L'enfer et le paradis de l'autre monde. Emile Chevalier

L'enfer et le paradis de l'autre monde - Emile Chevalier


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en pleurant; elle ne dit rien, de peur d’irriter son fils; aussi le silence rentra-t-il dans le taudis, chacun de nos personnages s’enfonçant sous le suaire de ses afflictions.

      Depuis longtemps ils étaient dans cette position, quand la silhouette d’un homme se dessina, en passant et repassant à diverses reprises, devant la fenêtre de la cabane.

      Seule, Madeleine remarqua cette apparition.

      À sa première vue, la jeune fille se leva. Elle était pâle comme un linceul. Ses yeux se portèrent tour à tour sur la fenêtre et sur sa mère et sur sa sœur, mais celles-ci n’avaient rien aperçu.

      Un instant Madeleine resta debout, hagarde, incertaine. Ses paupières étaient mouillées de larmes; son sein battait à rompre sa poitrine.

      Elle se tordit les mains avec une expression de douleur navrante.

      Elle lutta violemment. Mille émotions la torturaient. Son amour pour ses parents, pour sa religion, et puis…

      Qui pourrait expliquer les sensations qui soulèvent son cœur? qui pourrait dire d’où lui viennent ces affreuses incertitudes? Personne! À personne donc le pouvoir de la juger.

      L’âme est une puissance étrange. Dieu seul peut lire et bien lire dans ses replis.

      À vous, cela est défendu.

      – Ellen! s’écria tout à coup madame Mordaunt sortant en sursaut d’une longue rêverie, où est Madeleine?

      – Mais je ne sais pas, répliqua celle-ci d’un ton à demi éveillé; je ne l’ai point vue sortir…

      – Seigneur mon Dieu! elle est sortie avec son chapeau[1]! Où peut-elle être? s’écria la pauvre mère, s’élançant vers la porte.

      Tout était calme au dehors. La lune brillait d’un éclat mat sur la blanche neige; le vent avait cessé de souffler, mais il faisait très froid.

      Madeleine ne paraissait point auprès de la maison.

      Sa mère appela; mais Madeleine ne répondit pas.

      Pauvre mère, elle lut dans cette pâleur livide et dans cette tranquillité glaciale répandues autour d’elle une autre page du livre de ses chagrins!

      Rentrant dans la chambre, elle tâcha de réveiller son fils, qui gisait presque sans connaissance sur le plancher.

      – Mark, Mark! ta sœur Madeleine est partie; Vite, Mark, mon brave garçon, cours après ta sœur. Oh! Madeleine, Madeleine, ma pauvre fille!

      – Aller où? balbutia le dormeur se soulevant sur le coude et étendant sur sa mère un regard hébété.

      – Oh! le ciel me vienne en aide, car je ne sais où… Mark, va la chercher, si tu l’aimes, va! Je t’en prie, ramène-la, Mark, ramène-la!

      Le jeune homme passa la main sur son front appesanti par l’ivresse, regarda vaguement çà et là, mais ne parut pas comprendre.

      – Madeleine partie! dit-il pourtant en se mettant debout. Où ça partie? Comment? – où est-elle allée?

      – Mais elle vient de partir… Tu peux la sauver… tu peux la trouver; mais va, cours après elle. Ça me tuerait, vois-tu, Mark, s’il lui arrivait quelque chose!

      – Ma mère, dit Mark, qui parut renaître quelque peu au sentiment… elle n’est jamais sortie ainsi; avez-vous jamais su quelque chose?… Le connaissez-vous, ma mère?… Mais c’est impossible!… Elle ne serait pas partie comme ça… Donnez-moi mon bâton. Je les trouverai; n’ayez pas peur… Allons, ça donnera encore lieu à d’autres crimes qu’à des incendie… Je les trouverai; n’ayez pas peur… pas peur… ma mère!

      En prononçant ces mots, il s’élança furieusement sur la voie publique et suivit une petite trace qui semblait avoir été nouvellement faite sur la neige et allait du côté de la ville.

      Le père revient du théâtre de l’incendie allumé par son fils.

      Sa femme et sa fille Ellen pleurent à chaudes larmes; leurs sanglots font saigner son cœur.

      – Marguerite, quel nouveau malheur? pourquoi pleures-tu?

      – Oh! Édouard, cher Édouard! notre Madeleine, notre pauvre Madeleine est partie… je ne sais où. Et je n’ose te dire ce que je soupçonne…

      Ce qu’elle voulait lui cacher, il le voit dans ses yeux rougis de larmes. Ce coup manquait à ses douleurs.

      – Marguerite, nous la retrouverons, dit-il d’une voix sombre; calme tes craintes jusqu’à mon retour. Madeleine a toujours été fidèle à ses devoirs, et sans doute tous nos enfants ne deviendront pas mauvais sujets dans ce pays. Nous la retrouverons…

      Le malheureux père n’en dit pas davantage. Il sort de nouveau pour chercher sa fille qui lui est si chère, et le voilà qui court comme un fou à travers la neige.

      Sa tête est brûlante et son âme est en proie à mille tourments.

      III. La maison abandonnée

      La nuit s’est écoulée; la matinée grise et froide commence à se montrer, sa lueur terne arrive paresseusement dans la cabane.

      Qu’y voyons-nous?

      Une mère et ses enfants, étendus sur le même grabat, goûtent les bienfaits du sommeil, cet avant-coureur du ciel qui apporte le repos même à l’âme troublée.

      Regardez-les.

      Elle est couchée dans un coin, là où la neige s’est introduite et a mêlé à la paille ses glaciales constellations. Sur elle, pauvre femme, le froid de la nuit a jeté une mantille de frimas et souffle la bise pénétrante. Son nourrisson est cramponné à sa poitrine et l’haleine du pauvre petit se gèle en blanches concrétions le long de la chevelure de sa mère, qui pend par mèches éparses, épaisses, roidies sur son front.

      Elle tressaille, soulève la tête, et ses yeux injectés de sang sont tournés vers la porte.

      Elle écoute.

      Mais tout est encore tranquille au dehors et, avec un profond soupir, elle se laisse retomber et presse l’enfant contre son cœur.

      Elle tressaille encore, soulève de nouveau sa tête et la laisse choir sur le grossier oreiller.

      Son haleine est sifflante, ses yeux rouges et obscurcis; mais aussi, durant cette longue et fatigante nuit, le sommeil n’a pas un seul moment versé sur elle son baume réparateur.

      Ellen est couchée à côté de sa mère.

      Elle dort, mais d’un sommeil agité interrompu par la fièvre et le frisson; ses dents s’entrechoquent; elle étire ses membres engourdis et pousse des cris rauques, en demandant qu’on chasse la neige qui tombe sur son corps demi-nu; elle ne jouit d’aucun repos, car son misérable lit est trop froid, ses douleurs trop poignantes.

      De l’autre côté est le petit voleur.

      Souvent sa mère le couvre de baisers passionnés, car dans son sommeil il demande, en suppliant, du pain.

      Infortunée, cette prière la remplit de terreurs; elle soupire profondément, et, tremblante, serre plus fort l’enfant contre son sein.

      Venez donc, vous dont les membres s’étendent voluptueusement chaque soir sur l’édredon, dans l’oubli des fatigues et le charme des rêves agréables, venez donc voir cette scène! Ce n’est pas une fable: les faits sont devant vous.

      La matinée était déjà bien avancée, et les yeux de Marguerite, qui avaient été si longtemps rivés sur la porte, s’étaient fermés de lassitude, alors que ses enfants devenaient plus remuants, comme il arrivait ordinairement aux approches de ce réveil à leur détresse réelle dont les songes n’étaient que les ombres, quand la porte s’ouvrit doucement pour laisser entrer le mari et le père de toutes ces misères.

      Son maintien était calme et la résignation semblait de nouveau gravée sur son visage.

      Mais


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