La fille du pirate. H. Emile Chevalier

La fille du pirate - H. Emile Chevalier


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de sa projection, car le crochet rasa le chaperon du mur, et alla se balancer par derrière.

      Alors, Mike retira doucement sa corde, jusqu'à ce qu'il éprouvât de la résistance.

      L'instrument était ancré au rebord du mur.

      —A vous! dit Mike.

      Alphonse s'étant cramponné à la corde, commença de grimper. Son compagnon l'imita sur-le-champ.

      Ils parvinrent heureusement au terme de leur ascension.

      Déjà, ils s'apprêtaient à descendre, lorsqu'un cliquetis d'armes retentit. Mus par un même instinct, les deux fugitifs se couchèrent à plat-ventre.

      —Numéro 1. Minuit. Tout….

      V

      Une détonation troubla le silence de la nuit. La sentinelle avait distingué des ombres qui se mouvaient sur le couronnement du mur.

      Mike poussa une exclamation de douleur, et se laissa choir dans l'intérieur de la prison.

      Se sachant découvert, Alphonse sauta vivement de l'autre côté.

      Mais l'alarme était donnée. Les factionnaires extérieurs se tenaient sur le qui vive, tandis que le poste alors établi devant la Place Jacques-Cartier, se mettait en mouvement.

      Alphonse était maladroitement tombé, et, dans sa chute, s'était blessé à la tête.

      Par bonheur, toutefois, il ne défaillit point. Se relevant donc avec une agilité incroyable, il traversa le Champ-de-Mars et gagna la rue Saint-Louis, qu'il longea à toutes jambes.

      Mais un soldat l'avait aperçu, et s'était mis à sa poursuite, ainsi que plusieurs de ses camarades. Le malheureux évadé, comprenant qu'il ne leur échapperait qu'en leur faisant perdre sa trace à travers le dédale de ruelles qui s'enchevêtrent dans le faubourg Québec, enfila d'abord la rue Perthuis, tourna à gauche, et enfin se jeta dans la rue du Loup.

      Son sang coulait avec abondance, ses forces diminuaient insensiblement.

       Alphonse se convainquit qu'il ne pourrait aller plus loin.

      Ses oreilles bourdonnaient; il lui semblait ouïr crier de toutes parts;

       «Arrêtez-le! arrêtez-le!»

      Éperdu, égaré, fiévreux, le fuyard se précipita dans une allée sombre, ouvrit une porte, et s'évanouit presque sur le seuil de l'appartement où il était entré.

      VI

      Les moeurs canadiennes ont conservé toute la naïve simplicité des anciennes moeurs françaises. Rien n'a été altéré ou oblitéré. L'Européen qui arrive au Canada se croit transporté parmi les Français d'avant la révolution de 89. Institutions, coutumes, préjugés, sont ici en vigueur comme ils l'étaient sous le règne de Louis XVI. Seule la langue a été adultérée. Il s'y est glissé quelques anglicismes. Mais encore ces adultérations ne sont-elles sensibles que dans les villes; les campagnes n'ont pas eu à les subir. Les habitants parlent le patois des paysans normands, et bien peu entendent l'anglais.

      Cependant les moeurs canadiennes l'emportent sur les vieilles moeurs françaises, parce qu'elles sont généralisées et non localisées dans telle ou telle classe de la société. En d'autres termes, la même dénomination souvent est affectée aux usages de ce pays. Pour n'en montrer qu'un exemple, nous parlerons de la veillée.

      Jadis la veillée était fort à la mode parmi les Français; à cette heure elle n'est plus guère connue que dans les petits villages éloignés des grandes routes. Dans les villes, on ne connaît que la soirée ou le bal. C'est là ce qui a remplacé la douce veillée, candide, bergère, sans apprêt, sans luxe, sans prétention, la veillée où l'on contait des histoires bien lugubres, où l'on caquetait, où l'on tillait, où l'on filait, où l'on dansait gaîment, et où l'on s'aimait plus avec le coeur qu'avec les lèvres.

      Le Canada a échappé aux soirées! Vraiment, nous l'en félicitons et nous souhaitons que toujours il ignore les ridicules et les inconvénients de la soirée.

      Citadins et villageois, ministres et négociants, crésus et prolétaires, tout le monde donne des veillées sur les bords du Saint-Laurent, et c'est plaisir que d'assister à ces charmantes réunions, desquelles ont été bannis l'étiquette, la morgue, le froid décorum, et toutes les sottises empesées qui glacent les relations des peuples ultra-civilisés.

      Lecteur, ce que nous venons d'écrire n'est pas brillant, tant s'en faut! c'est que nous avons pour les réflexions la même horreur que vous, et que notre plume a profité d'une distraction de notre cerveau pour faire des siennes; pardonnez-lui cette incartade qui, hélas! ne sera probablement pas la dernière.

      VII

      Or, il y avait veillée, ce soir-là, chez Pierre Morlaix, demeurant au coin de la rue des Voltigeurs.

      Pierre Morlaix était le plus riche charretier de Montréal. Il possédait alors deux calèches, trois traîneaux et quatre carrioles; en outre une douzaine de chevaux de traits, plusieurs lots de terrains, et la maison qu'il habitait, rue des Voltigeurs.

      Jolie maison, ma foi!—coquette, pimpante, en briques rouges, striées de filets blancs, aux contrevents verts, et au toit de zinc,—un véritable nid d'amour!

      Les veilleurs étaient réunis dans la salle.

      Cette pièce était à peu près la même dans toutes les maisons des ouvriers canadiens à leur aise.

      Si elle ne se recommande point par le luxe du décor et de l'ameublement, elle est unique pour la propreté. Pas de tentures aux murailles, mais une sorte de grisaille tirant sur le bleu-foncé; pas de tapis pour appuyer le pied, mais un parquet de sapin, lavé chaque matin, et d'une blancheur immaculée; pas de plafond lambrissé ou moulé, mais de petites solives bien équarries, et supportant le plancher supérieur.

      Pour des meubles, la salle n'en a guère. A l'exception d'une huche, d'un buffet, d'une table pliante et de quelques chaises d'écorce, je ne sais pas trop ce qu'y pourrait trouver un encanteur[2].

      [Note 2: Profession correspondant à celle de commissaire-priseur.]

      Toutefois n'omettons pas certains traits caractéristiques.

      La salle a une cheminée dont la tablette est généralement chargée de pieuses figurines, en cire ou en plâtre, et le manteau orné d'une splendide enluminure, représentant la victoire de saint Michel sur le Diable, ou la décollation de saint Jean-Baptiste, ou le Jugement Dernier. Souvent aussi, dans des cadres de bois noirci, pendus çà et là, vous remarquez les Quatre Saisons, ou un élégant, frisé, pincé, musqué, et paraphant Victor, ou une élégante, haute en couleurs, étranglée à la taille comme une guêpe, et signant Louise; enfin, au-dessus du buffet, votre oeil rencontre invariablement, placés à chaque extrémité, des courges, des citrouilles, ou des coloquintes, bref quelques membres de la famille des cucurbitacées, et, au centre, un pot de fleurs artificielles et plus fréquemment une corbeille de fruits en plâtre, coloriés avec un luxe inouï.

      Voilà la salle canadienne, qu'en pensez-vous?

      VIII

      Donc il y avait veillée chez Pierre Morlaix, demeurant au coin de la rue des Voltigeurs.

      Et je vous promets que si jamais veillée fut joyeuse, ce fut celle-là.

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