Les derniers Iroquois. H. Emile Chevalier

Les derniers Iroquois - H. Emile Chevalier


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vis à vis de l'île Vancouver, et en bas la rivière Smiths, oui se verse dans l'Océan. Ces bornes ne sont toutefois pas définitives, car après avoir semblé se perdre dans les vallées spacieuses, les Cascades reparaissent plus robustes, plus sourcilleuses que jamais et projettent d'un côté leur tête chenue jusque sous le pôle, tandis que, par le mont Shasté, elles descendent jusqu'en Californie, baigner leurs pieds aux ondes du Sacramento.

      Plusieurs des pics qui, de même que des sentinelles géantes, les dominent de distance en distance, sont volcaniques et sujets à des éruptions fréquentes: de ce nombre, le Baker, haut de 10,700 pieds anglais.

      Tout d'un coup, les sons qui montaient à sa base cessèrent. Il se fit un silence solennel, à peine troublé par le frémissement des feuillages au souffle de la brise.

      On eût dit que la solitude était complète, dans ces régions incultes et lointaines.

      Mais, soudain, une flamme claire, pétillante, jaillit à travers les ténèbres: elle embrasse un étroit horizon. Au même instant, les chants recommencent, et, dans le cercle de feu, on voit, comme sur le rideau d'une lanterne magique, s'agiter des personnages aux proportions effrayantes.

      Le regard est attiré et repoussé tout à la fois.

      Assiste-t-on à une scène de ce monde ou à quelque mystérieuse fantasmagorie telle qu'il ne s'en montre que dans les hallucinations d'un esprit en délire?

      Quoi qu'il en soit, le chant hausse. C'est une sorte d'antienne cadencée, soutenue par l'accompagnement monotone de plusieurs tambourins.

      Dans cette musique grave et douce, bien qu'inharmonique, au milieu de cette nuit sombre, sans écho, il y a quelque chose d'indicible qui attriste le coeur et le refroidit. Si nous étions en Europe, au Moyen Age, je croirais à une lugubre cérémonie religieuse accomplie par des fanatiques. Mais, au fond de l'Amérique septentrionale!...

      Examinons d'ailleurs: simple torche en paraissant, la flamme s'est développée; elle a grandi; elle s'est élargie; elle a gagné en intensité, et la voici qui s'évanouit: on ne distingue plus que des lueurs rouges, enfouies sous des tourbillons de fumée blanchâtre; des craquements se font entendre; une pénétrante senteur de résine sature l'air; et, subitement, un éclair sillonne les vapeurs, comme la foudre sillonne les nuées, des torrents de lumière se précipitent de toutes parts.

      Le tableau se présente à nous mieux accentué qu'en plein jour.

      Au premier plan, vers le faîte d'une éminence, un bûcher; sur ce bûcher deux corps humains; tout à l'entour une bande d'Indiens, sans armes et sans autres habillements que la kalaquarté, ou jupon court en filaments d'écorce de cèdre; à droite, attaché à un pin, un autre Indien vêtu en trappeur du Nord-Ouest; sur la gauche une petite troupe de chevaux broutant le gazon, et, par derrière, le Baker dont les flancs abrupts se confondent avec l'obscurité, après avoir dessiné un instant, sous les réverbérations du brasier, leurs crêtes rugueuses, hérissées de pins séculaires.

      La plupart des sauvages dansaient, en nasillant leur psalmodie, devant le bûcher; quelques-uns gesticulaient et se livraient à des contorsions fantastiques; ceux-ci frappaient avec de petits bâtons sur des co-lu-de-sos, instruments assez semblables à nos tambours de basque, et ceux-la attisaient le feu.

      Déjà, de ses langues dévorantes, il ronge le bûcher entier, quand une des formes humaines, étendues à son sommet, se lève brusquement en poussant un cri de douleur.

      Un moment elle reste debout, ceinte par les flammes comme par une radieuse auréole. Une peau de buffle, dont elle était enveloppée, tombe à ses pieds, et, alors, on découvre que cette peau cachait une femme, jeune, belle, pleine de séductions.

      Nulle couverte, nulle tunique de chasse ne dérobe ses merveilleux attraits. A l'exception de la kalaquarté, elle est dans l'état de nature, et l'on se sent saisi d'admiration à l'aspect de tant de charmes réunis sur une même personne.

      Cependant, comme ceux qui l'environnent, le sang de la race rouge coule dans ses veines. Mais, ainsi que le captif, elle n'appartient pas à la même tribu, car ses traits nobles et réguliers ne sont pas déformés comme les leurs par ce morceau de bois ou d'os, logé entre la lèvre inférieure et les gencives, qui leur vaut le nom de Grosses-Babines.

      Sans la brune couleur de sa carnation et sans la légère saillie de ses pommettes, on la prendrait aisément pour une des suaves créations de l'Albane, tant son buste est délicatement modelé.

      Elle a une chevelure abondante, dont les boucles soyeuses, aussi noires que l'ébène, aussi brillantes que les reflets du raisin mur, tombent en grappes pressées sur un col ciselé au tour. Dans le cadre de cette chevelure, ressortent les linéaments d'un visage où la fierté habituelle de l'expression le dispute à une mélancolie passagère. Si les lignes de sa figure manquent jusqu'à un certain point de symétrie; si elles sont un peu dures, il s'échappe de ses grands yeux bruns un rayon de sensibilité qui va droit au coeur.

      La richesse de sa taille porte le trouble dans les sens. Elle rappelle les meilleurs modèles de l'antiquité. Une Européenne envierait ses mains menues et longues; leurs attaches sont souples, ainsi que celles de sa jambe, fine, nerveuse, qui annonce l'agilité jointe à la vigueur.

      Au cri de souffrance lâché par cette superbe créature, répondit un cri d'angoisse.

      Il fut proféré par l'Indien lié à l'arbre dont nous avons parlé.

      Le malheureux fit une puissante mais vaine tentative pour briser ses entraves.

      La femme et lui s'échangèrent un profond regard, regard d'anxiété, de consolation, d'espérance et d'amour, puis, elle se jeta à bas du bûcher.

      Alors, elle opéra un mouvement pour voler vers lui. Mais, des mains rudes, lourdes comme le métal, s'abattirent sur ses épaules et la retournèrent brusquement vers le feu.

      —Que ma soeur remplisse son devoir comme il convient à l'épouse d'un grand chef, dit un des sauvages en faisant un signe à ses compagnons.

      Les voix de ceux-ci montèrent sur un diapason plus aigu.

      Ramenée au brasier, qui épanchait déjà une chaleur intolérable, la jeune femme adressa encore un coup d'oeil à son compagnon d'infortunes pour l'engager à la résignation, et, s'armant de courage, elle avança ses bras nus à travers les flammes, afin de maintenir, dans une attitude allongée, le corps resté sur les troncs de pins brûlants.

      Ce corps était celui d'un homme mort. L'action du feu en contractait les nerfs, qui se recoquillaient et ramassaient les membres en boule.

      En grésillant, il dégageait une odeur infecte, laquelle, ajoutée aux torrents de fumée et à l'ardeur de la combustion, faillit suffoquer l'Indienne. Elle fléchit sur ses genoux, chancela et retira vivement ses mains.

      Aussitôt le Peau-Rouge, qui se tenait derrière elle, la frappa d'un bâton garni d'épines:

      —Ma soeur est faible; mais ma soeur honorera jusqu'à la fin son illustre époux, dit-il en ricanant.

      La victime de cette brutalité exhala un soupir, qui se perdit dans le sinistre concert que les Grosses-Babines exécutaient autour d'elle.

      Cependant, le captif exaspéré redoublait d'efforts pour rompre ses liens. Des hurlements rauques sortaient de sa poitrine. Ses traits altérés, ses veines gonflées, la sueur qui ruisselait sur ses épaules, attestaient la violence de son émotion. Peut-être serait-il parvenu à se délivrer, mais un des assistants lui asséna sur le crâne un coup de tomahawk; un flot de sang jaillit; il fut pris d'un frémissement général, qui dura quelques secondes; ses muscles se détendirent, sa tête pencha sur le côté, et il demeura immobile, comme privé de vie.

      Pendant ce temps, la pauvre femme, ranimée par une cruelle fustigation, avait été reconduite au bûcher, où, malgré ses plaintes déchirantes, malgré ses résistances, quatre bourreaux l'obligeaient à poursuivre sa terrible opération. Et pendant ce temps


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