Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан

Les aventures complètes d'Arsène Lupin - Морис Леблан


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bijou ? C’est vous qui avez correspondu avec Arsène Lupin et simulé le vol ?

      Elle répondit :

      – C’est moi, Monsieur.

      Elle ne baissa pas la tête. Sa figure n’exprima ni honte ni gêne.

      – Est-ce possible ! murmura M. d’Imblevalle… je n’aurais jamais cru… vous êtes la dernière personne que j’aurais soupçonnée… comment avez-vous fait, malheureuse ?

      Elle dit :

      – J’ai fait ce que M. Sholmès a raconté. La nuit du samedi au dimanche, je suis descendue dans ce boudoir, j’ai pris la lampe, et, le matin, je l’ai portée… à cet homme.

      – Mais non, objecta le Baron, ce que vous prétendez est inadmissible.

      – Inadmissible ! Et pourquoi ?

      – Parce que le matin j’ai retrouvé fermée au verrou la porte de ce boudoir.

      Elle rougit, perdit contenance et regarda Sholmès comme si elle lui demandait conseil.

      Plus encore que par l’objection du Baron, Sholmès sembla frappé par l’embarras d’Alice Demun. N’avait-elle donc rien à répondre ? Les aveux qui consacraient l’explication que lui, Sholmès, avait fournie sur le vol de la lampe juive, masquaient-ils un mensonge que détruisait aussitôt l’examen des faits ?

      Le Baron reprit :

      – Cette porte était fermée. J’affirme que j’ai retrouvé le verrou comme je l’avais mis la veille au soir. Si vous aviez passé par cette porte, ainsi que vous le prétendez, il eût fallu que quelqu’un vous ouvrit de l’intérieur, c’est-à-dire du boudoir ou de notre chambre. Or, il n’y avait personne à l’intérieur de ces deux pièces… il n’y avait personne que ma femme et moi.

      Sholmès se courba vivement et couvrit son visage de ses deux mains afin de masquer sa rougeur. Quelque chose comme une lumière trop brusque l’avait heurté, et il en restait ébloui, mal à l’aise. Tout se dévoilait à lui ainsi qu’un paysage obscur d’où la nuit s’écarterait soudain.

      Alice Demun était innocente.

      Alice Demun était innocente. Il y avait là une vérité certaine, aveuglante, et c’était en même temps l’explication de la sorte de gêne qu’il éprouvait depuis le premier jour à diriger contre la jeune fille la terrible accusation. Il voyait clair maintenant. Il savait. Un geste, et sur le champ la preuve irréfutable s’offrirait à lui.

      Il releva la tête et, après quelques secondes, aussi naturellement qu’il le put, il tourna les yeux vers Mme d’Imblevalle.

      Elle était pâle, de cette pâleur inaccoutumée qui vous envahit aux heures implacables de la vie. Ses mains, qu’elle s’efforçait de cacher, tremblaient imperceptiblement.

      – Une seconde encore, pensa Sholmès, et elle se trahit.

      Il se plaça entre elle et son mari, avec le désir impérieux d’écarter l’effroyable danger qui, par sa faute, menaçait cet homme et cette femme. Mais à la vue du Baron, il tressaillit au plus profond de son être. La même révélation soudaine qui l’avait ébloui de clarté, illuminait maintenant M. d’Imblevalle. Le même travail s’opérait dans le cerveau du mari. Il comprenait à son tour ! Il voyait !

      Désespérément, Alice Demun se cabra contre la vérité implacable.

      – Vous avez raison, Monsieur, je faisais erreur… en effet, je ne suis pas entrée par ici. J’ai passé par le vestibule et par le jardin, et c’est à l’aide d’une échelle…

      Effort suprême du dévouement… mais effort inutile ! Les paroles sonnaient faux. La voix était mal assurée, et la douce créature n’avait plus ses yeux limpides et son grand air de sincérité. Elle baissa la tête, vaincue.

      Le silence fut atroce. Mme d’Imblevalle attendait, livide, toute raidie par l’angoisse et l’épouvante. Le Baron semblait se débattre encore, comme s’il ne voulait pas croire à l’écroulement de son bonheur.

      Enfin il balbutia :

      – Parle ! Explique-toi ! …

      – Je n’ai rien à te dire, mon pauvre ami, fit-elle très bas et le visage tordu de douleur.

      – Alors… Mademoiselle…

      – Mademoiselle m’a sauvée… par dévouement… par affection… et elle s’accusait…

      – Sauvée de quoi ? De qui ?

      – De cet homme.

      – Bresson ?

      – Oui, c’est moi qu’il tenait par ses menaces… je l’ai connu chez une amie… et j’ai eu la folie de l’écouter… oh rien que tu ne puisses pardonner… cependant j’ai écrit deux lettres… des lettres que tu verras… Je les ai rachetées… tu sais comment. Oh ! Aie pitié de moi… j’ai tant pleuré !

      – Toi ! Toi ! Suzanne !

      Il leva sur elle ses poings serrés, prêt à la battre, prêt à la tuer. Mais ses bras retombèrent, et il murmura de nouveau :

      – Toi, Suzanne !… Toi !… Est-ce possible !…

      Par petites phrases hachées, elle raconta la navrante et banale aventure, son réveil effaré devant l’infamie du personnage, ses remords, son affolement, et elle dit aussi la conduite admirable d’Alice, la jeune fille devinant le désespoir de sa maîtresse, lui arrachant sa confession, écrivant à Lupin, et organisant cette histoire de vol pour la sauver des griffes de Bresson.

      – Toi, Suzanne, toi… répétait M. d’Imblevalle, courbé en deux, terrassé… comment as-tu pu ?…

      Le soir de ce même jour, le steamer Ville-de-Londres qui fait le service entre Calais et Douvres, glissait lentement sur l’eau immobile. La nuit était obscure et calme. Des nuages paisibles se devinaient au-dessus du bateau, et, tout autour, de légers voiles de brume le séparaient de l’espace infini où devait s’épandre la blancheur de la lune et des étoiles.

      La plupart des passagers avaient regagné les cabines et les salons. Quelques-uns cependant, plus intrépides, se promenaient sur le pont ou bien sommeillaient au fond de larges rocking-chairs et sous d’épaisses couvertures. On voyait çà et là des lueurs de cigares, et l’on entendait, mêlé au souffle doux de la brise, le murmure de voix qui n’osaient s’élever dans le grand silence solennel.

      Un des passagers, qui déambulait d’un pas régulier le long des bastingages, s’arrêta près d’une personne étendue sur un banc, l’examina, et, comme cette personne remuait un peu, il lui dit :

      – Je croyais que vous dormiez, Mademoiselle Alice.

      – Non, non, Monsieur Sholmès, je n’ai pas envie de dormir. Je réfléchis.

      – À quoi ? Est-ce indiscret de vous le demander ?

      – Je pensais à Mme d’Imblevalle. Elle doit être si triste ! Sa vie est perdue.

      – Mais non, mais non, dit-il vivement. Son erreur n’est pas de celles qu’on ne pardonne pas. M. d’Imblevalle oubliera cette défaillance. Déjà, quand nous sommes partis, il la regardait moins durement.

      – Peut-être… mais l’oubli sera long… et elle souffre.

      – Vous l’aimez beaucoup ?

      – Beaucoup. C’est cela qui m’a donné tant de force pour sourire quand je tremblais de peur, pour vous regarder en face quand j’aurais voulu fuir vos yeux.

      – Et vous êtes malheureuse de la quitter ?

      – Très malheureuse. Je n’ai ni parents, ni amis… je n’avais qu’elle.

      – Vous aurez des amis, dit l’Anglais, que ce chagrin


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