des pasteurs» (Délib. du consist. extraordinaire du 19 janvier 1600, fo 321). – Le 3 février 1600, on voit que le rôle de l’imposition pour les pasteurs a été signé par le garde-sceaux (fo 325).
359
Délib. du 3 février 1600 (fo 325).
360
Fo 250.
361
Le 8 janvier 1597 (fo 154).
362
Délib. du consist. du 15 janvier 1597 (fo 157). – Délib. des 18 et 25 novembre 1597 (fos 247 et 248).
363
Délib. du 21 octobre 1598 (fo 244).
364
Délib. du 23 décembre 1598 (fo 254).
365
Délib. du 13 janvier 1599 (fo 259).
366
Il réclame en conséquence que l’église «se charge de payer et acquitter l’obligé qu’il fera» de 50 écus, qu’il a empruntés «aux apportz» pour envoyer son frère étudier en théologie à Genève (Délib. du 20 mars 1598, fo 216).
367
Délib. des 15, 20 et 27 mai 1598 (fos 227, 228 et 229).
368
Délib. du 16 septembre 1598 (fo 242).
369
Délib. du 21 octobre 1598 (fo 244).
370
Délib. du 9 décembre 1598 (fo 250).
371
Délib. du 16 décembre 1598 (fo 252).
372
V. délib. des 19 février 1597 et 20 janvier 1599 (fos 167 et 261).
373
Délib. du 20 janvier 1599 (fo 260).
374
Délib. du 20 janvier 1599 (fo 261).
375
Délib. du 24 février 1599 (fo 267). – C’était grâce à l’édit de Nantes que de pareilles poursuites étaient possibles en vertu de l’art. 43 secret (Anquez,
376
Délib. du 28 juillet 1599 (fo 295).
377
V. l’appendice sur les
378
Sa mère réclame au consistoire 200 écus qui restent dus sur les gages de son fils (Délib. du 13 juin 1601, fo 418).
379
Ainsi Aujargues et Villevieille sont privées de leur ministre Bansillon par le colloque du 16 août 1598, pour ne l’avoir pas payé et jusqu’à ce qu’elles l’aient payé. (Dires par écrit devant les commissaires exécuteurs de l’édit de Nantes en 1664; Arch. nat., TT, 23218).
380
Syn. prov. d’Uzès, séance du 17 mars 1600 (Arch. du consist. de Nîmes, A, 10, fo 45 vo).
381
V. ci-dessous, chap. VI.
382
Frossard,