Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau

Monsieur Lecoq - Emile  Gaboriau


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fier sur son siège, faisait claquer son fouet, et la voiture filait comme s’il y eût en cent sous de pour-boire.

      Seul le père Absinthe était triste. Lecoq l’avait pardonné et même lui avait juré le secret, mais il ne se pardonnait pas, lui ! Il ne pouvait se consoler d’avoir été, lui, un vieux policier, joué comme un provincial naïf. Si encore il n’eût pas livré le secret de l’instruction ! Mais, il ne le comprenait que trop, il avait, par cela seul, doublé les difficultés de la tâche.

      Du moins, la longue course ne fut pas inutile. Le secrétaire du commissaire de police du treizième arrondissement apprit à Lecoq que la femme Polyte Chupin demeurait avec son enfant aux environs, dans la ruelle de la Butte-aux-Cailles.

      Il ne put indiquer le numéro précis, mais il donna des détails.

      La bru de la mère Chupin était Auvergnate, et elle était cruellement punie d’avoir préféré un Parisien à un compatriote.

      Arrivée à Paris à douze ans, elle était entrée comme servante dans une grosse fabrique de Montrouge et y était toujours restée. Après dix ans de privations et d’un travail acharné, elle avait amassé, sou à sou, trois mille francs, quand son mauvais génie jeta Polyte Chupin sur sa route.

      Elle s’éprit de ce pâle et cynique gredin, et lui l’épousa pour ses économies.

      Tant que dura l’argent, c’est-à-dire pendant trois ou quatre mois, le ménage alla cahin-caha. Mais avec le dernier écu, Polyte s’envola et reprit avec délices sa vie de paresse, de maraude et de débauche.

      Dès lors il ne reparut plus chez sa femme que pour la voler, quand il lui soupçonnait quelques petites épargnes. Et périodiquement elle se laissait dépouiller de tout.

      Il eût voulu la pousser plus bas, alléché par l’espoir d’ignobles profits ; elle résista.

      De cette résistance même était venue la haine de la vieille Chupin contre sa belle-fille, haine qui se traduisait par tant de mauvais traitements, que la pauvre femme dut fuir un soir avec les seules guenilles qui la couvraient.

      La mère et le fils comptaient peut-être que la faim ferait ce que n’avaient pu faire leurs menaces et leurs conseils.

      Leurs honteux calculs devaient être trompés.

      Le secrétaire ajoutait que ces faits étaient de notoriété publique, et que tout le monde rendait justice à la vaillante Auvergnate.

      – Même, disait-il, un sobriquet qu’on lui avait donné : Toinon-la-Vertu, était un grossier mais sincère hommage.

      C’est muni de ces renseignements que Lecoq remonta en voiture.

      La ruelle de la Butte-aux-Cailles, où le conduisit rapidement Papillon, ressemble peu au boulevard Malesherbes. Y demeure-t-il des millionnaires ? on ne le devine pas. Ce qui est sûr, c’est que tous les habitants s’y connaissent comme dans un village. La première personne à qui le jeune policier demanda madame Polyte Chupin le tira d’embarras.

      – Toinon-la-Vertu demeure dans cette maison, à droite, lui fut-il répondu ; tout en haut de l’escalier, la porte en face.

      L’indication était si précise, que du premier coup Lecoq et le père Absinthe arrivèrent au logis qu’ils cherchaient.

      C’était une triste et froide mansarde carrelée, assez spacieuse, éclairée par une fenêtre à tabatière.

      Un lit de noyer disloqué, une table boiteuse, deux chaises et de misérables ustensiles de ménage constituaient le mobilier.

      Mais la propreté, en dépit de la pauvreté, étincelait, et on eût mangé par terre, selon l’énergique expression du père Absinthe.

      Quand les deux policiers se présentèrent, ils trouvèrent une femme qui cousait des sacs de grosse toile, assise au milieu de la pièce, sous la fenêtre, pour que le jour tombât bien d’aplomb sur son ouvrage.

      À la vue de deux étrangers, elle se leva à demi, surprise, un peu effrayée même ; et quand ils lui eurent expliqué qu’ils avaient à lui parler assez longuement, elle quitta sa chaise pour l’offrir.

      Mais le vieil homme de police la contraignit de demeurer assise, et il resta debout pendant que Lecoq s’établissait sur l’autre chaise.

      D’un coup d’œil, le jeune policier avait inventorié le logis et évalué la femme.

      Elle était petite, courte, grosse, affreusement commune. Une forêt de rudes cheveux noirs plantés très bas sur le front et de gros yeux à fleur de tête donnaient à sa physionomie quelque chose de la navrante résignation de la bête maltraitée.

      Peut-être avait-elle eu autrefois ce qu’on est convenu d’appeler la beauté du diable, maintenant elle semblait presque aussi vieille que sa belle-mère.

      Le chagrin et les privations, les travaux excessifs, les nuits passées sous la lampe, les larmes dévorées et les coups reçus avaient plombé son teint, rougi ses yeux et creusé à ses tempes des rides profondes.

      Mais de toute sa personne s’exhalait un parfum d’honnêteté native que n’avait pu corrompre le milieu où elle avait vécu.

      Son enfant ne lui ressemblait en rien. Il était pâle et chétif, avec des yeux qui brillaient d’un éclat phosphorescent et des cheveux de ce jaune sale qu’on appelle le blond de Paris.

      Un détail émut les deux agents.

      La mère n’avait sur elle qu’une méchante robe d’indienne, mais le petit était chaudement vêtu de gros drap.

      – Madame, commença doucement Lecoq, vous avez sans doute entendu parler du grand crime commis dans l’établissement de votre belle-mère.

      – Hélas !… oui, monsieur.

      Et vivement elle ajouta :

      – Mais mon homme ne peut y être mêlé, puisqu’il est en prison.

      Cette objection, qui courait au devant du soupçon, ne trahissait-elle pas des appréhensions horribles ?

      – Oui, je le sais, dit le jeune policier, Polyte a été arrêté il y a une quinzaine….

      – Oh !… bien injustement, monsieur, je vous le jure. Il a été, comme toujours, entraîné par ses amis, des mauvais sujets. Il est si faible ; quand il a un verre de vin en tête, on en fait alors tout ce qu’on veut. De lui-même, il ne ferait pas de mal à un enfant, il n’y a qu’à le regarder….

      Tout en parlant, elle attachait des regards enflammés à une mauvaise photographie suspendue au mur et qui représentait un affreux garnement à l’œil louche, à la bouche grimaçante à peine ombragée d’une légère moustache, portant des mèches de cheveux bien collées aux tempes. C’était là Polyte.

      Et il n’y avait pas à s’y méprendre, cette malheureuse l’aimait toujours ; c’était son mari, d’ailleurs.

      Une minute de silence suivit cette scène muette où éclatait la passion, et c’est pendant ce silence que la porte de la mansarde s’entr’ouvrit doucement.

      Un homme avança la tête et la retira aussitôt avec une sourde exclamation. Puis, la porte se referma, la clé grinça dans la serrure, et on entendit des pas rapides dans l’escalier.

      Assis dans la mansarde, le dos tourné à la porte, Lecoq n’avait pu apercevoir le visage de l’étrange visiteur.

      Et, si promptement qu’il se fût retourné au bruit, il avait deviné le mouvement bien plutôt qu’il ne l’avait surpris.

      Pourtant il n’eut pas l’ombre d’un doute.

      – C’est lui, s’écria-t-il, le complice !

      Grâce à sa position, le père Absinthe avait vu.

      – Oui, dit-il, oui, j’ai reconnu l’homme qui m’a grisé hier.

      D’un bond, les deux agents s’étaient jetés sur la porte, et ils s’épuisaient


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