Les aventures complètes d'Arsène Lupin. Морис Леблан
que je cherchais.
– Comment ! Vous cherchiez un renseignement et vous ne me le disiez pas !
– Je n’ai besoin de personne. D’ici trois heures je donnerai le mot de l’énigme à M. et Mme d’Imblevalle. Voilà l’unique réponse…
Il n’acheva pas sa phrase. La barque avait sombré d’un coup, les entraînant tous deux. Elle émergea aussitôt, retournée, la coque en l’air. Il y eut de grands cris sur les deux rives, puis un silence anxieux, et soudain de nouvelles exclamations : un des naufragés avait reparu.
C’était Herlock Sholmès.
Excellent nageur, il se dirigea à larges brassées vers le canot de Folenfant.
– Hardi, Monsieur Sholmès, hurla le brigadier, nous y sommes… ne faiblissez pas… on s’occupera de lui après… nous le tenons, allez… un petit effort, Monsieur Sholmès… prenez la corde…
L’Anglais saisit une corde qu’on lui tendait. Mais, pendant qu’il se hissait à bord, une voix, derrière lui, l’interpella :
– Le mot de l’énigme, mon cher maître, parbleu oui, vous l’aurez. Je m’étonne même que vous ne l’ayez pas déjà… et après ? À quoi cela vous servira-t-il ? C’est justement alors que la bataille sera perdue pour vous…
À cheval sur la coque dont il venait d’escalader les parois tout en pérorant, confortablement installé maintenant, Arsène Lupin poursuivait son discours avec des gestes solennels, et comme s’il espérait convaincre son interlocuteur.
– Comprenez-le bien, mon cher maître, il n’y a rien à faire, absolument rien… vous vous trouvez dans la situation déplorable d’un Monsieur…
Folenfant l’ajusta :
– Rendez-vous, Lupin.
– Vous êtes un malotru, brigadier Folenfant, vous m’avez coupé au milieu d’une phrase. Je disais donc…
– Rendez-vous, Lupin.
– Mais sacrebleu, brigadier Folenfant, on ne se rend que si l’on est en danger. Or vous n’avez pas la prétention de croire que je cours le moindre danger !
– Pour la dernière fois, Lupin, je vous somme de vous rendre.
– Brigadier Folenfant, vous n’avez nullement l’intention de me tuer, tout au plus de me blesser, tellement vous avez peur que je m’échappe. Et si par hasard la blessure était mortelle ? Non, mais pensez à vos remords, malheureux ! À votre vieillesse empoisonnée !…
Le coup partit.
Lupin chancela, se cramponna un instant à l’épave, puis lâcha prise et disparût.
Il était exactement trois heures lorsque ces événements se produisirent. À six heures précises, ainsi qu’il l’avait annoncé, Herlock Sholmès, vêtu d’un pantalon trop court et d’un veston trop étroit qu’il avait empruntés à un aubergiste de Neuilly, coiffé d’une casquette et paré d’une chemise de flanelle à cordelière de soie, entra dans le boudoir de la rue Murillo, après avoir fait prévenir M. et Mme d’Imblevalle qu’il leur demandait un entretien.
Ils le trouvèrent qui se promenait de long en large. Et il leur parut si comique dans sa tenue bizarre qu’ils durent réprimer une forte envie de rire. L’air pensif, le dos voûté, il marchait comme un automate, de la fenêtre à la porte, et de la porte à la fenêtre, faisant chaque fois le même nombre de pas, et pivotant chaque fois dans le même sens.
Il s’arrêta, saisit un bibelot, l’examina machinalement, puis reprit sa promenade.
Enfin, se plantant devant eux, il demanda :
– Mademoiselle est-elle ici ?
– Oui, dans le jardin, avec les enfants.
– Monsieur le Baron, l’entretien que nous allons avoir étant définitif, je voudrais que Mlle Demun y assistât.
– Est-ce que, décidément… ?
– Ayez un peu de patience, Monsieur. La vérité sortira clairement des faits que je vais exposer devant vous avec le plus de précision possible.
– Soit. Suzanne, veux-tu ?…
Mme d’Imblevalle se leva et revint presque aussitôt, accompagnée d’Alice Demun. Mademoiselle, un peu plus pâle que de coutume, resta debout, appuyée contre une table et sans même demander la raison pour laquelle on l’avait appelée.
Sholmès ne parut pas la voir, et, se tournant brusquement vers M. d’Imblevalle, il articula d’un ton qui n’admettait pas de réplique :
– Après plusieurs jours d’enquête, Monsieur, et bien que certains événements aient modifié un instant ma manière de voir, je vous répéterai ce que je vous ai dit dès la première heure : la lampe juive a été volée par quelqu’un qui habite cet hôtel.
– Le nom du coupable ?
– Je le connais.
– Les preuves ?
– Celles que j’ai suffiront à le confondre.
– Il ne suffit pas qu’il soit confondu. Il faut encore qu’il nous restitue…
– La lampe juive ? Elle est en ma possession.
– Le collier d’opales ? La tabatière ?…
– Le collier d’opales, la tabatière, bref tout ce qui vous fut dérobé la seconde fois est en ma possession.
Sholmès aimait ces coups de théâtre et cette manière un peu sèche d’annoncer ses victoires.
De fait le Baron et sa femme semblaient stupéfiés, et le considéraient avec une curiosité silencieuse qui était la meilleure des louanges.
Il reprit ensuite par le menu le récit de ce qu’il avait fait durant ces trois jours. Il dit la découverte de l’album, écrivit sur une feuille de papier la phrase formée par les lettres découpées, puis raconta l’expédition de Bresson au bord de la Seine et le suicide de l’aventurier, et enfin la lutte que lui, Sholmès, venait de soutenir contre Lupin, le naufrage de la barque et la disparition de Lupin.
Quand il eut terminé, le Baron dit à voix basse :
– Il ne vous reste plus qu’à nous révéler le nom du coupable. Qui donc accusez-vous ?
– J’accuse la personne qui a découpé les lettres de cet alphabet, et communiqué au moyen de ces lettres avec Arsène Lupin.
– Comment savez-vous que le correspondant de cette personne est Arsène Lupin ?
– Par Lupin lui-même.
Il tendit un bout de papier mouillé et froissé. C’était la page que Lupin avait arrachée de son carnet, dans la barque, et sur laquelle il avait inscrit la phrase.
– Et remarquez, nota Sholmès, avec satisfaction, que rien ne l’obligeait à me donner cette feuille, et, par conséquent, à se faire reconnaître. Simple gaminerie de sa part, et qui m’a renseigné.
– Qui vous a renseigné…. dit le Baron. Je ne vois rien cependant…
Sholmès repassa au crayon les lettres et les chiffres.
CDEHNOPRZEO-237.
– Eh bien ? fit M. d’Imblevalle, c’est la formule que vous venez de nous montrer vous-même.
– Non. Si vous aviez tourné et retourné cette formule dans tous les sens, vous auriez vu du premier coup d’œil, comme je l’ai vu, qu’elle n’est pas semblable à la première.
– Et en quoi donc ?
– Elle comprend deux lettres de plus, un E et un O.
– En effet, je n’avais pas