Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau

Monsieur Lecoq - Emile  Gaboriau


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vieux repris de justice, un « cheval de retour », comme on dit rue de Jérusalem, n’eût pas fait mieux.

      Lecoq sentait comme une sueur froide perler le long de son échine.

      – Cet homme, pensait-il, est déjà venu ici ; il sait les êtres !

      Le greffe était une salle assez grande, mal éclairée par des fenêtres trop petites à carreaux poussiéreux, chauffée outre mesure par un poêle de fonte.

      Là était le greffier, lisant un journal posé sur le registre d’écrou, registre lugubre, où sont inscrits et décrits tous ceux que l’inconduite, la misère, le crime, un coup de tête, une erreur quelquefois, ont amené devant cette porte basse du Dépôt.

      Trois ou quatre surveillants, attendant l’heure de leur service, étaient à demi assoupis sur des bancs de bois.

      Ces bancs, deux tables, quelques mauvaises chaises constituaient l’ameublement.

      Dans un coin, on apercevait la toise sous laquelle doivent passer tous les inculpés. Car on les mesure, pour que le signalement soit complet.

      À l’entrée du prévenu et de Lecoq, le greffier leva la tête.

      – Ah !… fit-il, la voiture est arrivée ?

      – Oui, répondit le jeune policier.

      Et tendant un des mandats signés par M. d’Escorval, il ajouta :

      – Voici les papiers de ce gaillard-là.

      Le greffier prit le mandat, lut et tressauta.

      – Oh !… exclama-t-il, un triple assassinat, oh ! oh !…

      Positivement il regarda le prévenu avec plus de considération. Ce n’était pas un prisonnier ordinaire, un méchant vagabond, un vulgaire filou.

      – Le juge d’instruction ordonne sa mise au secret, reprit-il, et il faut lui donner des vêtements, les siens étant des pièces de conviction… Vite que quelqu’un aille prévenir monsieur le directeur, qu’on fasse attendre les autres voyageurs de la voiture… Je vais, moi, écrouer ce gaillard-là dans les règles.

      Le directeur n’était pas loin, il parut. Le greffier avait préparé son registre.

      – Votre nom ?… demanda-t-il au prévenu.

      – Mai.

      – Vos prénoms ?

      – Je n’en ai pas.

      – Comment, vous n’avez pas de prénoms !

      Le meurtrier sembla réfléchir, puis d’un air bourru :

      – Au fait, dit-il, autant vous dire de ne pas vous épuiser à m’interroger ; je ne répondrai qu’au juge. Vous voudriez me faire couper, n’est-ce pas ?… La belle malice !… mais je la connais…

      – Remarquez, observa le directeur, que vous aggravez votre situation…

      – Rien du tout !… Je suis innocent, vous voulez m’enfoncer, je me défends. Tirez-moi maintenant des paroles du ventre, si vous pouvez !… Mais vous feriez mieux de me rendre mon argent qu’on m’a pris au poste. Cent trente-six francs huit sous !… J’en aurai besoin quand je sortirai d’ici. Je veux qu’on les inscrive sur le registre… Où sont-ils ?…

      Cet argent avait été remis à Lecoq par le chef du poste ; avec tout ce qui avait été trouvé sur le meurtrier quand on l’avait fouillé une première fois. Il déposa le tout sur une table.

      – Voici vos cent trente-six francs huit sous, dit-il, et de plus votre couteau, votre mouchoir de poche et quatre cigares…

      Le plus vif contentement se peignit sur les traits du prévenu.

      – Maintenant, reprit le greffier, voulez-vous répondre ?

      Mais le directeur avait compris l’inutilité de l’insistance, il fit signe au greffier de se taire, et s’adressant à l’homme :

      – Retirez vos chaussures, commanda-t-il.

      À cet ordre, Lecoq crut voir vaciller le regard du meurtrier. Était-ce une illusion ?

      – Pourquoi faire ? demanda-t-il.

      – Pour passer sous la toise, répondit le greffier ; il faut que j’inscrive votre taille.

      Le prévenu ne répondit pas, il s’assit et retira ses bottes de gros cuir, dont l’une, celle de droite, avait le talon complètement tourné en dedans. Il avait les pieds nus dans ses bottes grossières.

      – Vous ne mettez donc des chaussures que le dimanche ?… lui demanda Lecoq.

      – À quoi voyez-vous cela ?

      – Parbleu !… à la boue dont vos pieds sont couverts jusqu’à la cheville.

      – Et après !… fit l’homme du ton le plus insolent. Est-ce un crime de n’avoir pas les pieds comme une marquise ?…

      – Ce ne serait pas votre crime, en tout cas, dit lentement le jeune policier. Pensez-vous que je ne vois pas, en dépit de la boue, combien vos pieds sont blancs et nets ?… Les ongles sont soignés et passés à la lime…

      Il s’interrompit. Un éclair de son génie investigateur traversait son esprit.

      Il avança vivement une chaise, étendit dessus un journal et dit au meurtrier :

      – Veuillez poser vos pieds là !…

      L’homme essaya de faire des façons.

      – Ah !… ne résistez pas, insista le directeur, nous sommes en force.

      Le prévenu se résigna. Il se plaça comme on le lui avait ordonné, et Lecoq s’armant d’un canif se mit à détacher adroitement les fragments de boue qui adhéraient à la peau.

      Partout ailleurs qu’au greffe du Dépôt, on eût sans doute ri de la besogne entreprise par Lecoq ; besogne mystérieuse, étrange et grotesque tout à la fois.

      Mais dans cette antichambre de la Cour d’assises, les actes les plus futiles revêtent une teinte lugubre, le rire se glace aisément sur les lèvres, et on ne s’étonne de rien.

      Tous les assistants, d’ailleurs, depuis le directeur jusqu’au dernier des gardiens, en avaient bien vu d’autres. Même il ne vint à personne l’idée de demander au jeune policier à quelle inspiration il obéissait.

      Ce qui était clair, ce qui était acquis, c’est que le prévenu allait disputer à la justice son identité, qu’il fallait à tout prix la constater, et que probablement Lecoq avait imaginé un moyen d’atteindre ce but.

      Il eut, du reste, promptement terminé, et recueilli sur le journal plein le creux de la main d’une poussière noirâtre.

      Cette poussière, il la divisa en deux parts. Il en enveloppa une dans un morceau de papier qu’il glissa dans sa poche, et présenta l’autre au directeur en lui disant :

      – Je vous prie, monsieur, de recevoir en dépôt et de sceller ceci sous les yeux du prévenu. Il ne faut pas qu’il puisse, plus tard, prétendre que, à cette poussière, on en a substitué d’autre.

      Le directeur fit ce qu’on lui demandait, et pendant qu’il ficelait et cachetait dans un petit sac cette « pièce de conviction, » le meurtrier haussait les épaules et ricanait.

      Il est vrai que sous cette gaieté cynique, Lecoq croyait deviner une poignante anxiété.

      Le hasard lui devait bien la compensation de ce petit triomphe, car les événements ultérieurs allaient tromper toutes ses prévisions.

      Ainsi, le meurtrier n’éleva aucune objection quand il reçut l’ordre de se déshabiller, pour échanger ses vêtements souillés de sang, contre le costume fourni par l’administration.

      Pas un des muscles de son visage ne trahit le secret de son âme, pendant qu’on soumettait sa personne à ces perquisitions


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