Les derniers Iroquois. H. Emile Chevalier
la compagnie du chemin de fer du Grand-Tronc, n'ont fait que bâter le transfert du centre commercial au quartier Sainte-Anne ou Griffinton, ce bourbier infect, cette léproserie où grouille une population irlandaise, sordide, déguenillée, fanatique, prête à tous les crimes, la honte et l'effroi de la métropole canadienne, comme les Cinq-Points de New-York, la Cité de Londres ou de Paris, le Ghetto de Rome, furent longtemps la honte et l'effroi des nobles capitales qui recelaient ces clapiers dans leur sein.
Le Griffinton, une fois assaini, purgé des bandes de misérables qui rendent son séjour dangereux autant que dégoûtant, Montréal, avec ses maisons bien bâties, ses grand édifices publics, civils ou religieux, ses rues régulières parfaitement aérées, ses nombreux instituts, son riche musée de géologie, son jardin botanique, son magnifique port, ses prodigieuses ressources maritimes, industrielles et agricoles, et les splendides campagnes qui se déploient à ses portes, Montréal prendra définitivement rang parmi les villes les plus favorisées et les plus agréables des deux hémisphères.
CHAPITRE III
LES DERNIER IROQUOIS
Quoique Montréal ne possédât pas, en 1837, la moitié de la population et des embellissements dont elle s'enorgueillit, à juste titre, aujourd'hui, c'était déjà, par son vaste négoce et son esprit d'entreprise, une des cités les plus importantes de l'Amérique septentrionale. Cette métropole, qui compte près de cent mille âmes dans son enceinte, n'en avait guère alors que quarante à quarante-cinq17. Mais ils étaient doués d'une activité, d'une intelligence commerciale, et d'un amour de l'indépendance qui, dès cette époque, faisaient de leur ville le foyer du libéralisme canadien. Tandis que la capitale politique de la colonie, Québec, demeurait immobile dans son corset de remparts et de préjugés religieux; tandis que ses plus nobles famille françaises acceptaient presque toutes sans murmurer le joug de la domination anglaise, et que beaucoup courtisaient leurs maîtres, adulaient Son Excellence le gouverneur général, les Montréalais ou Montréalistes, comme on les appelle dans le pays, protestaient ouvertement contre toutes les exactions du pouvoir, lui faisaient une opposition énergique, et aspiraient les uns à l'indépendance, les autres à l'annexion aux États-Unis, une certaine, mais faible minorité, à un retour sous l'administration française.
Note 17: (retour)
La population des deux Canadas dépasse actuellement deux millions d'habitants. Il n'est guère de peuples qui se soient accrus aussi rapidement. Comme on le concevra aisément, les Anglo-Saxons ont pris plus de développement que les Franco-Canadiens, depuis la conquête du Canada par l'Angleterre, en 1789. Alors les premiers ne comptaient pas plus de sept à huit mille âmes dans le paya qu'ils occupaient sous le nom de Haut-Canada, à l'ouest de Montréal. De récentes statistiques nous montrent leur progression vraiment fabuleuse:
1814.................... 95,000
1824.................... 151,097
1829.................... 198,440
1832.................... 261,066
1834.................... 320,693
1836.................... 372,502
1842.................... 486,055
1848.................... 723,292
1852.................... 952,054
1855.................... 1,003,121
1860.................... 1,060,305
Quant ou Bas-Canada, il a suivi l'échelle suivante:
Lors de la conquête, soixante mille Français à peine l'habitaient. A partir du premier recensement anglais on trouve:
1825................... 423,630
1827.................... 471,876
1831.................... 511,920
1844.................... 690,782
1882.................... 890,661
1888.................... 930,207
1860.................... 1,000,044
M. Chauveau, surintendant de l'instruction publique au Canada accompagne ces chiffres d'observations très-judicieuses.
«Si, dit-il, l'on considère que cet accroissement est presque entièrement dû à la multiplication par le seul effet des naissances de 60,000 Français, on le trouvera certainement remarquable. Quelques centaines de familles, presque toutes normandes ou bretonnes, ont originairement peuplé les vastes territoires qui composaient la Nouvelle-France. A la conquête, un grand nombre de familles se sont embarquées pour la France, et, depuis ce temps, il n'a pas été ajouté aux familles françaises de la colonie. Quelques individus isolés, aussitôt repartis qu'arrivés, ont, pour bien dire, à peine visité la Nouvelle-France, passée sous la domination de l'Angleterre. Malgré le nombre considérable de Français et de Belges qui émigrent en Amérique, il n'y a actuellement (1858) que 1,366 natifs de ces deux pays. Loin de gagner par l'immigration, la race française a, au contraire, constamment perdu par une émigration qui s'est faite dès l'origine et n'a cessé de se faire vers les États-Unis, les plaines de l'ouest et jusqu'à la Louisiane et au Texas... Bien plus, une émigration plus formidable s'est faite depuis quelques années. Des ouvriers par bandes, des familles de cultivateurs par essaims ont laissé le Canada, etc...!»
Les dilapidations insensées du trésor public, la corruption effroyable des hommes politiques, l'augmentation constante des impôts, la lourdeur de la dette coloniale, qui pèse de près de deux cents francs sur chaque tête d'individu, sont les principaux motifs de cette émigration. Quant à la fécondité des Canadiens, elle peut passer pour proverbiale. Les» familles de douze ou quinze enfant» sont communes. J'ai connu des femmes qui avaient donné le jour à vingt-cinq, et une à trente et un!
Les motifs de leur désaffection étaient divers. Pour les Franco-Canadiens, c'était principalement cette vieille inimitié de race que le temps n'a malheureusement pas effacée. D'ailleurs, peuple conquis, il n'eut, guère été naturel qu'ils supportassent sans se plaindre leurs conquérants.
Pour les Anglo-Canadiens, la vue de l'égalité et de la liberté qui régnait aux États-Unis, comparées à l'oligarchie aristocratique et tyrannique du gouvernement colonial, pouvait être un sujet d'envie. Quoi qu'il en soit, le mécontentement avait atteint ses limites extrêmes. Et les mécontents formulèrent, en 1834, leurs griefs dans un factum célèbre, sous le titre Les quatre-vingt-douze rédigées, en grande partie, sous la direction de M. Louis-Joseph Papineau, le tribun du parti libéral à l'Assemblée législative 18.
Note 18: (retour)
Pour plus amples détails, qu'il m'est impossible de donner ici, voir la Huronne.
Ce document fut envoyé à Londres. Mais, loin de faire droit à ses instantes réclamations, quoiqu'elles fussent appuyées par lord John Russell, O'Connell et plusieurs membres éminents de la chambre des communes anglaise, le cabinet de Saint-James ferma l'oreille.
Des troubles, bientôt réprimés, éclatèrent, au commencement de 1837, à Montréal et dans les environs.
Alors, le ministère anglais se