Borgia. Michel Zevaco

Borgia - Michel  Zevaco


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Cette sœur, je la trouverai… je l’aimerai, ma mère !…

      Et Primevère se relevant approcha du front de sa mère et longuement, tendrement, y déposa un baiser.

      – Ne songez plus au passé, supplia-t-elle.

      La moribonde secoua la tête.

      – Il faut que je… te dise… le nom !…

      – Le nom ?

      – Oui… Tu dois connaître le père de l’enfant… de ta sœur !… C’est l’homme qui ensanglante l’Italie… c’est celui qui m’a fait empoisonner par son fils… C’est Borgia… c’est le pape !…

      Un cri d’horreur échappa à la jeune fille. Elle saisit la main de sa mère et la secoua violemment.

      – Oh ! répétez… Est-ce possible ?

      Mais la comtesse Alma se tenait à jamais immobile et muette. Elle venait d’expirer dans une effrayante secousse… Pri-mevère tomba sur les genoux, glacée, désespérée, en proie à la douleur et à l’épouvante…

      XII. RAPHAËL SANZIO

      Nous conduirons maintenant nos lecteurs dans une grande et belle maison, située sur les flancs du Pincio – l’une des collines de Rome.

      Au premier étage, c’était une vaste pièce où, par une baie immense ouverte sur un balcon, la lumière entrait à flots. C’était l’atelier de Raphaël Sanzio.

      Aidé d’un jeune homme qui avait à peu près son âge, le peintre s’occupait activement à décrocher les toiles qui garnis-saient les murs de cet atelier. Au fur et à mesure que les toiles étaient décrochées, les deux jeunes gens les attachaient à une corde et, par le balcon, les descendaient sur une charrette qui stationnait en bas devant le seuil et sur laquelle un ouvrier les ar-rangeait méthodiquement. Cela ressemblait à un déménagement hâtif et, eût-on dit, aux préparatifs d’une fuite.

      Tout en travaillant à cette besogne, les jeunes gens causaient sans s’interrompre.

      – Ainsi, disait l’ami de Raphaël, c’est à Florence que je te fe-rai parvenir tout cela ?

      – Oui, mon cher Machiavel… à Florence… Là, j’espère trou-ver aide et protection, grâce à l’influence de mon vénéré maître Le Pérugin…

      – Dans quinze jours au plus tard, tous tes trésors seront à Florence, je t’en réponds, Sanzio.

      – Merci, Machiavel. Je sais que je puis compter sur ton ami-tié. Mais pourquoi, au lieu de m’envoyer mes toiles, ne les appor-terais-tu pas toi-même ? Viens me rejoindre, Machiavel… Rome est une ville morte… Florence, au contraire, c’est le cerveau de l’Italie…

      Machiavel secoua la tête.

      – Oui, dit-il, j’aime Florence, comme toi… Et un jour, c’est là que j’irai pour mettre en ordre mes notes et commencer le livre qui hante mes songes… Mais ici, je trouve des matériaux que je ne trouverais nulle part…

      – Que veux-tu dire ?…

      – Que pour écrire mon livre, je ne pouvais souhaiter de meilleur modèle que Borgia… Quel somptueux criminel ! Peut-on rêver assemblage plus parfait de cruauté, d’astuce et de vio-lence ? Quel admirable type de despote, pour inspirer au peuple l’horreur du despotisme !… Ah ! combien je suis heureux de ne pas avoir donné suite à mon projet de poignarder Borgia !…

      Machiavel se tut subitement. Puis, il passa sur son front sa main brûlante et, revenant tout à coup à Raphaël qui le contem-plait :

      – Pardonne-moi, mon ami, de me laisser emporter par mes songes, alors que de graves périls t’entourent… Mais à quoi pen-sais-tu ?…

      – Rosita ! murmura-t-il, pris d’une soudaine angoisse.

      – Ta Fornarina ! continua Machiavel. Et à ce propos, tu de-vais me dire les causes de ce départ précipité… de cette fuite.

      – Machiavel… les minutes sont précieuses… Un jour, lors-que tu seras venu nous rejoindre, soit à Florence, soit à Urbin, tu sauras tout… Aujourd’hui, sache seulement que Rosita est mena-cée d’un affreux danger… Ce que m’a raconté hier la Maga, du Ghetto, m’a atterré… Demain matin, à l’aube, la Fornarina et moi nous serons loin de Rome, sur la route de Florence… Mais avant notre départ, notre union sera consommée…

      – Soit… Et le mariage a lieu ?…

      – Cette nuit, dans la petite église des Anges, qui est à l’entrée du Ghetto… C’est là que ma pauvre Fornarina fut jadis trouvée par la Maga…

      – Quelle heure ?…

      – La première messe nocturne… deux heures du matin… aussitôt après la cérémonie, nous quittons Rome à pied et nous allons rejoindre la chaise de poste à l’endroit que tu me désigne-ras.

      – Sois tranquille, tout sera prêt… voiture solide, chevaux ra-pides… Je m’en charge… À propos, j’ai une cinquantaine de du-cats dans un tiroir… les veux-tu ?

      – Non, je suis riche, j’ai touché chez le trésorier du pape le prix de ma Vierge à la chaise.

      Le déménagement des toiles était achevé.

      Les deux amis descendirent et se dirent au revoir jusqu’à la cérémonie de l’église des Anges. Machiavel serait le témoin de la Fornarina.

      Raphaël gagna l’église des Anges et y entra. Le peintre cher-cha des yeux un prêtre et, n’en voyant pas, il allait se diriger vers la sacristie lorsqu’il en vit sortir un moine qui, le capuchon rabat-tu sur les yeux, traversa la nef. Raphaël l’aborda.

      – Mon père, lui dit-il, pourriez-vous me dire si le desservant de cette église est ici en ce moment ?…

      Le moine jeta un rapide coup d’œil sur le jeune homme et eut un geste de surprise vite dissimulé.

      – Ce vénérable prêtre est malade, répondit-il, mais je le remplace… Auriez-vous besoin des secours de notre sainte reli-gion ?…

      – Mon père, reprit le peintre après une légère hésitation, c’est pour un mariage…

      – Bien, mon enfant… Et alors ?…

      – Un mariage… sans faste… sans bruit… La fiancée… par caprice… désire que ce mariage soit consommé la nuit…

      – C’est vous le fiancé ?…

      – Oui, mon révérend.

      – Et la fiancée… qui est-ce ?…

      – Vous saurez les noms au moment nécessaire…

      – Bien, bien… mon enfant… Et vous désirez que ce mariage se fasse la nuit ?… Peut-être voulez-vous qu’il demeure secret ? Vous pouvez tout me confier, mon fils…

      – Eh bien, oui, digne père… Il faut que cette union demeure secrète…

      – Nous avons une messe à une heure de la nuit… une autre à deux heures…

      – Celle-ci me convient…

      – C’est très bien… Et, pour quand ?

      – Cette nuit, mon père ! Y voyez-vous un inconvénient ?

      – Aucun, aucun ! Soyez ici cette nuit, à deux heures, avec votre fiancée et vos témoins… et je vous unirai.

      Raphaël remercia le moine et s’élança au-dehors. Quant au révérend, il attendit que le jeune homme eût disparu, puis se di-rigea vivement vers la sacristie. Là, un vieux prêtre mettait en ordre une armoire.

      – Fra Domenico, dit le moine, vous allez rentrer chez vous.

      Le prêtre leva un regard surpris sur le révérend.

      –… Car vous êtes


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