Germinal. Emile Zola

Germinal - Emile  Zola


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délabré qui les séparait, un trou par lequel on voisinait. Le puits commun était là, desservant quatre ménages. À côté, derrière un bouquet de lilas chétifs, se trouvait le carin, une remise basse, pleine de vieux outils, et où l’on élevait, un à un, les lapins qu’on mangeait les jours de fête. Une heure sonna, c’était l’heure du café, pas une âme ne se montrait aux portes ni aux fenêtres. Seul, un ouvrier de la coupe à terre, en attendant la descente, bêchait son coin de légumes, sans lever la tête. Mais, comme la Maheude arrivait en face, à l’autre corps de bâtiment, elle fut surprise de voir paraître, devant l’église, un monsieur et deux dames. Elle s’arrêta une seconde, elle les reconnut: c’était Mme Hennebeau, qui faisait visiter le coron à ses invités, le monsieur décoré et la dame en manteau de fourrure.

      – Oh! pourquoi as-tu pris cette peine? s’écria la Pierronne, lorsque la Maheude lui eut rendu son café. Ça ne pressait pas.

      Elle avait vingt-huit ans, elle passait pour la jolie femme du coron, brune, le front bas, les yeux grands, la bouche étroite; et coquette avec ça, d’une propreté de chatte, la gorge restée belle, car elle n’avait pas eu d’enfant. Sa mère, la Brûlé, veuve d’un haveur mort à la mine, après avoir envoyé sa fille travailler dans une fabrique, en jurant qu’elle n’épouserait jamais un charbonnier, ne décolérait plus, depuis que celle-ci s’était mariée sur le tard avec Pierron, un veuf encore, qui avait une gamine de huit ans. Cependant, le ménage vivait très heureux, au milieu des bavardages, des histoires qui couraient sur les complaisances du mari et sur les amants de la femme: pas une dette, deux fois de la viande par semaine, une maison si nettement tenue, qu’on se serait miré dans les casseroles. Pour surcroît de chance, grâce à des protections, la Compagnie l’avait autorisée à vendre des bonbons et des biscuits, dont elle étalait les bocaux sur deux planches, derrière les vitres de la fenêtre. C’étaient six ou sept sous de gain par jour, quelquefois douze le dimanche. Et, dans ce bonheur, il n’y avait que la mère Brûlé qui hurlât avec son encagement de vieille révolutionnaire, ayant à venger la mort de son homme contre les patrons, et que la petite Lydie qui empochât en gifles trop fréquentes les vivacités de la famille.

      – Comme elle est grosse déjà! reprit la Pierronne, en faisant des risettes à Estelle.

      – Ah! le mal que ça donne, ne m’en parle pas! dit la Maheude. Tu es heureuse de n’en pas avoir. Au moins, tu peux tenir propre.

      Bien que, chez elle, tout fût en ordre, et qu’elle lavât chaque samedi, elle jetait un coup d’œil de ménagère jalouse sur cette salle si claire, où il y avait même de la coquetterie, des vases dorés sur le buffet, une glace, trois gravures encadrées.

      Cependant, la Pierronne était en train de boire seule son café, tout son monde se trouvant à la fosse.

      – Tu vas en prendre un verre avec moi, dit-elle.

      – Non, merci, je sors d’avaler le mien.

      – Qu’est-ce que ça fait?

      En effet, ça ne faisait rien. Et toutes deux burent lentement. Entre les bocaux de biscuits et de bonbons, leurs regards s’étaient arrêtés sur les maisons d’en face, qui alignaient, aux fenêtres, leurs petits rideaux, dont le plus ou le moins de blancheur disait les vertus des ménagères. Ceux des Levaque étaient très sales, de véritables torchons, qui semblaient avoir essuyé le cul des marmites.

      – S’il est possible de vivre dans une pareille ordure! murmura la Pierronne.

      Alors, la Maheude partit et ne s’arrêta plus. Ah! si elle avait eu un logeur comme ce Bouteloup, c’était elle qui aurait voulu faire marcher son ménage! Quand on savait s’y prendre, un logeur devenait une excellente affaire. Seulement, il ne fallait pas coucher avec. Et puis, le mari buvait, battait sa femme, courait les chanteuses des cafés-concerts de Montsou.

      La Pierronne prit un air profondément dégoûté. Ces chanteuses, ça donnait toutes les maladies. Il y en avait une, à Joiselle, qui avait empoisonné une fosse.

      – Ce qui m’étonne, c’est que tu aies laissé aller ton fils avec leur fille.

      – Ah! oui, empêche donc ça!… Leur jardin est contre le nôtre. L’été, Zacharie était toujours avec Philomène derrière les lilas, et ils ne se gênaient guère sur le carin, on ne pouvait tirer de l’eau au puits sans les surprendre.

      C’était la commune histoire des promiscuités du coron, les garçons et les filles pourrissant ensemble, se jetant à cul, comme ils disaient, sur la toiture basse et en pente du carin, dès la nuit tombée. Toutes les herscheuses faisaient là leur premier enfant, quand elles ne prenaient pas la peine d’aller le faire à Réquillart ou dans les blés. Ça ne tirait pas à conséquence, on se mariait ensuite, les mères seules se fâchaient, lorsque les garçons commençaient trop tôt, car un garçon qui se mariait ne rapportait plus à la famille.

      – À ta place, j’aimerais mieux en finir, reprit la Pierronne sagement. Ton Zacharie l’a déjà emplie deux fois, et ils iront plus loin se coller… De toute façon, l’argent est fichu.

      La Maheude, furieuse, étendit les mains.

      – Écoute ça: je les maudis, s’ils se collent… Est-ce que Zacharie ne nous doit pas du respect? Il nous a coûté, n’est-ce pas? eh bien! il faut qu’il nous rende, avant de s’embarrasser d’une femme… Qu’est-ce que nous deviendrions, dis? si nos enfants travaillaient tout de suite pour les autres? Autant crever alors!

      Cependant, elle se calma.

      – Je parle en général, on verra plus tard… Il est joliment fort, ton café: tu mets ce qu’il faut.

      Et, après un quart d’heure d’autres histoires, elle se sauva, criant que la soupe de ses hommes n’était pas faite. Dehors, les enfants retournaient à l’école, quelques femmes se montraient sur les portes, regardaient Mme Hennebeau, qui longeait une des façades, en expliquant du doigt le coron à ses invités. Cette visite commençait à remuer le village. L’homme de la coupe à terre s’arrêta un moment de bâcher, deux poules inquiètes s’effarouchèrent dans les jardins.

      Comme la Maheude rentrait, elle buta dans la Levaque, qui était sortie pour sauter au passage sur le docteur Vanderhaghen, un médecin de la Compagnie, petit homme pressé, écrasé de besogne, qui donnait ses consultations en courant.

      Monsieur, disait-elle, je ne sors plus, j’ai mal partout… Faudrait en causer cependant.

      Il les tutoyait toutes, il répondit sans s’arrêter:

      – Fiche-moi la paix! tu bois trop de café.

      – Et mon mari, Monsieur, dit à son tour la Maheude, vous deviez venir le voir… Il a toujours ses douleurs aux jambes.

      – C’est toi qui l’esquintes, fiche-moi la paix!

      Les deux femmes restèrent plantées, regardant fuir le dos du docteur.

      – Entre donc, reprit la Levaque, quand elle eut échangé avec sa voisine un haussement d’épaules désespéré. Tu sais qu’il y a du nouveau… Et tu prendras bien un peu de café. Il est tout frais.

      La Maheude, qui se débattait, fut sans force. Allons! une goutte tout de même, pour ne pas la désobliger. Et elle entra.

      La salle était d’une saleté noire, le carreau et les murs tachés de graisse, le buffet et la table poissés de crasse; et une puanteur de ménage mal tenu prenait à la gorge. Près du feu, les deux coudes sur la table, le nez enfoncé dans son assiette, Bouteloup, jeune encore pour ses trente-cinq ans, achevait un restant de bouilli, avec sa carrure épaisse de gros garçon placide; tandis que, debout contre lui, le petit Achille, le premier-né de Philomène, qui entrait dans ses trois ans déjà, le regardait de l’air suppliant et muet d’une bête gourmande. Le logeur, très tendre sous une grande barbe brune, lui fourrait de temps à autre un morceau de sa viande au fond de la bouche.

      – Attends que je le sucre, disait la Levaque, en mettant la cassonade d’avance dans la cafetière.

      Elle, plus vieille que


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