Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
porta la main à son chapeau : une balle l’avait troué.
– Qu’en dites-vous, Ganimard ? Ah ! cela vient d’une bonne fabrique. Saluez, Messieurs, c’est le revolver de mon noble ami, maître Herlock Sholmès !
Et, d’un tour de bras, il lança l’arme aux pieds mêmes de Ganimard.
Sholmès ne pouvait s’empêcher de sourire et d’admirer. Quel débordement de vie. Quelle allégresse jeune et spontanée. Et comme il paraissait se divertir ! On eût dit que la sensation du péril lui causait une joie physique, et que l’existence n’avait pas d’autre but pour cet homme extraordinaire que la recherche de dangers qu’il s’amusait ensuite à conjurer.
De chaque côté du fleuve, cependant, des gens se massaient, et Ganimard et ses hommes suivaient l’embarcation qui se balançait au large, très doucement entraînée par le courant. C’était la capture inévitable, mathématique.
– Avouez, maître, s’écria Lupin en se retournant vers l’Anglais, que vous ne donneriez pas votre place pour tout l’or du Transvaal ! C’est que vous êtes au premier rang des fauteuils ! Mais, d’abord et avant tout, le prologue… après quoi nous sauterons d’un coup au cinquième acte, la capture ou l’évasion d’Arsène Lupin. Donc, mon cher maître, j’ai une question à vous poser, et je vous supplie, afin qu’il n’y ait pas d’équivoque, d’y répondre par un oui ou un non. Renoncez à vous occuper de cette affaire. Il en est encore temps et je puis réparer le mal que vous avez fait. Plus tard je ne le pourrais plus. Est-ce convenu ?
– Non.
La figure de Lupin se contracta. Visiblement cette obstination l’irritait. Il reprit :
– J’insiste. Pour vous encore plus que pour moi, j’insiste, certain que vous serez le premier à regretter votre intervention. Une dernière fois, oui ou non ?
– Non.
Lupin s’accroupit, déplaça une des planches du fond et, durant quelques minutes, exécuta un travail dont Sholmès ne put discerner la nature. Puis il se releva, s’assit auprès de l’Anglais, et lui tint ce langage :
– Je crois, maître, que nous sommes venus au bord de cette rivière pour des raisons identiques : repêcher l’objet dont Bresson s’est débarrassé ? Pour ma part, j’avais donné rendez-vous à quelques camarades, et j’étais sur le point – mon costume sommaire l’indique – d’effectuer une petite exploration dans les profondeurs de la Seine, quand mes amis m’ont annoncé votre approche. Je vous confesse d’ailleurs que je n’en fus pas surpris, étant prévenu heure par heure, j’ose le dire, des progrès de votre enquête. C’est si facile. Dès qu’il se passe, rue Murillo, la moindre chose susceptible de m’intéresser, vite, un coup de téléphone, et je suis averti ! Vous comprendrez que, dans ces conditions…
Il s’arrêta. La planche qu’il avait écartée se soulevait maintenant, et, tout autour, de l’eau filtrait par petits jets.
– Diable, j’ignore comment j’ai procédé, mais j’ai tout lieu de penser qu’il y a une voie d’eau au fond de cette vieille embarcation. Vous n’avez pas peur, maître ?
Sholmès haussa les épaules. Lupin continua :
– Vous comprendrez donc que, dans ces conditions, et sachant par avance que vous rechercheriez le combat d’autant plus ardemment que je m’efforçais, moi, de l’éviter, il m’était plutôt agréable d’engager avec vous une partie dont l’issue est certaine puisque j’ai tous les atouts en main. Et j’ai voulu donner à notre rencontre le plus d’éclat possible, afin que votre défaite fût universellement connue, et qu’une autre comtesse de Crozon ou un autre Baron d’Imblevalle ne fussent pas tentés de solliciter votre secours contre moi. Ne voyez là d’ailleurs, mon cher maître…
Il s’interrompit de nouveau, et, se servant de ses mains à demi fermées comme de lorgnettes, il observa les rives.
– Bigre ! ils ont frété un superbe canot, un vrai navire de guerre, et les voilà qui font force rames. Avant cinq minutes, ce sera l’abordage et je suis perdu. Monsieur Sholmès, un conseil : vous vous jetez sur moi, vous me ficelez et vous me livrez à la justice de mon pays… ce programme vous plaît-il ?… À moins que d’ici là, nous n’ayons fait naufrage, auquel cas il ne nous resterait plus qu’à préparer notre testament. Qu’en pensez-vous ?
Leurs regards se croisèrent. Cette fois Sholmès s’expliqua la manœuvre de Lupin : il avait percé le fond de la barque. Et l’eau montait.
Elle gagna les semelles de leurs bottines. Elle recouvrit leurs pieds : ils ne firent pas un mouvement.
Elle dépassa leurs chevilles : l’Anglais saisit sa blague à tabac, roula une cigarette et l’alluma.
Lupin poursuivit :
– Et ne voyez là, mon cher maître, que l’humble aveu de mon impuissance à votre égard. C’est m’incliner devant vous que d’accepter les seules batailles où la victoire me soit acquise, afin d’éviter celles dont je n’aurais pas choisi le terrain. C’est reconnaître que Sholmès est l’unique ennemi que je craigne, et proclamer mon inquiétude tant que Sholmès ne sera pas écarté de ma route. Voilà, mon cher maître, ce que je tenais à vous dire, puisque le destin m’accorde l’honneur d’une conversation avec vous. Je ne regrette qu’une chose, c’est que cette conversation ait lieu pendant que nous prenons un bain de pieds ! … Situation qui manque de gravité, je le confesse… et que dis-je un bain de pieds ! … Un bain de siège plutôt !
L’eau en effet parvenait au banc où ils étaient assis, et de plus en plus la barque s’enfonçait.
Sholmès, imperturbable, la cigarette aux lèvres, semblait absorbé dans la contemplation du ciel. Pour rien au monde, en face de cet homme environné de périls, cerné par la foule, traqué par la meute des agents, et qui cependant gardait sa belle humeur, pour rien au monde il n’eût consenti à montrer, lui, le plus léger signe d’agitation.
Quoi ! avaient-ils l’air de dire tous deux, s’émeut-on pour de telles futilités ? N’advient-il pas chaque jour que l’on se noie dans un fleuve ? Est-ce là de ces événements qui méritent qu’on y prête attention ? Et l’un bavardait, et l’autre rêvassait, tous deux cachant sous un même masque d’insouciance le choc formidable de leurs deux orgueils.
Une minute encore, et ils allaient couler.
– L’essentiel, formula Lupin, est de savoir si nous coulerons avant ou après l’arrivée des champions de la justice. Tout est là. Car, pour la question du naufrage, elle ne se pose même plus. Maître, c’est l’heure solennelle du testament. Je lègue toute ma fortune à Herlock Sholmès, citoyen anglais, à charge pour lui… mais, mon Dieu, qu’ils avancent vite, les champions de la justice ! Ah les braves gens ! Ils font plaisir à voir. Quelle précision dans le coup de rame ! Tiens, mais c’est vous, brigadier Folenfant ? Bravo ! L’idée du navire de guerre est excellente. Je vous recommanderai à vos supérieurs, brigadier Folenfant… est-ce la médaille que vous souhaitez ? Entendu… c’est chose faite. Et votre camarade Dieuzy, où est-il donc ? Sur la rive gauche, n’est-ce pas, au milieu d’une centaine d’indigènes ?… De sorte que, si j’échappe au naufrage, je suis recueilli à gauche par Dieuzy et ses indigènes, ou bien à droite par Ganimard et les populations de Neuilly. Fâcheux dilemme…
Il y eut un remous. L’embarcation vira sur elle-même, et Sholmès dut s’accrocher à l’anneau des avirons.
– Maître, dit Lupin, je vous supplie d’ôter votre veste. Vous serez plus à l’aise pour nager. Non ? Vous refusez ? Alors je remets la mienne.
Il enfila sa veste, la boutonna hermétiquement comme celle de Sholmès, et soupira :
– Quel rude homme vous faites ! Et qu’il est dommage que vous vous entêtiez dans une affaire… où vous donnez certes la mesure de vos moyens, mais si vainement ! Vrai, vous gâchez votre beau