La fille des indiens rouges. H. Emile Chevalier

La fille des indiens rouges - H. Emile Chevalier


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était énergiquement attelée, mais le retenant avec les dents, elle tira de dessous son vêtement un poisson fumé, et le présenta à l'étranger.

      Le poisson n'était guère plus ragoûtant que la langue; mais, ventre affamé…

      Dubreuil ferma les yeux, pour ne point voir la trace sanglante dont les doigts de la charitable dame avaient marqué le cadeau, et il accorda enfin satisfaction à son estomac, en dépit des éloquentes protestations de son palais.

      Leur repas fini, les sauvages se partagèrent la carcasse du morse; chacun chargea sur son dos la portion qui lui revenait et ils engagèrent le capitaine à les suivre. Guillaume y consentit volontiers. Mais, avant de s'éloigner, il voulut s'assurer que son canot était solidement amarré au rivage.

      C'est pourquoi, en indiquant qu'il allait les rejoindre, il se prit à descendre rapidement les degrés qui menaient au bas de la falaise.

      Arrivé au pied, Dubreuil entra dans l'embarcation pour ferler la voile et abattre le mât.

      Il y était à peine, qu'un bruit assourdissant, comme la décharge de cent pièces d'artillerie, ébranle l'air, le sol et les ondes. De toutes parts des échos répercutent longuement ce son formidable, et l'un des promontoires de glace qui dominaient le canot de Dubreuil, s'effondre dans l'Océan, au milieu d'un déluge d'eau et d'un tourbillon de neige et de glace pulvérisée.

       Table des matières

      LE GROËNLAND

      Comment, enveloppé et entraîné par le cataclysme, Guillaume Dubreuil ne fut pas haché en morceaux, comment il ne, périt pas au fond des ondes, et comment il se trouva subitement transporté de son canot sur un glaçon à l'entrée du goulet, telles sont les questions que, souvent depuis, le capitaine se posa sans les pouvoir résoudre d'une façon satisfaisante. N'étant pas mieux renseigné que lui, nous nous bornons à constater qu'il était alors mouillé jusqu'aux os et épuisé de fatigue.

      Probablement, dans la catastrophe, il avait été renversé à l'eau; puis, étourdi, il avait, poussé par l'instinct de la conservation, nagé, s'était accroché à ce glaçon flottant sur lequel il se tenait tout transi, et était parvenu à s'établir au sommet.

      Qu'il en soit ou non ainsi, le remous des vagues, après l'accident, charriait le fragment de glace vers la haute mer. La chaloupe avait été submergée: on n'en voyait plus aucun vestige.

      S'il n'eût été épuisé, Dubreuil se serait remis à la nage pour gagner la rive. Mais ses forces l'avaient abandonné.

      Le glaçon fuyait toujours.

      Guillaume éleva les bras vers les sauvages, groupés à la pointe du promontoire faisant face à celui qui venait de s'ébouler. Mais, de la hauteur où ils se trouvaient, à peine pouvait-on distinguer ses signes. L'un des Indiens, cependant, saisit une lance et mira le glaçon. Dubreuil, qui guettait tous leurs mouvements, crut d'abord qu'ils en voulaient à sa vie. Il se roula dans une crevasse, pour se dérober à la visée du sauvage, et l'arme tomba à quelques pieds de lui.

      Il s'attendait à recevoir une grêle de traits. Mais remarquant que les Indiens restaient maintenant immobiles, il comprit leur intention. La lance lui avait été envoyée comme un instrument capable de l'aider dans sa périlleuse situation.

      En effet, quand il se releva pour la ramasser, les indigènes manifestèrent, par une pantomime expressive leur joie d'avoir été devinés. Longue de douze pieds, cette lance se composait d'une dent de narval fixée à un manche de frêne.

      Le capitaine s'en servit tantôt comme d'une gaffe, tantôt comme d'une rame, pour empêcher son radeau de dériver davantage, puis pour le ramener dans la petite anse. Sa lassitude et le retrait de la marée rendaient la besogne ardue. Heureusement, deux sauvages descendirent la côte et vinrent lui prêter leur assistance, en se jetant à la mer et en remorquant le glaçon jusqu'au rivage.

      Dubreuil grelottait; quant à ses libérateurs, ils paraissaient aussi à l'aise, dans leurs vêtements ruisselants d'eau, que si de chaudes et sèches fourrures les eussent enveloppés.

      Tous trois remontèrent la côte, et la petite troupe se mit en marche, après avoir témoigné le plaisir qu'elle avait de revoir l'homme blanc.

      Ces gens étaient d'une taille au-dessous de la moyenne; ils avaient les yeux noirs, petits, perçants, inclinés comme ceux des Tartares; les pommettes des joues saillantes, le teint cuivré; point de barbe. Les traits de la femme différaient peu de ceux des hommes, mais ils étaient moins rudes; elle portait les cheveux relevés et retombant en arrière.

      Son costume et celui de ses compagnons avaient une grande ressemblance, à l'exception d'un pan descendant de sa pelisse sur les talons, comme les basques d'un habit, et du capuchon, qui était beaucoup plus ample, car, ainsi que nous l'avons dit, il servait de berceau à un nourrisson.

      Ce costume était une jaquette en double peau de renne ou de phoque, poil en dedans, poil en dehors, garni, comme le froc d'un moine, d'un capuce, pour couvrir la tête et les épaules. Le vêtement descend jusqu'aux genoux. Les culottes, de même matière, sont très-courtes. Elles ne montent pas au-dessus des reins, afin de ne point gêner la liberté des mouvements.

      Sur leur jaquette, ils portaient une chemise fabriquée avec des intestins de phoque, et, sur le tout, quelques-uns avaient une camisole de peau tannée. De grandes bottes fourrées sans talons, avec plis devant et derrière, également en peau de renne ou de veau marin, complétaient l'habillement, cousu avec des boyaux de poisson, artistement taillé et orné de bandelettes de pelleteries de couleurs variées.

      Les couteaux, arcs, flèches, lances dont ils étaient armés, avaient été tirés des ossements de la baleine, des dents du morse ou du narval et des branches du pin ou du frêne.

      Tout en marchant péniblement, Dubreuil faisait ces observations, au bout d'une heure, ses yeux, irrités par la constante réflexion des glaces, purent enfin se reposer sur un paysage moins monotone et plus animé, bien propre à réjouir le coeur du capitaine, après les épreuves qu'il venait de subir.

      C'était une plaine ou plutôt un vallon verdoyant, enfermé dans de hautes montagnes, plaquées de neiges éternelles. Dépeindre les richesses relatives de ce vallon serait impossible. Je ne saurais le comparer qu'à une oasis dans le désert africain: au fait, n'était-ce pas une des oasis du désert hyperboréen? On n'y voyait pas de majestueux palmiers, sans doute, pas de cocotiers gigantesques, aucun des monarques du règne végétal; mais les bouquets de saules nains aux feuilles d'émeraude, les quinconces de pins, les massifs de petits frênes tremblotant et murmurant à la brise, charmaient le regard déjà séduit par les fleurs chatoyantes qui émaillaient le sol:—l'angélique avec ses ombelles chargées d'or, le romarin, étalant des gueules d'un pâle azur, la cochléaria, penchée sous ses grappes d'albâtre, le thym aux appétissants parfums, et la tormentille, et l'herbe jaune dont la racine a l'odeur des roses, et cent autres plantes communes avec les contrées plus méridionales ou particulières à ce climat.

      La scène enchantait Dubreuil, quoique ce fût une faible miniature des riches paysages européens, et comme le dernier effort de la féconde nature expirante. Mais ce qui flattait surtout notre homme, c'était la vue d'une dizaine de cabanes, dans l'une desquelles il espérait pouvoir bientôt reposer ses membres harassés par les labeurs de la journée.

      Ces huttes étaient de deux sortes: celles-ci avaient la forme d'un four, celles-là d'un pain de sucre. Les premières paraissaient des demeures stables. Un mur de trois pieds d'élévation, recouvert avec des peaux et des mottes de terre, en composait l'enceinte. On y pénétrait par un trou étroit semi-circulaire. Les secondes ressemblaient à des tentes: pour charpente, elles avaient de longues perches, réunies au sommet comme les branches d'un compas, pour revêtement, des peaux de phoque ou de renne, huilées afin de les rendre imperméables


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