Les derniers Iroquois. H. Emile Chevalier

Les derniers Iroquois - H. Emile Chevalier


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la fin d'avril de cette année, plusieurs Montréalais furent incarcérés, et l'exécutif fit lancer une foule de warrants, ou mandats d'amener, contre différents individus des campagnes avoisinantes, soupçonnés d'être hostiles à la Grande-Bretagne.

      Parmi les suspects se trouvait un Indien habitant le village de Caughnawagha.

      Ainsi que nous l'avons dit, le village de Caughnawagha ou du Sault Saint-Louis s'élève à trois lieues environ de Montréal, sur la rive méridionale du Saint-Laurent.

      Voir la Huronne.

      Alors ils se recrutaient des Oneidas, Onondagas, Cayugas, Senecas, plus tard des Tuscarocas, six en tout; mais si puissants, mais si vaillants, qu'on les appelait les HOMMES, pour les distinguer des Delawares, les FEMMES, leurs courageux et infortunés adversaires.

      Et cependant ils étaient braves, eux aussi, les Delawares ou Lenni-Lenapes, c'est-à-dire peuple sans mélange, comme ils se qualifiaient.

      Que sont-ils devenus? Hélas! notre ambition les a anéantis. Vainqueurs et vaincus, Delawares et Iroquois, n'ont plus sur cette terre un seul représentant pur d'alliance étrangère. Les échos de l'Amérique n'entendent plus leur cri de guerre, ne redisent plus leurs glorieux exploits. Ils sont ensevelis au cénotaphe de l'histoire. Comme sur une tombe, leur nom reste, mais pour désigner quelques divisions territoriales du Canada et des États-Unis.

      On appelle ainsi les métis nés d'une peau blanche et d'une mère indienne.

      Pénible spectacle! navrant contraste! Voilà ce que, sur tout le continent américain, notre civilisation a fait des propriétaires légitimes du sol. Une civilisation généreuse, charitable pourtant que la nôtre, et qui ne prétend marcher qu'armée du code de la légalité! Quelle thèse pour le philosophe! Que de réflexions sur l'incertitude de ce que nous regardons comme le droit, de ce que nous jugeons sacro-saint!

      Jamais je n'ai traversé la désolée bourgade de Caughnawagha sans que mon coeur ne se serrât douloureusement et que des larmes ne montassent à mes paupières. Au milieu du désert, l'Indien avive en moi le sentiment de la puissance humaine: il me fait plaisir; quoique déjà dégénéré, quoique déjà il se soit inoculé la plupart des vices qui déshonorent les blancs, il conserve pour moi encore quelque prestige; je le vois libre, alerte, hardi dans le danger, et j'oublie volontiers sa malpropreté habituelle, sa paresse imprévoyante, sa duplicité, pour admirer sa patience à toute épreuve, son amour de l'indépendance, sa pénétration, son adresse, sa résistance aux fatigues, aux luttes du corps, ses admirables talents oratoires, son inflexible stoïcisme dans les tortures, sa sérénité devant la mort.

      A l'état demi-policé, il est hideux, hideux comme tous les monstres, parce que le Peau-Rouge n'a pas été,—je le dis hautement,—créé pour l'organisation sociale des Visages-Pâles. Nos missionnaires se sont trompés, ils ont été dupés de leur zèle, pour ne pas dire plus. Chez nous, près de nous, l'Indien s'étiole, s'avilit, se suicide lentement. C'est une plante exotique qui ne peut vivre dans notre atmosphère. Nous était-il permis, sous un prétexte politique, religieux on autre, de le traiter comme nous l'avons traité? Est-il permis aux Anglais de poursuivre cette oeuvre meurtrière? Problèmes redoutables, questions difficiles que je me suis souvent posés, mais pour la solution desquels je ne me crois pas assez autorisé.

      Quoi qu'il en soit, en 1837, le village de Caughnawagha n'était ni mieux, ni plus mal construit qu'il ne l'est maintenant. C'était une réunion de cabanes, avec des toits de chaume ou de planches, d'un aspect repoussant. On les avait groupées près d'une chapelle où un prêtre catholique essayait, chaque dimanche, par des instructions dans leur langue, d'attacher les Iroquois à la religion du Christ.

      A l'exception d'un petit jardin attenant au presbytère et de deux ou trois lopins de terre semés de maïs, nulle trace de culture autour des huttes. Mais ça et là des flaques d'eau noirâtre où barbotaient quelques pourceaux éthiques et des nichées d'enfants dégoûtants au possible.

      Pourtant, au centre du village, on remarquait une maisonnette relativement assez élégante, mais qui, par les matériaux dont elle était composée, sinon par sa forme, affectait le type du wigwam indien.

      Las Indiens appellent rassade les grains de verroterie enfilés dans des piquants de porc-épic.

      Ces figures étaient le totem on écusson d'un chef. Le castor est (avec la tortue) l'emblème des Iroquois et des Canadiens qui le leur ont emprunté; l'aigle à tête chauve est un des symboles du pouvoir chez les Peaux-Rouges.

      La hutte appartenait en effet à un sagamo. Sa femme, son fils et lui étaient considérés par les habitants du village comme les derniers Iroquois qui n'eussent pas dans leurs veines une seule goutte de sang mêlé.

      C'était Nar-go-tou-ké, la Poudre, Ni-a-pa-ah, l'Onde-Pure, sa femme, et Co-lo-mo-o, le Petit-Aigle, leur fils unique.

      Nar-go-tou-ké portait gaillardement ses cinquante années. Malgré les malheurs qui avaient abreuvé sa jeunesse, et malgré les tribulations nombreuses qui avaient assailli son âge mûr, il se tenait droit, vert et ferme comme un chêne robuste que l'ouragan a pu agiter sans le courber jamais.

      Ni-a-pa-ah, au contraire, avait profondément ressenti les coups de l'infortune. Elle n'était qu'à l'été de la vie, et déjà une caducité précoce, ployait sa taille en deux. Ses cheveux si noirs, si abondants autrefois, avaient tombé et blanchi. Un inextricable réseau de rides sillonnait en tous sens son visage osseux; de larges coutures jaunâtres tranchaient sur le ton généralement bistré de sa peau et ne rappelaient que trop les atroces tortures auxquelles la pauvre squaw avait été soumise sur le mont Baker.

      Ses mains brûlées n'offraient plus que des moignons informes dont elle était incapable de faire usage, même pour prendre ses aliments. De ses charmes flétris, il ne lui restait que les yeux,—ces yeux si éloquents dont le rayonnement sympathique reflétait tant d'amour et de mélancolie.

      Son


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