Les protestants à Nimes au temps de l'édit de Nantes. Boulenger Jacques
est consacrée à l’entretien des pasteurs, et ainsi les pauvres n’ont pas le bénéfice de toute la charité des testateurs284.
Les quêtes faites par les anciens et les diacres formaient leur principale ressource. Il n’y a que fort peu de renseignements sur ce point. On faisait la quête au temple dans un «bassin285». En outre, on plaçait des troncs «aux» boutiques des marchands, et on les visitait, ce semble, au commencement de chaque année286. Enfin, tous les ans, on réunissait les objets perdus dans le temple et non réclamés, on les vendait, et l’on en versait le produit au bassin: en 1596, on retire ainsi 2 l. 14 sols, et en 1601, 2 l. 16 sols287.
Ces quêtes étaient les vraies ressources des pauvres. Elles devaient fournir parfois des sommes importantes. Le synode national de Montauban, en 1594, décide que, lorsqu’il se trouvera une somme notable des deniers des pauvres «que l’urgente nécessité n’obligera pas d’emploier pour leur subvention, les diacres, par l’avis du consistoire, pourront en faire quelque prêt à des gens solvables pour faire valoir cet argent à la plus grande utilité des pauvres… à la charge qu’on le puisse retirer promptement en cas de nécessité288». C’était là une permission assez dangereuse, mais ces spéculations paraissaient si séduisantes que, le synode national de Saumur les ayant interdites en 1596289, celui de Montpellier les autorisa de nouveau en 1598290. Il est peu probable que le consistoire de Nîmes ait pu user de la permission à l’époque qui nous occupe, car il avait grand mal à entretenir ses très nombreux indigents291 et, l’«urgente nécessité» ne devait pas lui permettre d’amasser un capital pour le placer.
Il secourait non seulement les pauvres de la ville, mais encore ceux des autres provinces. Ainsi, en 1597, l’église de Grenoble ayant fait parvenir aux Nîmois une lettre réclamant secours, le consistoire décide que «tout ce qui sera levé au bassin» lui sera envoyé, et que l’on communiquera la lettre aux autres églises du colloque292. On faisait également l’aumône aux pauvres étrangers à la cité qui se présentaient avec des attestations de leur église d’origine. Cette coutume, nommée la «passade293», prêtait à de nombreux abus.
Des vagabonds exploitaient les églises en exhibant de fausses lettres de leurs prétendus consistoires. C’est en vain que, pour y remédier, le synode national de Montpellier (1598) décide que l’on ne devra accorder aucune attestation avant d’avoir examiné en consistoire si les raisons données par l’intéressé pour partir au loin sont plausibles; que ses «âge, poil, stature» devront être spécifiés; et que les ministres auxquels il s’adressera en chemin devront garder ou détruire l’attestation qu’il présentera et lui en donner une autre, s’il y a lieu, «pour la prochaine église294». L’abus subsiste, et le consistoire de Nîmes se voit forcé d’ordonner que, dorénavant, les pasteurs comme les anciens ne pourront délivrer à ceux qui «demandent la passade… aucungz bilhetz de 5 solz… qui n’aye esté délibéré au consistoire, ou à l’yssue du presche, et signé par quatre pour le moingz295».
Il ne leur enlevait point, ce semble, le droit de distribuer des «bilhetz» de moins de 5 sols, payables par le receveur des deniers des pauvres. Celui-ci, comme nous l’avons vu, conservait précieusement tous ces mandements comme pièces justificatives de ses dépenses. Ils pouvaient monter à des sommes variables. Par exemple, du 1er janvier au 27 mai 1601, sire Dalbiac, à Nîmes, a reçu des billets pour 52 l. 19 sols296, ce qui donne environ une moyenne de 125 l. d’aumônes par an. Cela ne me paraît pas très considérable, si l’on songe que chaque pasteur reçoit 600 l. de traitement annuel297.
D’ailleurs, ces sommes, pour minimes qu’elles soient, semblent distribuées avec équité. Marque d’une tolérance rare à cette époque, on fait la charité même à des catholiques, et sans leur demander la plus petite abjuration en retour. «Jane Varlède, papiste, sera assistée de 10 souls pour une fois, atandu sa pouvretté298», décide le consistoire. «La femme de Pierre Michel… estant en extrême pouvreté… bien que soit papiste, luy sera assisté de 10 sols sans conséquance299.»
Les nouveaux convertis sont entretenus pendant un certain temps, quand ils sont incapables de gagner leur vie, comme il arrive aux défroqués. On paye leur apprentissage: Pierre, fustier, réclame au consistoire la dépense «que le novisse moyne a faict à sa maison à raison de 5 sols chascung jour300». Si l’église ne peut placer son converti, elle écrit à ses voisines et le leur adresse301. Le synode provincial et le colloque en prennent «soing» et cherchent «si quelque église le voudra entretenir302». D’ailleurs, ils se trouvent souvent mal de leur bonté. Le colloque de Nîmes, par exemple, se voit réclamer 400 l. par Mre Mathieu Guilien, apothicaire, «qu’un jadis moine, nommé François Hon», mis en apprentissage chez lui pour trois ans par le colloque, «auroit dérobé303». Ailleurs, c’est un ancien moine de Tournon, nommé Denys Enard, que le consistoire de Nîmes envoie comme apprenti chez Mre Noguier, chirurgien, au prix de 8 l. par mois: «lequel apprenti s’en seroit allé sans luy rien dire» au bout de onze jours, en emportant «deux couvre chefz de valleur de 24 solz tous deux»; il faut donc payer les 24 sols et 3 l. pour les onze jours d’apprentissage, plus 4 l. 10 sols pour deux chemises que le consistoire avait fait acheter «pour bailher au susd. Denys Enard304».
Car il remettait souvent les secours en nature. Je vois, en effet, qu’il fait délivrer pour 20 l. de «cadis à la vefve de Parant pour lui fere une robbe305»; qu’il assiste d’une «eymine de bled», valant 15 sols, Jean St-Huict, serrurier306, etc. En tout cas, pour le principe, lorsqu’il donne une somme d’argent, il spécifie presque toujours l’emploi qu’en doit faire l’assisté: si Estienne Audiballe reçoit un écu, c’est «pour achepter une robbe à la fripperye307».
Certains pauvres étaient en quelque sorte abonnés et touchaient une certaine somme chaque semaine, tandis que d’autres étaient secourus une fois pour toutes. Parmi les premiers se trouvaient les malades, dont le consistoire prenait grand soin. Une pauvre femme, Claude Deleuse, étant tombée «malade à l’extrémité», il décide que l’ancien du quartier devra avertir ses parents tout d’abord, mais «en cas de nécessité luy adressera avec son diacre308». Souvent, il ordonne que certains pauvres recevront une somme remise à la discrétion «du diacre et surveillant de leur cartier309». Le tableau suivant renferme les noms des indigents assistés entre janvier et mars 1596, avec la mention de ce qu’on leur a donné310.
Le consistoire avait donc, en l’espace de trois mois, fourni à 26 personnes différentes des secours variant entre 10 l. et 5 sols. Il est juste de constater que ce tableau ne comprend que les aumônes énumérées dans le livre du consistoire, et que les anciens et les pasteurs avaient le droit de distribuer des bons pour des sommes peu importantes.
Ce qu’il faut retenir, c’est le soin
284
P. de Felice,
285
«Tout ce qui sera levé au bassin…» (Délib. du consist. du 24 septembre 1597, fo 194). – M. P. de Felice,
286
Voici les deux délib. du consistoire que j’ai recueillies à ce sujet: «Par sire Radel et sire Sigalon, antien, seront retirés les deniers des boîtes pour les povres qui sont aux botiques des merchans» (3 janvier 1599, fo 259). – «Pour l’argent des boytes des pauvres que sont aux botiques des marchands de l’année dernière…» (12 janvier 1600, fo 319).
287
«Inquand des choses trouvées au temple et non demandées, et l’argent mis au bassin» (En tête des délib. du consist. de l’année 1596, fo 26). – «Inventaire des choses perdues au temple et non demandées» (Délib. du 24 février 1601, fo 394).
288
Aymon,
289
Aymon, t. I, p. 200.
290
Aymon, t. I, p. 232.
291
V. ci-dessous la décision que dut prendre le consist. de Nîmes relative aux «billets» délivrés par les anciens.
292
Délib. du 24 septembre 1597, par exemple (
293
Délib. du 1er août 1601 (fo 424).
294
Aymon,
295
Délib. du 1er août 1601 (fo 424).
296
Délib. du 30 mai 1601 (fo 415).
297
V. ci-dessus, p. 8.
298
Délib. du 8 mai 1596 (fo 53).
299
Délib. du 23 octobre 1596 (fo 133).
300
Délib. du 10 mars 1599 (fo 270).
301
V. délib. du 4 juin 1597 (fo 182). – «Le sieur de Falgueroles adressera aux esglises circonvoysines le capuchin converty pour avoir assistance pour le fere mettre de mestier» (Délib. du 11 juin 1597, fo 183).
302
Cf.: «De Charles François, de Neufvile en Dauphiné, cy-devant curé, estant à présent à Montpellier faisant profession de la vraye religion» (Art. du synode prov. de Sauve (1597), B. P. F., copie Auzière).
303
Syn. prov. de Montpellier, séance du 10 juin 1605 (
304
Délib. des 18 et 21 octobre 1598 (
305
Délib. du 15 octobre 1597 (fo 195).
306
Délib. du 18 décembre 1596 (fo 144).
307
Délib. du 19 mars 1597 (fo 172).
308
Délib. du 15 janvier 1597 (fo 157).
309
Délib. du 13 février 1596 (fo 33).
310
Arch. du consist., B, 90, t. VII (registre des délibérations), fos 26-41.