Les derniers Iroquois. H. Emile Chevalier
muscles d'acier, coeur intrépide, comme son père, il avait les traits délicats, le regard séduisant de sa mère.
Rompu à tous les exercices corporels, chasseur sans rival, pêcheur des plus habiles, Co-lo-mo-o excellait à tirer de l'arc ou du fusil, à dompter un cheval, à conduire un bateau. Nar-go-tou-ké l'avait fait instruire par le pasteur du village, et le Petit-Aigle avait appris, du digne missionnaire, le français, l'anglais, le calcul, un peu de dessin et de musique. Ostensiblement, il pratiquait la religion catholique; on l'avait baptisé sous le nom de Paul. Son s'était flatté un instant de le convertir entièrement et de le faire entrer dans les ordres. Il s'efforça de lui persuader qu'il était appelé, par une faveur divine, à aller prêcher la foi aux Peaux-Rouges de la baie d'Hudson. Mais le jeune homme avait hérité de sa grand'mère, la fameuse Vipère-Grise, un invincible penchant pour les superstitions indiennes, et les tentatives du bon abbé pour en triompher furent sans résultat.
Eût-il réussi, que les goûts de Co-lo-mo-o l'auraient tourné vers une autre profession.
Jamais, du reste, Nar-go-tou-ké n'aurait consenti à laisser son fils embrasser la carrière ecclésiastique. N'espérait-il point que par lui la race iroquoise revivrait un jour et finirait par reconquérir les territoires dont l'avaient spoliée les Visages-Pâles?
Cette espérance, le Petit-Aigle la caressait aussi. Il était heureux et fier de la proclamer.
Les Indiens de Caughnawagha obéissaient à Nar-go-tou-ké. Cependant, ils ne se montraient pas respectueux et soumis à lui, comme le sont à leurs chefs les Peaux-Rouges du désert américain. Une portion même méconnaissait son autorité et s'était attachée à un sagamo de rang inférieur, qui travaillait à la ruine de Nar-go-tou-ké. L'origine de cette haine remontait au mariage de Nar-go-tou-ké avec Ni-a-pa-ah. L'autre sagamo briguait alors la main de la jeune fille. Furieux d'avoir été repoussé, il complota depuis ce jour la perte de son rival; avec la ténacité d'un sauvage, il attendit patiemment que le moment des représailles fût venu. Il se fit des amis, des partisans, et, tandis que Nar-go-tou-ké et les siens se joignaient aux Canadiens-Français pour secouer le despotisme anglais, il se vendit aux agents de la Grande-Bretagne.
On le nommait Mu-us-lu-lu, le Serpent-Noir.
Dès le mois de mars 1837, Mu-us-lu-lu avait déposé au parquet de Montréal une dénonciation en forme contre Nar-go-tou-ké. Le missionnaire de Caughnawagha eut vent de cette dénonciation; sans rien dire à celui qui en était l'objet, car il redoutait la violence de son caractère, il chercha à le sauver, par affection pour Co-lo-mo-o. Une démarche près du grand connétable22 suffit à faire suspendre l'exécution d'un mandat d'arrestation qui avait déjà été dressé contre Nar-go-tou-ké. Ignorant tout, le sagamo, ennemi naturel des Anglais, et le coeur ulcéré par les souffrances que les Grosses-Babines avaient fait endurer à sa femme, le sagamo continua de se concerter avec les chefs des libéraux canadiens pour révolutionner le pays. L'abbé ne lui ménagea pas les avis indirects, les conseils officieux. Mais Nar-go-tou-ké ne comprit rien ou ne voulut rien comprendre.
Note 22: (retour)
Un des principaux chefs de la police.
Plus que jamais il se mêlait aux conspirateurs, surtout depuis l'apparition au Canada d'une bande de trappeurs, conduite par un certain Poignet-d'Acier, homme d'une force herculéenne dont on racontait les prodiges et que maints vieillards prétendaient avoir vu notaire à Montréal, sons le nom de Villefranche, quelque vingt ans auparavant.
Ce Poignet-d'Acier faisait le désespoir de la police provinciale. Elle avait mis sa tête à un haut prix, vingt mille livres sterling; mais nul ne savait où le prendre, quoiqu'on le trouvât partout.
Quant à ses gens, dont on évaluait le nombre à plusieurs milliers, ils étaient aussi insaisissables que leur maître. Ce n'était pourtant pas une troupe fictive. On l'avait vue traverser Ottawa, à son arrivée des pays d'en haut23; on assurait même qu'elle traînait à sa suite des trésors immenses recueillis sur les bords du Rio-Columbia. Mais au delà d'Ottawa elle s'était dispersée, et personne, sauf les affiliés, ne pouvait dire où ses membres avaient, élu domicile.
Note 23: (retour)
Les Canadiens nomment ainsi les territoires du Nord-ouest. Voir la Huronne.
Nar-go-tou-ké le savait bien, lui! Il ne s'écoulait guère de semaines sans qu'il eût quelque entrevue avec Poignet-d'Acier. Tous deux communiquaient aussi avec MM. Joseph Papineau, Wolfred Nelson et Duvernay, les machinateurs de l'effervescence populaire; tous deux tâchaient d'avancer l'heure où ils pourraient venger sur la couronne d'Angleterre les outrages qu'ils avaient reçus de quelques-uns de ses sujets.
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