Borgia. Michel Zevaco

Borgia - Michel  Zevaco


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vous pourrez revenir à l’église. Jusque-là, croyez-moi, gardez le lit…

      Le prêtre soupira, remit au moine la clef de l’église et s’éloigna. À son tour, le moine sortit, ferma à clef la porte de la petite église et, en toute hâte, prit le chemin du Vatican…

      – Il est une heure… Gens de la ville, dormez en paix !…

      Le veilleur de nuit venait jeter ce cri à l’entrée du Ghetto… sans y entrer.

      Dans le sombre logis de la Maga, Raphaël Sanzio et Rosita, la petite Fornarina, sa fiancée, venaient de faire leurs adieux à la vieille sorcière. Calme et presque indifférente, en apparence, la Maga consolait d’une caresse la Fornarina qui pleurait dans ses bras…

      – Mère, suppliait celle-ci, venez avec nous…

      – Il faut que je reste ! répondit la sorcière d’une voix ferme. Plus tard, je vous rejoindrai… peut-être ! Mais maintenant, ma tâche n’est pas terminée…

      – Vous ferez selon votre volonté, Maga, dit Raphaël d’une voix émue.

      – Mère ! Comment vais-je vivre, loin de vous ? reprit à son tour la Fornarina.

      – Allez, enfants ! fit-elle. Voici l’heure !…

      – Un dernier mot ! dit Raphaël. N’oubliez pas que vous avez promis de me faire savoir quels ennemis menaçaient Rosita… et qui est son père !

      – Oui, vous le saurez… mais quand il sera temps… Pour le moment, fuyez Rome au plus tôt…

      – La chaise de poste nous attend… Dans peu de jours, nous serons à Florence…

      – Alors, seulement, je respirerai… Allez… il est temps…

      La Maga étreignit Rosita sur son sein. Puis, précipitam-ment, elle se retira dans la pièce voisine – la chambre qu’avait habitée la Fornarina – en larmes.

      Demeurée seule, la Maga s’accroupit selon son habitude, la tête sur les genoux : une immense douleur bouleversait ses traits.

      Raphaël et Rosita avaient rapidement franchi l’espace qui les séparait de l’église des Anges. Il allait être deux heures lors-qu’ils atteignirent la chapelle.

      Au fond de la nef, une chapelle latérale brillait faiblement, éclairée par la lueur de deux cierges. Les témoins, des jeunes gens amis de Machiavel et de Sanzio, attendaient… Un prêtre, ac-compagné d’un enfant de chœur, sortit de la sacristie.

      La messe fut dite. Les anneaux s’échangèrent. Lorsque ce fut fini, Machiavel s’approcha de Sanzio :

      – La voiture attend près de la porte Florentine, en dehors des murs… je cours devant pour faire ouvrir la porte… Hâte-toi…

      Le jeune homme disparut. Sanzio et Rosita sortirent de l’église. Les trois autres témoins s’approchèrent, saluèrent la nouvelle épousée et se hâtèrent de s’éloigner.

      Raphaël et la Fornarina demeurèrent seuls. Puis ils se mi-rent en route, à pas pressés, vers la porte Florentine, et s’engagèrent dans une rue étroite et tortueuse.

      Soudain, autour d’eux, surgirent une quinzaine d’ombres si-lencieuses qui les entourèrent. Sanzio tira sa dague. Rosita jeta un cri de terreur.

      Sans un mot, gardant toutes ses forces pour la lutte, Raphaël souleva, enleva sa jeune femme dans un de ses bras et, le poi-gnard levé, se rua sur un groupe qui se dressait devant lui. Mais il n’avait pas fait deux pas qu’il trébucha, roula sur le pavé ; un coup furieux venait de l’atteindre à la tête…

      Le jeune homme entendit comme un cri de détresse éper-due… Puis, presque aussitôt, il s’évanouit.

      Lorsque Raphaël revint à lui, il faisait encore nuit.

      – Rosita ! appela-t-il d’une voix angoissée.

      Ses mains cherchèrent à tâtons dans l’obscurité. Autour de Raphaël étendu, il n’y avait que le pavé. Le sentiment d’horreur qui l’envahit fouetta ses forces. Il put se mettre sur les genoux… Il regarda, hagard.

      – Rosita ! appela-t-il encore.

      Mais il ne vit rien, et nul ne lui répondit.

      Alors, l’affreuse vérité se fit jour dans le cerveau du jeune homme. Rosita avait disparu ! Enlevée !

      Sanzio ne poussa pas un cri, ne proféra pas une plainte… Un espoir lui restait : prévenir la Maga !

      Tout étourdi encore par le coup de pommeau d’épée qu’il avait reçu sur la tête, Raphaël prit en chancelant le chemin du Ghetto et du logis de la sorcière.

      Haletant, il entra. Une torche achevait de se consumer dans un coin… À sa lumière, Raphaël vit le bahut ouvert, ses tiroirs bouleversés.

      – Maga ! Maga ! fit-il d’une voix angoissée.

      Il se rua dans la chambre de Rosita où il supposait que la sorcière se trouvait. Et une exclamation de douleur, un cri de ma-lédiction montèrent à ses lèvres. La chambre était vide. La Maga avait disparu.

      XIII. LA VOIE APPIENNE

      En cette même nuit où s’était consommé le mariage secret de Raphaël Sanzio et de la Fornarina, le chevalier de Ragastens avait quitté l’hôtellerie du Beau Janus qu’il habitait encore.

      À la suite de l’échauffourée où le chevalier avait failli être écharpé par la foule qui voyait en lui l’assassin du duc de Gandie, César Borgia lui avait offert un logement au château Saint-Ange. Mais, soit par bravade du danger, soit qu’il voulut garder une certaine liberté de ses faits et gestes, Ragastens avait refusé.

      – Monseigneur, avait-il dit, j’étoufferais dans la belle cage que vous me proposez ; je suis resté un peu le vagabond nocturne que je fus dans mon adolescence…

      César Borgia n’insista pas et se contenta d’admirer l’insouciance du chevalier, comme il avait admiré d’abord son in-trépidité dans l’émotion populaire.

      Le chevalier erra longuement par les rues désertes, noires, pleines d’ombre et de silence et se trouva enfin à l’entrée de la Voie Appienne.

      – Elle m’a dit : le vingt-troisième tombeau à gauche. Quant au mot de passe, j’aurai à prononcer l’anagramme de Roma – puisse-t-il m’être de bon augure !

      Et il s’avança en comptant les édifices tantôt serrés l’un contre l’autre, tantôt séparés par de longs espaces où croissaient tamaris et lentisques.

      Ragastens songeait que, pour la troisième fois, il allait revoir cette étrange jeune fille dont la destinée était encore une énigme à ses yeux, cette Primevère dont son imagination ne pouvait plus se détacher. Et lorsqu’il atteignit le vingt-troisième tombeau, le cœur lui battait certes fort.

      Il fit le tour du tombeau et ne vit personne.

      – Serais-je venu trop tôt, ou trop tard ? pensa-t-il.

      À ce moment, près de lui, dans l’ombre des fourrés, une voix murmura :

      – Roma !

      – Amor ! répondit le chevalier.

      Aussitôt, un homme parut, surgissant d’un bouquet d’arbustes sauvages. Sans dire un mot, il poussa la petite porte de bronze qui fermait l’entrée du tombeau et s’effaça pour laisser passer Ragastens.

      Le chevalier entra et se trouva dans une sorte de cellule étroite qu’éclairait faiblement un flambeau. Le sol était composé de larges dalles. L’une d’entre elles, arrachée de son alvéole et posée debout contre la muraille, laissait béant un trou noir…

      Ragastens s’étant penché sur ce trou vit un escalier de pierres branlantes qui s’enfonçait dans les entrailles de la terre. Il s’y engagea sans hésiter.

      Au bas de l’escalier commençait une galerie


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