Monsieur Lecoq. Emile Gaboriau

Monsieur Lecoq - Emile  Gaboriau


Скачать книгу
essayer de renfoncer le pêne ou d’arracher la garde. Il trépignait de rage…

      Enfin, la porte fut forcée, et les deux agents, animés d’une ardeur pareille, s’élancèrent à la poursuite de leur mystérieux adversaire.

      Arrivés dans la ruelle, ils s’informèrent. Ils pouvaient donner le signalement de l’homme ; c’était quelque chose. Deux personnes l’avaient vu entrer dans la maison de Toinon-la-Vertu, une troisième l’avait remarqué lorsqu’il en était sorti précipitamment. Des enfants qui jouaient sur la chaussée assurèrent que cet individu s’était enfui à toutes jambes dans la direction de la rue du Moulin-des-Prés.

      C’était dans cette rue, près de l’endroit où s’y amorce la ruelle de la Butte-aux-Cailles, que Lecoq avait fait arrêter sa voiture.

      – Courons-y ! proposa le père Absinthe, le cocher pourra peut-être nous donner quelque renseignement.

      Mais l’autre hocha la tête d’un air découragé et ne bougea point.

      – À quoi bon !… prononça-t-il. La présence d’esprit qu’a eue cet homme de donner un tour de clé l’a sauvé. Il a maintenant dix minutes d’avance sur nous, il est loin, nous ne le rattraperons pas.

      Le vieil agent était blême de colère.

      Il considérait maintenant comme son ennemi personnel ce rusé complice qui l’avait si cruellement mystifié ; il eût donné un mois de sa paye pour lui mettre la main au collet.

      – Ah ! ce n’est pas le toupet qui lui manque, à ce brigand, dit-il, ni la chance !… Penser qu’il se moque de nous, comme une souris qui jouerait avec les griffes du chat, et que voici trois fois qu’il nous échappe … Trois fois !…

      Le jeune policier était aussi irrité au moins que son collègue, et bien autrement blessé dans sa vanité. Mais il sentait la nécessité du sang-froid.

      – Oui, répondit-il, d’un ton pensif, le mâtin est hardi et intelligent, et il ne reste pas les jambes croisées. Si nous travaillons, il se remue ferme. Ce démon-là est partout. De quelque côté que je pousse l’attaque, je l’y trouve sur la défensive. C’est lui, l’ancien, qui vous a fait perdre la piste de Gustave, c’est lui qui a organisé cette belle comédie de l’hôtel de Mariembourg…

      – Et maintenant, objecta le bonhomme, d’un air capable, que le Général vienne donc nous chanter que c’est des fantômes que vous prétendez conduire au poste !…

      Si délicate que fût la flatterie, elle ne put tirer Lecoq de ses réflexions.

      – Jusqu’à présent, reprit-il au bout d’un moment, cet habile metteur en scène m’a devancé, partout ; de là mes échecs. Ici, du moins, nous arrivons avant lui. Or, s’il y venait, c’est qu’il flaire un danger… Donc nous pouvons espérer. Remontons près de la femme de ce garnement de Polyte.

      Hélas ! la pauvre Toinon-la-Vertu ne comprenait rien à cette aventure, Elle était restée sur son palier, tenant son enfant par la main, penchée sur la rampe de l’escalier, palpitante, l’œil et l’oreille au guet.

      Dès qu’elle aperçut les deux agents qui remontaient aussi lentement qu’ils étaient descendus vite, elle s’avança :

      – Au nom du ciel, demandait-elle, que se passe-t-il, qu’est-ce que cela signifie ?…

      Mais Lecoq n’était pas homme à conter ses affaires dans un corridor tapissé d’oreilles, et c’est seulement quand il eut repoussé la jeune femme dans sa mansarde, la porte refermée, qu’il lui répondit.

      – Il y a que nous venons de donner la chasse à un complice des meurtres de la Poivrière. Il arrivait espérant vous trouver seule, notre présence l’a effarouché.

      – Un assassin !… balbutia Toinon, en joignant les mains. Que pouvait-il me vouloir ?

      – Qui sait ? Il est a supposer qu’il est des amis de votre mari.

      – Oh !… monsieur….

      – Quoi !… Ne venez-vous pas de nous dire que Polyte a les plus détestables connaissances ! Rassurez-vous, cela ne le compromet en rien. Vous avez d’ailleurs un moyen simple d’écarter de lui les soupçons.

      – Un moyen ! Lequel ? Oh ! dites vite….

      – C’est de me répondre franchement, et de me mettre à même, vous qui êtes une honnête femme, d’arrêter le coupable. Parmi tous les amis de votre mari, n’en connaissez-vous pas de capables d’avoir fait le coup ?… Nommez-les moi.

      L’hésitation de la malheureuse fut visible. Souvent, sans doute, elle avait assisté à d’ignobles conciliabules, et on avait dû la menacer de vengeances terribles si elle parlait.

      – Vous n’avez rien à craindre, insista le jeune policier, et jamais, je vous le promets, on ne saura que vous m’avez dit un mot. Puis, quoi que vous disiez, vous ne m’apprendrez peut-être rien. On nous a conté déjà bien des choses de votre vie, sans parler des brutalités dont vous ont rendue victime Polyte et sa mère.

      – Mon mari, monsieur, ne m’a jamais brutalisée, dit fièrement la jeune femme…. Cela, d’ailleurs, ne regarde que moi.

      – Et votre belle-mère ?

      – Elle est peut-être un peu vive ; au fond, elle a bon cœur.

      – Alors, pourquoi diable vous êtes-vous enfuie du cabaret de la veuve Chupin, puisque vous y étiez si heureuse ?

      Toinon-la-Vertu était devenue cramoisie jusqu’à la racine des cheveux.

      – Je me suis sauvée, répondit-elle, pour d’autres raisons. Il venait beaucoup d’hommes ivres là-bas, et des fois, quand j’étais seule, d’aucuns voulaient pousser la plaisanterie un peu loin… Vous me direz que j’ai le poignet solide, et c’est vrai ; aussi j’aurais peut-être patienté… Mais quand je m’absentait il y en avait qui étaient assez bêtes pour faire boire de l’eau-de-vie au petit, au point qu’une fois en rentrant je l’ai trouvé comme mort, raide déjà et tout froid, et il a fallu courir chercher le médecin.

      Elle s’arrêta court, la pupille dilatée. De rouge elle était devenue livide, et c’est d’une voix étranglée qu’elle cria à son fils :

      – Toto !… Malheureux !…

      Lecoq regarda autour de lui, et frissonna ; il avait compris. Cet enfant, qui n’avait pas cinq ans, s’était glissé à quatre pattes près de lui, et lui fouillait dans les poches de son paletot, il le volait, il le dévalisait … et adroitement.

      –Eh bien !… oui, s’écria l’infortunée en fondant en larmes, oui, il y avait encore cela ! Dès que je perdais le petit de vue, des gens l’attiraient dehors. Ils l’emmenaient dans des endroits où il y a du monde, et ils lui apprenaient à chercher dans les poches et à leur apporter ce qu’il y trouvait. Si on s’apercevait de quelque chose, ils se fâchaient très haut contre l’enfant et le battaient… Si personne ne voyait rien, ils lui donnaient un sou pour du sucre d’orge et gardaient ce qu’il avait pris.

      Elle cacha son visage entre ses mains, et, d’une voix inintelligible, ajouta :

      – Et moi, je ne veux pas que mon petit soit un voleur.

      Ce qu’elle ne disait pas, la pauvre créature, c’est que celui qui emmenait ainsi l’enfant et le dressait au vol, c’était le père, son mari à elle, Polyte Chupin. Mais les deux agents le comprenaient bien, et si abominable était le crime de l’homme, et si déchirante la douleur de la femme, qu’ils se sentirent remués jusqu’au plus profond d’eux-mêmes. De ce moment, Lecoq ne songea plus qu’à abréger une scène affreusement pénible. D’ailleurs, l’émotion de cette pauvre mère lui garantissait sa sincérité.

      – Tenez, lui dit-il avec une brusquerie affectée, deux questions seulement, et je vous tiens quitte. Parmi les habitants de votre cabaret, ne s’en trouvait-il


Скачать книгу