La fille du pirate. H. Emile Chevalier

La fille du pirate - H. Emile Chevalier


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      Il était midi. Le soleil, voilé depuis le matin par de légères brumes, perçait à l'orient. Aux teintes blanchâtres de l'atmosphère succédait peu à peu un azur limpide, dont les réverbérations sur la nappe aqueuse se doraient aux tièdes rayons de l'astre du jour.

      La nature semblait sourire en déployant ses grandeurs célestes et marines.

      L'homme s'élevait à la contemplation de ce beau spectacle.

      Rien, à notre avis ne parle plus éloquemment à l'esprit et au coeur que le tableau du ciel et de la pleine mer.

      Immensité sous immensité!

      Mystère contre mystère!

      Ou suis-je? que suis-je?

      Ces deux questions se pressent sur vos lèvres.

      Soyez chrétien, musulman, païen, idolâtre, déiste, panthéiste, polythéiste, rationaliste, matérialiste, nihiliste,—soyez ce que vous voudrez,—si votre vue n'a plus d'autre limite que le firmament et l'eau, vous rougirez de votre petitesse, et un moment, une minute, une seconde, vous douterez! Non, il n'y a pas de croyance humaine qui résiste à l'infini! Notre nature est trop bornée pour cela.

      En tout, pour comprendre, pour être fort, il nous faut du tangible, du palpable, du malléable.

      Nous nous impatientons malgré nous, contre ce qui cesse de frapper nos sens.

      Et cette impatience nous amène à dire avec Montaigne:

      —Que sais-je?

      Puis avec Shakspeare:

      —Suis-je ou ne suis-je pas!

      VIII

      La nuit vint:—nuit calme et poétique.

      A la voûte céleste couraient des petits nuages diaphanes, derrières lesquels la lune mirait son disque argenté. Plus uni qu'une glace était l'Océan, réfléchissant, dans sa transparence, la coupole de l'empirée.

      O nuit d'amour, de langueur, de volupté!

      Cependant une masse sombre, informe, se dressait au milieu de l'Atlantique.

      L'onde clapotait à petit bruit autour, et formait de légères franges d'écume, qui allaient en dégradant insensiblement, et finissaient par se confondre dans le bleu de la plaine liquide.

      Cette masse, c'était la carcasse de l'Alcyon.

      Après avoir dépouillé le brick, les corsaires l'avaient abandonné à la grâce de Dieu.

      Et toujours l'onde clapotait à petit bruit autour et formait de légères franges d'écume, qui allaient en dégradant insensiblement, et finissaient par se perdre dans le bleu de la plaine liquide.

      Tout était morne, silencieux à bord de l'Alcyon, pauvre navire si gai la veille, si fringant, si animé!

      On eût dit d'une tombe placée sur une autre tombe!

      Mais écoutez!

      Ce n'est pas un murmure des vagues, ce n'est pas un soupir de la brise, pas le cri d'un oiseau de nuit, c'est un gémissement humain!

      Et toujours l'onde clapote à petit bruit autour de l'Alcyon, et forme des franges d'écume neigeuse, qui vont se dégradant et finissent par se perdre dans le bleu de la plaine liquide!

      C'est un gémissement humain!

      Je croyais pourtant que le Corbeau n'avait pas laissé créature vivante à bord de l'Alcyon.

      Mais le gémissement recommence; un homme se soulève péniblement près du gouvernail, il passe la main sur son front, il interroge ses souvenirs.

      C'est Charles, c'est le fils de l'armateur marseillais!

      Et toujours l'onde clapote à petit bruit autour du brick et forme de légères franges d'écume, qui vont se dégradant peu à peu et finissent par se fondre dans le bleu de la plaine liquide.

      IX

      Oui, c'était Charles.

      Notre brave jeune homme n'avait pas été grièvement blessé. A son évanouissement il devait la vie; car un lambeau de toile étant tombé sur son corps, peu après sa chute, et l'ayant recouvert, les forbans n'avaient plus pris attention à lui.

      En recouvrant la connaissance, il se sentit très-faible, mais, à mesure que ses forces revenaient, sa mémoire se faisait jour.

      Il se traîna à sa cabine, où par bonheur il trouva quelques provisions négligées par les bandits.

      Il mangea modérément et retourna se coucher sur le couronnement.

      Deux jours après, un bateau-pilote le recueillait et le transportait à

       Halifax.

      Il écrivit aussitôt à son père.

      La perte successive de plusieurs bâtiments avait ruiné celui-ci, qui répondit qu'il partait pour les Grandes-Indes afin d'y tenter fortune.

      Désormais Charles était sans ressources. Mais il était plein de force et d'énergie. L'adversité le trouva inébranlable.

      S'étant rendu à Québec, il y entreprit un petit commerce et se maria avec une Canadienne.

      Elle était belle et aimante. Durant quelques années, Charles jouit d'une félicité sans nuages.

      Par malheur, le sort, acharné à sa poursuite, lui ménageait un dernier coup.

      Sa femme le rendit père et mourut dans les douleurs de l'enfantement.

      C'en était trop!

      Charles ne put survivre à son affliction. Bientôt il suivait son épouse au tombeau et laissait sur cette terre de souffrance une orpheline, nommée Angèle.

      Angèle avait sur l'épaule gauche une tache de rousseur, ayant la forme d'un papillon.

       Table des matières

      LE CHARRETIER

      I

      Prenez-le à Londres, à Paris, à Rome, à Madrid, à Lisbonne, à Vienne, à Berlin, à Saint-Pétersbourg, à New-York, à Québec ou à Montréal, et le conducteur de voitures publiques sera toujours le même—un type unique. Il est à la fois l'être le plus remuant et le plus pacifique de la terre. Sa gaîté est inaltérable, sa docilité à l'épreuve, sa discrétion proverbiale. Causeur par tempérament, il sait se rendre muet comme Harpocrate. Aussi curieux qu'une femme, il compte la prudence parmi ses premières qualités. Observateur pénétrant, sa finesse ne trahit jamais le résultat de ses investigations. Vif jusqu'à l'excès, il est d'une patience angélique, s'il le faut. Têtu comme une mule de la Sierra-Morena, on ne l'a point encore vu résister aux flatteries d'un louis. Ennemi juré de la police, il est à tu et à toi avec ses agents. Enfin, soit qu'il reste stationnaire, soit qu'il marche, soit qu'il trotte, soit qu'il galope, soit qu'il vole, le conducteur de voitures publiques est le factotum de la société. Que de services n'a-t-il pas rendus? Que de services ne rend-il pas et ne rendra-t-il pas? On devrait lui voter des médailles, lui attacher des décorations sur la poitrine, lui ériger des statues! Mais l'humanité est ainsi faite: elle méprise ceux qui lui sont utiles pour encenser ceux qui lui sont nuisibles!

      Cependant, perché sur son strapontin, comme un cormoran au sommet d'un rocher, le conducteur de voitures publiques regarde onduler la foule à ses pieds, et rit sous cape, en sifflant un air de sa composition; car il est poète, il est artiste, notre homme!


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