La fille du pirate. H. Emile Chevalier

La fille du pirate - H. Emile Chevalier


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le Corbeau!

      —Mais encore, capitaine…

      —Allons, il faut nous préparer à mourir. Avoir traversé le grain pour tomber sous la griffe du Corbeau, mille sabords!

      —Mais, persista le fils de l'armateur, expliquez-moi au moins de quoi il s'agit.

      —Il s'agit, monsieur, répliqua le vieux marin, de faire vos dispositions testamentaires. Tenez, voici le Corbeau qui croasse; comprenez-vous!

      Comme le capitaine prononçait ces mots, un éclair illumina les ondes de l'Atlantique, puis une détonation se fit entendre et deux boulets ramés balayèrent le pont de l'Alcyon.

      —C'est un corsaire! s'écria Charles avec impétuosité, il faut nous battre. Nous avons des armes et des munitions…

      Le capitaine haussa les épaules.

      —Une embarcation à la mer! ordonna-t-il.

      Quand le canot eut été mis à flots, le commandant y descendit, accompagné de quatre vigoureux rameurs.

      —Mais qu'est-ce que cela signifie? répétait Charles étonné d'un incident aussi extraordinaire.

      —Cela signifie, monsieur, que dans une heure nous servirons probablement de pâture aux requins, lui répliqua le troisième.

      —Pourquoi ne pas nous défendre?

      —Se défendre contre le Corbeau! examinez un peu cette mâchoire!

      IV

      La corvette, poussée par une fraîche brise nord-ouest, nageait rapidement, toutes voiles déferlées, depuis ses royales jusqu'à ses focs et ses bonnettes hautes et basses.

      C'était un magnifique navire de guerre cambré, svelte, élancé comme un yacht, portant fièrement son encolure, et plus fièrement encore ses trois flèches qui ployaient comme des baleines sous le fardeau de ses toiles gonflées.

      A la proue un immense corbeau, les ailes déployées, semblait prêt à fondre sur sa proie.

      Deux caronades, du plus fort calibre, avançaient leurs gueules béantes au-dessus de l'envergure au menaçant volatile, perché immédiatement sous le beaupré.

      Les vingt sabords du Corbeau étaient garnis de vingt canons.

      La gueule de ces vingt canons avait été peinte en rouge comme la ligne de la préceinte.

      Sur le pont, au pied des mâts, se tenaient des groupes d'hommes armés jusqu'aux dents.

      Tous étaient vêtus de chemises rouges, à large collet rabattu, bordé d'un filet noir, et de pantalons gris de fer, serrés à la taille par une ceinture de cuir, dans laquelle étaient passés des pistolets, un poignard, et une hache à double tranchant.

      Ils avaient la tête et les bras nus.

      Au moment où le canot détaché de l'Alcyon approchait du Corbeau, ce dernier amenait sa voilure et préparait ses grappins d'abordage.

      Le capitaine François héla, et peu après son esquif était hissé par les palans du Corbeau.

      Un homme se promenait seul sur la dunette.

      Il avait la physionomie dure, le visage bronzé, les yeux pleins d'un feu sombre et une épaisse barbe noire. Sa stature était élevée, ses membres noués à des attaches souples, nerveuses, ses mouvements brusques, impérieux.

      Un chapeau de toile cirée, sans ornement, couvrait son chef, mais sa veste en velours brun, ainsi que son pantalon, de même étoffe, étaient galonnés d'argent.

      A son côté pendait un sabre turc, et à la main droite il tenait un porte-voix.

      Ce personnage paraissait avoir trente ans environ.

      Le capitaine de l'Alcyon marcha bravement à lui.

      —Comment s'appelle ta coquille de noix? fit le pirate avec un accent gascon très-prononcé.

      —L'Alcyon.

      —De quoi se compose la cargaison!

      —De vins.

      —Et puis?

      —Des conserves.

      —As-tu des passagers?

      —Une vingtaine, pour lesquels je suis venu réclamer votre pitié.

      Le forban sourit ironiquement.

      —Où allais-tu?

      —A la Nouvelle-Orléans. Mais le mauvais temps…

      —Et tu venais!

      —De Marseille.

      —Ah! de Marseille, fit l'autre avec une certaine émotion.

      Ensuite, il se tourna, leva un doigt en l'air; et quatre hommes se jetèrent sur le capitaine François, le terrassèrent et lui garottèrent les pieds et les poings. Les rameurs qui l'avaient suivi subirent le même sort.

      V

      Déjà le Corbeau accostait l'Alcyon.

      Le premier de ces vaisseaux mit en panne et amarra le second à ses flancs.

      Les flibustiers se précipitèrent sur leur victime comme des vautours sur un cadavre. Nul parmi les matelots du bâtiment marchand n'osa leur opposer de résistance. La terreur qu'inspirait le nom seul du Corbeau avait glacé d'effroi les plus braves. Tous furent liés et transbordés, ainsi que les passagers, à l'exception du fils de l'armateur.

      Charles, maudissant la lâcheté de ces gens, s'était armé d'une paire de pistolets, et, adossé au gouvernail, il menaçait de brûler la cervelle à quiconque tenterait de s'emparer de sa personne. D'abord intimidés par cette attitude déterminée, les forbans reculèrent, puis ils se ruèrent, comme des furieux, contre l'intrépide jeune homme. Mais celui-ci fit feu de ses deux coups et deux pirates tombèrent; leurs compagnons poussèrent un cri de vengeance et fondirent en masse sur Charles, qui, sans perdre son sang-froid, s'était emparé d'une barre de cabestan et la faisait voltiger autour de lui avec une redoutable dextérité.

      Déjà son levier avait mis hors de combat nombre des assaillants, lorsqu'un officier du Corbeau, impatienté de cette lutte compromettante pour les siens, épaula une petite carabine, ajusta le fils de l'armateur et lâcha la détente.

      Atteint au dessous de l'omoplate, Charles laissa choir la barre de cabestan dont il s'était fait un si formidable auxiliaire, et s'affaissa sur le pont.

      VI

      Alors commença le pillage de l'Alcyon. Mais tout s'accomplit dans le plus grand ordre. Une discipline de fer courbait la nature sauvage de ces démons à face humaine. La cargaison du navire capturé passa rapidement sur le navire captureur. Ensuite tous les individus trouvés à bord de l'Alcyon, depuis le capitaine jusqu'au dernier mousse, furent liés deux à deux, et jetés à la mer avec un boulet de trente-six aux pieds.

      En accomplissant cette affreuse exécution, les matelots du Corbeau ne riaient ni ne gémissaient.

      Ils étaient calmes, insensibles.

      Pour eux ces meurtres n'avaient rien d'odieux. C'était une coutume, un devoir, une nécessitée. D'ailleurs c'était la règle.

      Chaque fois que le Corbeau faisait une prise,—et cela arrivait fréquemment,—nul ne recevait quartier; et pas un des marins engagés sur les paquebots transatlantiques ne l'ignorait; aussi la réputation de la corvette noire était-elle en harmonie avec l'épouvante que son équipage inspirait.

      Ordinairement le Corbeau croisait


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