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se retourna, sortit sans bruit de la chambre et fit signe d’entrer à un individu qui se tenait au dehors.

      C’était un jeune homme qui, malgré le mauvais état de ses vêtements, le désordre de sa barbe et de ses cheveux, paraissait bien fait et même de bonne mine.

      Sur son front large, découvert, on voyait briller la bienveillance et la générosité qui animaient son âme.

      Il portait du bois dans ses bras.

      L’ayant déposé aussi doucement que possible sur le sol, il alluma du feu.

      – Merci, merci, Guillaume; tu es un digne garçon.

      – Oh! Édouard, Édouard! s’écria Marguerite s’éveillant au son de cette voix. Où est-elle? L’a-t-on ramenée?

      – Marguerite, mon enfant, répliqua le mari en affectant un sang-froid bien loin de son cœur, Madeleine s’est éloignée de nous pour quelque temps, Dieu sait dans quel but. Il nous la ramènera, mais à présent nous devons laisser la pauvre fille entre ses mains. Ah! c’est un grand malheur, bien grand, Marguerite, ça fend le cœur; mais il faut se faire violence. Nous avons beaucoup à faire, un devoir sacré devant nous aujourd’hui, ma bonne femme.

      L’infortunée le regarda avec égarement, et retomba sur la paillasse en poussant un faible cri.

      – Marguerite, reprit-il en s’agenouillant à son chevet et en posant la main sur sa tête en feu, nous l’avons perdue pour peu de temps; mais, si chère qu’elle puisse nous être, elle est seule aux yeux du ciel. Il nous en reste quatre, Marguerite, que nous devons pourvoir de pain et tenir hors de la mauvaise voie. Ferons-nous notre devoir ou souffriront-ils tous pour une seule? Nous pouvons leur éviter un sort semblable, pire peut-être; mais, pour elle, la pauvre enfant, si sa droiture naturelle ne la protège pas, c’est fini, et nous ne pourrons que la réclamer. C’est un devoir sacré, ma pauvre femme. Nous lui donnerons nos prières, mais nous devons la laisser à présent, afin de chercher à subvenir aux besoins des autres. Guillaume et Mark ont juré de la chercher et de nous la ramener. – Allons, enfants, il fait bien froid; levez-vous. Guillaume a fait du feu; venez vous chauffer pour la dernière fois ici. Nous avons fort à faire: j’attends de vous tous obéissance et courage; la Providence fera le reste.

      Madame Mordaunt leva les yeux sur son mari et lui pressa tendrement la main.

      Puis elle se sortit de sa couche glacée, en montrant cette sérénité que donne la résignation.

      Son mari lui sut gré de ce calme apparent, car il sentait la violence du combat intérieur qu’elle avait à soutenir, et qu’il lui faudrait encore remporter sur ses affections pour lui obéir et le suivre là où il jugerait convenable d’aller.

      – Guillaume, dit-elle au jeune homme qui attisait le feu, vous êtes bien obligeant et nous vous sommes très reconnaissants.

      Elle le regarda et secoua mélancoliquement la tête.

      Il lui rendit son regard dans un silence solennel. Leurs âmes s’entendirent; mais ce qu’ils sentaient était trop élevé pour pouvoir être traduit par des paroles, et ils demeurèrent muets.

      – Enfants, dit Mordaunt quand ils furent tous réunis autour du feu et que le dernier morceau de pain leur eut été distribué, nous quitterons ce lieu dans une heure. C’est la seule chance qui nous reste; et, bien que nous devions nous attendre à en voir de dures pendant le voyage, nous devons tout faire pour supporter notre sort du mieux que nous pourrons; avec l’aide de la Providence, nous nous tirerons de ce mauvais pas. Tu connais les Barton et les Williams, Marguerite, eh bien, ils s’en vont tous et nous attendent. De cette façon nous formerons une grosse troupe et nous nous tiendrons compagnie en chemin. Ils ont réussi à construire un grand traîneau pour le voyage. Nous le tirerons à tour de rôle, puisque nous n’avons pas d’autres moyens de nous en aller. On mettra dessus les enfants et ceux qui ne pourront pas marcher, tu comprends? C’est à décider en dernier lieu: – partir aujourd’hui ou rester à tout jamais où nous sommes.

      – Le faut-il? le faut-il, Édouard? dit sa femme, lui posant sa main sur l’épaule et le regardant avec une indicible expression de douleur. Oh! c’est une terrible alternative! Pauvre Madeleine! ma pauvre fille!

      – Nous ne la quittons pas, Marguerite, reprit Mordaunt, son frère et Guillaume resteront ici. Tu peux te fier à eux.

      – Oh! oui, oui, oui, s’écria-t-elle. Vous resterez pour la retrouver, Guillaume.

      – C’est avec bonheur que je serais parti avec vous, madame Mordaunt, dit le jeune homme; oui, avec bonheur; mais maintenant…

      Il lui lança un regard brûlant de douleur, mais sans rien pouvoir ajouter.

      – Vous êtes bon, bien bon, Guillaume, dit la pauvre femme. Vous la retrouverez, vous la ramènerez, n’est-ce pas? Elle était misérable ici, bien misérable, voyez-vous! Personne ne sait tout ce qu’elle a souffert. Nous ne devons pas la juger. Vous nous la ramènerez, Guillaume!

      – Madame Mordaunt! s’écria passionnément le jeune homme; je la connais, madame Mordaunt, et je suis sûre qu’il y a quelque chose que nous ne savons pas. Ne pensez pas qu’elle ait tort, madame Mordaunt; non, ne le pensez pas. Quelqu’un peut avoir tort, mais ce n’est pas Madeleine. Attendez qu’elle revienne, et vous verrez, madame Mordaunt! Mark et moi avons entrepris de la retrouver, et nous la retrouverons.

      La mère le remercia par un regard chargé de reconnaissance, et le père lui serra chaleureusement la main.

      Guillaume était fort agité; il était facile de voir que, tandis que sa langue défendait si noblement l’infortunée jeune fille, dans son esprit s’élevaient d’horribles soupçons que ne pouvaient entièrement bannir sa bonne foi et sa bienveillance.

      Il avait quitté son siège, et, les yeux baignés de larmes, parcourait la chambre.

      À l’affliction qu’ils ressentaient, les autres pouvaient juger de la sienne.

      Ils savaient qu’il aimait leur fille à l’adoration; aussi laissèrent-ils s’épancher sans interruption les flots de sa douleur.

      D’ailleurs, ils n’avaient à lui offrir aucune consolation acceptable dans ces pénibles circonstances. Il y eut un long silence dans la cabane. Du fond du cœur, la mère et le père prièrent pour l’enfant perdue, pendant que son fiancé pleurait.

      – Mordaunt, dit le jeune homme s’asseyant et prenant le petit Jean entre ses genoux, quand la première explosion de chagrin se fut calmée, Mordaunt, nous avons bien voyagé depuis que nous sommes partis de chez nous pour ce pays. Qui pensait à cela? Nous étions cent fois mieux là-bas! En tout cas, nous avions toujours quelque chose à faire. Mais ici, c’est tout à fait de même pour les filles; garçons ou hommes, il n’y a rien du tout à faire! Je n’ai jamais vu un pareil pays. Ça me serait bien égal d’être n’importe où, si nous pouvions faire une chose ou une autre. Ici, rien. Si vous n’êtes pas capables de travailler aux champs (et qu’est-ce que des ouvriers, hommes et femmes, élevés à la ville, connaissent des travaux des champs?), il faut crever de faim, sans remède!

      – C’est un mal, Guillaume, dit Mordaunt, oui, un mal radical? Il ne devrait pas y avoir autant de misère; pas autant de milliers de bras sans emploi; et cela ne devrait pas être, je le répète, dans un pays aussi beau que celui-ci et aussi maigrement peuplé. Il n’en serait pas ainsi s’il n’y avait pas quelque chose de foncièrement mauvais dans les institutions. Je ne puis rien dire contre le pays en lui-même. Le Tout-Puissant l’a fait aussi beau, aussi riche que possible. Personne ne le niera. Mais ce qui m’afflige le plus c’est de le voir comme ça, et je suis surpris que les gens ne le remarquent pas.

      – D’ailleurs, ajouta Guillaume avec amertume, s’ils n’ont point dans ce pays d’ouvrage pour ceux qui y viennent, pourquoi engager ceux qui sont bien chez eux à partir pour venir ici, où il n’y a rien à faire? Cela est injuste, affreux… c’est moi qui vous le dis!

      – Tu dis vrai, Guillaume, bien vrai, s’écria Mordaunt enflammé de l’honnête indignation qu’il


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