Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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substitut du procureur s’écria, d’un ton narquois :

      – Le champ des investigations est étroit, il n’y a qu’à continuer les recherches commencées depuis quatre heures.

      – Peut-être serons-nous plus heureux.

      M. Filleul prit sur la cheminée la casquette en cuir, l’examina, et, appelant le brigadier de gendarmerie, lui dit à part :

      – Brigadier, envoyez immédiatement un de vos hommes à Dieppe, chez le chapelier Maigret, et que M. Maigret nous dise, si possible, à qui fut vendue cette casquette.

      « Le champ des investigations », selon le mot du substitut, se limitait à l’espace compris entre le château, la pelouse de droite, et l’angle formé par le mur de gauche et par le mur opposé au château ; c’est-à-dire un quadrilatère d’environ cent mètres de côté, où surgissaient çà et là les ruines d’Ambrumésy, le monastère si célèbre au moyen âge.

      Tout de suite, dans l’herbe foulée, on nota le passage du fugitif. À deux endroits, des traces de sang noirci, presque desséché, furent observées. Après le tournant de l’arcade, qui marquait l’extrémité du cloître, il n’y avait plus rien, la nature du sol, tapissé d’aiguilles de pin, ne se prêtant plus à l’empreinte d’un corps. Mais alors, comment le blessé aurait-il pu échapper aux regards de la jeune fille, de Victor et d’Albert ? Quelques fourrés, que les domestiques et les gendarmes avaient battus, quelques pierres tombales sous lesquelles on avait exploré, et c’était tout.

      Le juge d’instruction se fit ouvrir par le jardinier, qui en avait la clef, la Chapelle-Dieu, véritable bijou de sculpture que le temps et les révolutions avaient respecté, et qui fut toujours considérée, avec les fines ciselures de son porche et le menu peuple de ses statuettes, comme une des merveilles du style gothique normand. La chapelle, très simple à l’intérieur, sans autre ornement que son autel de marbre, n’offrait aucun refuge. D’ailleurs, il eût fallu s’y introduire. Par quel moyen ?

      L’inspection aboutissait à la petite porte qui servait d’entrée aux visiteurs des ruines. Elle donnait sur un chemin creux resserré entre l’enceinte et un bois-taillis où se voyaient des carrières abandonnées. M. Filleul se pencha : la poussière du chemin présentait des marques de pneumatiques, à bandages antidérapants. De fait, Raymonde et Victor avaient cru entendre, après le coup de fusil, le halètement d’une auto. Le juge d’instruction insinua :

      – Le blessé aura rejoint ses complices.

      – Impossible ! s’écria Victor. J’étais là, alors que Mademoiselle et Albert l’apercevaient encore.

      – Enfin, quoi, il faut pourtant bien qu’il soit quelque part ! Dehors ou dedans, nous n’avons pas le choix !

      – Il est ici, dirent les domestiques avec obstination.

      Le juge haussa les épaules et s’en retourna vers le château, assez morose. Décidément l’affaire s’annonçait mal. Un vol où rien n’était volé, un prisonnier invisible, il n’y avait pas de quoi se réjouir.

      Il était tard. M. de Gesvres pria les magistrats à déjeuner ainsi que les deux journalistes. On mangea silencieusement, puis M. Filleul retourna dans le salon où il interrogea les domestiques. Mais le trot d’un cheval résonna du côté de la cour, et, un instant après, le gendarme que l’on avait envoyé à Dieppe, entra :

      – Eh bien ! vous avez vu le chapelier ? s’écria le juge, impatient d’obtenir enfin un renseignement.

      – La casquette a été vendue à un chauffeur.

      – Un chauffeur !

      – Oui, un chauffeur qui s’est arrêté avec sa voiture devant le magasin et qui a demandé si on pouvait lui fournir, pour l’un de ses clients, une casquette de chauffeur en cuir jaune. Il restait celle-là. Il a payé sans même s’occuper de la pointure, et il est parti. Il était très pressé.

      – Quelle sorte de voiture ?

      – Un coupé à quatre places.

      – Et quel jour était-ce ?

      – Quel jour ? Mais ce matin.

      – Ce matin ? Qu’est-ce que vous me chantez là ?

      – La casquette a été achetée ce matin.

      – Mais c’est impossible, puisqu’elle a été trouvée cette nuit dans le parc. Pour cela il fallait qu’elle y fût, et par conséquent qu’elle eût été achetée auparavant.

      – Ce matin. Le chapelier me l’a dit.

      Il y eut un moment d’effarement. Le juge d’instruction, stupéfait, tâchait de comprendre. Soudain, il sursauta, frappé d’un coup de lumière.

      – Qu’on amène le chauffeur qui nous a conduits ce matin !

      Le brigadier de gendarmerie et son subordonné coururent en hâte vers les écuries. Au bout de quelques minutes, le brigadier revenait seul.

      – Le chauffeur ?

      – Il s’est fait servir à la cuisine, il a déjeuné, et puis…

      – Et puis ?

      – Il a filé.

      – Avec sa voiture ?

      – Non. Sous prétexte d’aller voir un de ses parents à Ouville, il a emprunté la bicyclette du palefrenier. Voici son chapeau et son paletot.

      – Mais il n’est pas parti tête nue ?

      – Il a tiré de sa poche une casquette et il l’a mise.

      – Une casquette ?

      – Oui, en cuir jaune, paraît-il.

      – En cuir jaune ? Mais non, puisque la voilà.

      – En effet, Monsieur le juge d’instruction, mais la sienne est pareille.

      Le substitut eut un léger ricanement.

      – Très drôle ! très amusant ! Il y a deux casquettes… L’une, qui était la véritable, et qui constituait notre seule pièce à conviction, est partie sur la tête du pseudo-chauffeur ! L’autre, la fausse, vous l’avez entre les mains. Ah ! Le brave homme nous a proprement roulés.

      – Qu’on le rattrape ! Qu’on le ramène cria M. Filleul. Brigadier Quevillon, deux de vos hommes à cheval, et au galop !

      – Il est loin, dit le substitut.

      – Si loin qu’il soit, il faudra bien qu’on mette la main sur lui.

      – Je l’espère, mais je crois, Monsieur le juge d’instruction, que nos efforts doivent surtout se concentrer ici. Veuillez lire ce papier que je viens de trouver dans les poches du manteau !

      – Quel manteau ?

      – Celui du chauffeur.

      Et le substitut du procureur tendit à M. Filleul un papier plié en quatre où se lisaient ces quelques mots tracés au crayon, d’une écriture un peu vulgaire :

       Malheur à la demoiselle si elle a tué le patron.

      L’incident causa une certaine émotion.

      – À bon entendeur, salut, nous sommes avertis, murmura le substitut.

      – Monsieur le comte, reprit le juge d’instruction, je vous supplie de ne pas vous inquiéter. Vous non plus, Mesdemoiselles. Cette menace n’a aucune importance, puisque la justice est sur les lieux. Toutes les précautions seront prises. Je réponds de votre sécurité. Quant à vous, Messieurs, ajouta-t-il en se tournant vers les deux reporters, je compte sur votre discrétion. C’est grâce à ma complaisance que vous avez assisté à cette enquête, et ce serait mal me récompenser…

      Il s’interrompit, comme si une idée


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