Les Quatres Nobles Verités. Rimpoché Gonsar
Reconnaître sa propre situation
Le chemin spirituel suivi par une personne s’appelle Dharma dans le Bouddhisme. En fait ce mot signifie en même temps «enseignements», «religion» et «réalisations dans son propre esprit». Pour celui qui désire pratiquer ou suivre le Dharma, il est primordial de connaître d’abord sa propre situation, de voir ses problèmes sans erreur. C’est le plus important. Chaque chemin spirituel, chaque développement correct de l’esprit commence sérieusement avec ce premier pas.
C’est pourquoi Bouddha a commencé par parler de la souffrance. Cela n’est peut-être pas très réjouissant. Peut-être aurait-il dû parler de choses plus agréables, comme du paradis par exemple. Mais Bouddha est venu dans ce monde pour montrer le chemin de la libération. C’est pourquoi nous devons en premier reconnaître notre propre situation et savoir de quoi nous devons nous libérer. Si nous ne le faisons pas, le but ne sera pas atteint. Si nous ne connaissons pas notre propre situation d’une manière correcte, nous ne développerons qu’une motivation superficielle et elle ne sera pas sincère.
Le processus expliqué par le Bouddha dans les Quatre Nobles Vérités est semblable à la manière de soigner une maladie. Pour guérir une personne, il est d’abord indispensable de savoir de quoi elle souffre. Puis, il faut en connaître la cause. Mais cela ne suffit encore pas. Il faut en plus que cette personne ait le désir de se soigner ; elle ne doit pas rester indifférente mais bien aspirer à se débarrasser de sa maladie. Il est donc indispensable que le malade réalise correctement sa situation. D’une manière similaire, nous devons reconnaître notre situation problématique et nos souffrances. Cela est très important.
Bien sûr, nous pouvons penser que ce n’est pas aussi grave. Chacun d’entre nous connaît déjà ses propres souffrances tout comme les animaux connaissent les leurs. Mais reconnaître réellement que l’on est malade est, à ce stade, une réaction correcte. Cependant, beaucoup ne peuvent même pas le réaliser car les souffrances peuvent être très profondes et très subtiles.
Les trois sortes de souffrance
Bouddha a mentionné trois niveaux de souffrance :
– la souffrance de la souffrance
– la souffrance du changement
– la souffrance inhérente à notre condition.
Le premier degré parle de la douleur : la douleur physique et morale (les maladies, les pertes, la mort, etc.), toutes les douleurs et les sensations désagréables du corps (la faim, la soif, le froid, la chaleur) et celles que l’on retrouve dans l’esprit (la tristesse, la peur, le chagrin, etc.). Tout cela fait partie de la souffrance de la souffrance, qui est l’aspect le plus grossier de la souffrance. Chaque être est capable de reconnaître ces différents états et veut les éviter. Les animaux, eux aussi, les reconnaissent et désirent les éviter. Cette première souffrance compte donc de nombreux aspects, et nous sommes tous capables de la reconnaître sans erreur.
Le deuxième niveau de la souffrance est la souffrance du changement. Nous expérimentons beaucoup de sensations corporelles agréables (être rassasiés quand nous avons faim, avoir chaud quand il fait froid, rencontrer quelqu’un et avoir de la compagnie quand nous sommes seuls) ainsi que des sensations mentales agréables (la richesse, le pouvoir, la possession, les relations, la renommée ou encore la gloire). Nous pouvons même croire éprouver un très grand bonheur ou une grande joie dans certaines circonstances. Mais tout cela ne nous apporte en réalité qu’un bonheur relatif, car ce que nous expérimentons au travers de notre corps et de notre esprit n’est rien d’autre qu’un bonheur impur qui est un autre aspect de la souffrance.
Bouddha a expliqué tous ces différents aspects. Cependant, cela ne signifie pas du tout qu’il est interdit d’expérimenter de tels bonheurs, qu’il faille supporter la faim et ne rien manger du tout parce que la satiété est souffrance. Bouddha a simplement démontré que ces sensations ne sont pas le pur bonheur. C’est un bonheur très superficiel, un bonheur limité qui a toujours un potentiel de souffrance ; il ne faut donc pas confondre ces sensations. Par conséquent, nous devons faire preuve de sobriété et de satisfaction envers ces expériences. Si nous en usons ainsi, elles pourront même nous être utiles. Au contraire, si nous en faisons le but principal de notre vie, elles provoqueront un fort attachement et beaucoup de désirs ; et si nous outrepassons une certaine limite, elles se transformeront alors en souffrances.
Prenons l’exemple de la faim : elle appartient au premier type de souffrance. Si, pour nous rassasier, nous recevons un met succulent ou très agréable à manger, il peut arriver que nous le dégustions lentement. Ce remplissage progressif de notre estomac nous semble alors très agréable, comme un réel bonheur. Cependant, très vite nous rencontrons une limite ; si nous la reconnaissons et que nous nous arrêtons, c’est très bénéfique. Si par contre nous l’outrepassons, cela entraînera de la souffrance. Procéder de la sorte peut nous rendre malades et nous pouvons même en mourir. En effet, beaucoup de maladies proviennent de la nourriture ou du fait de trop manger.
La solitude est un autre exemple de souffrance insupportable. Cependant, avec de la compagnie cette souffrance disparaît lentement et ce processus nous semble alors être un très grand bonheur. Être très pauvres et ne rien posséder est également une grande souffrance. Mais si nous pouvons accumuler des possessions et de l’argent, nous devenons plus riches et lentement cette pauvreté et cette souffrance disparaissent. Cette douleur peut donc même alors nous apparaître comme un bonheur, mais en réalité tous ces bonheurs limités sont désignés par Bouddha comme bonheurs impurs, raison pour laquelle nous devons en connaître les limites. Nous devons donc user de beaucoup de sagesse et de sobriété par rapport à ces bonheurs. La richesse tout comme une bonne relation avec quelqu’un peut, selon les circonstances, se révéler fort utile. Cependant, si nous n’en sommes pas conscients et restons aveugles, l’avidité peut transformer ce bonheur, faire de gros dégâts et nous pouvons en souffrir.
C’est la raison pour laquelle Bouddha a dit que cette sorte de bonheur conventionnel n’est qu’une autre apparence de la souffrance, mais c’est une souffrance plus profonde que la précédente. Les êtres du royaume des animaux ne sont pas capables de la reconnaître. Il en est de même pour la plupart des êtres humains pour qui ce bonheur conventionnel est le but principal : ils sont donc constamment préoccupés par cet objectif.
Si nous subissons de la souffrance à travers de grands problèmes par exemple, cela nous écrase et nous rend triste. De même, si nous expérimentons le bonheur, il nous écrase et nous éprouvons de grands désirs, de l’attachement, etc. Nous sommes donc constamment emportés par l’un ou par l’autre. De plus, nous avons une grande aversion pour le premier et un grand attachement pour le second. La personne qui fonctionne de cette manière est appelée dans le Bouddhisme un être mondain.
Comment différencier une personne mondaine d’une personne sur le chemin spirituel ? On ne peut pas le voir d’après les marques extérieures (les habits par exemple) et dire qu’une personne habillée comme un moine est une personne spirituelle, et qu’une autre qui porte des habits civils est une personne mondaine. De même, on ne peut affirmer qu’une personne habitant dans un monastère soit une personne spirituelle et qu’une autre vivant dans sa famille soit une personne mondaine, ni qu’un ermite en retraite soit une personne religieuse et que ceux qui vivent en ville soient des personnes mondaines. On ne devrait pas faire de telles distinctions.
Alors où se trouve essentiellement cette différence ? Une personne mondaine se différencie d’une personne religieuse par sa motivation intérieure. Pour la personne mondaine, la souffrance et cette sorte de bonheur passager sont très importants. Éprouver une très forte aversion, une grande peur face à la souffrance et un grand attachement face au bonheur est la caractéristique d’une personne mondaine. L’esprit de cette personne n’est d’une certaine manière pas très stable ; il est même inconstant. Par contre, la personne qui suit un chemin spirituel est caractérisée par son renoncement. Renoncer ne signifie