La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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du Valpinson, M. Galpin-Daveline avaitété emporté par la rapidité desévénements. Entre la première question adressée à Cocoleu et le moment présent, il n'avait pas eu le temps de se reconnaître. Et sa procédure ayantété publique, ilétait fatalement amené à l'expliquer.

      – Décidément, c'est un réquisitoire en règle! s'écria le docteur Seignebos. (Il avait retiré et essuyait furieusement ses lunettes d'or.) Et basé sur quoi? poursuivait-il avec trop de véhémence pour qu'on pût espérer l'interrompre; basé sur les réponses d'un malheureux que moi, médecin, je déclare inconscient de ses paroles. C'est que l'intelligence ne s'allume pas et ne s'éteint pas dans un cerveau comme le gaz dans un réverbère. On est ou on n'est pas idiot, il l'a toujoursété, et toujours il le sera. Mais, dites-vous, les autres dépositions sont concluantes. Dites qu'elles vous paraissent telles. Pourquoi? Parce que les accusations de Cocoleu vous ont influencé. Est-ce que sans cela vous vous occuperiez de ce qu'a fait ou non monsieur de Boiscoran? Il s'est promené toute la soirée! N'est-ce pas son droit? Il a traversé les marais! Qui l'en empêchait? Il a passé les bois! Est-ce défendu? On l'a rencontré! N'est ce pas naturel? Mais non, un idiot l'accuse, tous ses gestes sont suspects. Il parle! C'est le sang-froid du scélérat endurci. Il se tait! Remords d'un coupable tremblant de peur. Au lieu de nommer monsieur de Boiscoran, Cocoleu pouvait me nommer, moi, Seignebos. C'est alors mes démarches qu'on incriminerait, et, soyez tranquille, on y découvrirait mille preuves de ma culpabilité. On aurait beau jeu, d'ailleurs. Mes opinions ne sont-elles pas plus avancées encore que celles de monsieur de Boiscoran! Car voilà le grand mot lâché: monsieur de Boiscoran est républicain, monsieur de Boiscoran ne reconnaît d'autre souveraineté, d'autre magistrature que celles du peuple…

      – Docteur, interrompit le procureur de la République, docteur, vous ne pensez pas ce que vous dites…

      – Je le pense, morbleu! et même…

      Mais il fut de nouveau interrompu, et par M. de Claudieuse, cette fois:

      – Pour moi, déclara le comte, je reconnais la force des probabilités qu'invoque monsieur le juge d'instruction. Mais, au-dessus des probabilités, je place un fait positif: le caractère de l'homme accusé. Monsieur de Boiscoran est un galant homme et un homme de cœur, incapable d'un crime lâche et odieux…

      Les autres approuvaient.

      – Et moi, prononça M. Séneschal, je dirai: pourquoi ce crime? Ah! si monsieur de Boiscoran n'avait rien à perdre!… Mais est-il ici-bas un homme plus heureux que lui, qui est jeune, bien de sa personne, doué d'une santé admirable, immensément riche, estimé et recherché de tous! Enfin, il est un fait, qui est encore un secret de famille, mais que je puis vous dire et qui seulécarterait tout soupçon: monsieur de Boiscoran aimeéperdument mademoiselle Denise de Chandoré, il est aimé d'elle à la folie, et depuis avant-hier leur mariage est fixé au 20 du mois prochain.

      Le temps passait, cependant. La demie de quatre heures tintait au clocher de Bréchy. Le jourétait venu, faisant pâlir la lumière des lampes. Dégagé des brumes matinales, le soleil frappait les vitres de ses gais rayons. Mais nul ne le remarquait, de ces hommes que de si puissantes considérations réunissaient autour du lit de M. de Claudieuse.

      Sans un mot, sans un geste, M. Galpin-Daveline avaitécouté les objections qui luiétaient présentées, et ilétait redevenu assez maître de soi pour qu'il fût difficile de discerner l'impression qu'il en ressentait. À la fin, hochant gravement la tête:

      – Plus que vous, messieurs, prononça-t-il, j'ai besoin de croire à l'innocence de monsieur de Boiscoran. Monsieur Daubigeon, qui sait ce que je veux dire, peut vous l'affirmer… Mon cœur, avant le vôtre, plaidait sa cause. Mais je suis le représentant de la loi; mais, au-dessus de mes affections, il y a mon devoir… Dépend-il de moi d'anéantir, si stupide, si absurde qu'elle paraisse, l'accusation de Cocoleu! Puis-je faire que trois dépositions inattendues ne soient pas venues donner à cette dénonciation un caractère de vraisemblance inquiétant!

      Le comte de Claudieuse se désolait:

      – Ce qu'il y a d'affreux, disait-il, c'est que monsieur de Boiscoran me croit son ennemi. Pourvu qu'il n'aille pas imaginer que ces soupçons indignes ontété suggérés par ma femme ou par moi. Que ne puis-je me lever!… Du moins, messieurs, que monsieur de Boiscoran sache bien que j'ai déclaré répondre de lui comme de moi-même!… Cocoleu, détestable idiot!… Ah! Geneviève, chère femme aimée, pourquoi l'avoir engagé à parler! Il se fût tu obstinément sans ton insistance!

      Mme de Claudieuse succombait alors aux angoisses de cette affreuse nuit. Pendant les premières heures, elle avaitété soutenue par cette exaltation qui suit les grandes crises; mais, depuis un moment, elle s'était affaissée sur un escabeau, près du lit où reposaient ses deux filles; et, la tête enfoncée dans l'oreiller, elle paraissait dormir. Elle ne dormait pas, pourtant.

      Au reproche de son mari, elle se redressa, pâle, les traits gonflés, les yeux rouges, et, d'une voix pénétrante:

      – Quoi!… s'écria-t-elle, on a tenté d'assassiner Trivulce, nos enfants ont failli mourir au milieu des flammes, et j'aurais laissé échapper un moyen de découvrir le misérable assassin, le lâche incendiaire!… Non! ce que j'ai fait, je devais le faire. Quoi qu'il advienne, je ne regrette rien…

      – Mais monsieur de Boiscoran n'est pas coupable, Geneviève, il est impossible qu'il le soit. Comment un homme qui a ce bonheur immense d'être aimé de Denise de Chandoré, qui compte les jours qui le séparent de son mariage, eût-il pu combiner un crime si abominable?

      – Qu'il démontre donc son innocence! fit durement la comtesse.

      Le plus impertinemment du monde, le docteur faisait claquer ses lèvres.

      – Voilà pourtant la logique des femmes, grommelait-il.

      – Certes, reprit M. Séneschal, on ne tardera pas à reconnaître l'innocence de monsieur de Boiscoran. Il n'en aura pas moinsété soupçonné. Et, tel est l'esprit de notre pays, que ce soupçon fera ombre à sa vie entière. Dans vingt ans d'ici, en parlant de monsieur de Boiscoran, on dira encore: «Ah! oui, celui qui a mis le feu au Valpinson…»

      Ce fut non M. Galpin-Daveline, mais le procureur de la République qui répondit.

      – Je ne saurais, fit-il tristement, partager la manière de voir de monsieur le maire, mais peu importe. Après ce qui s'est passé, monsieur le juge d'instruction ne peut plus reculer, son devoir le lui interdit, et plus encore l'intérêt de l'homme accusé. Que diraient tous ces paysans, qui ont entendu la déclaration de Cocoleu et la déposition des témoins, si l'enquêteétait abandonnée? Ils diraient que monsieur de Boiscoran est coupable et que, si l'on ne le poursuit pas, c'est qu'il est noble et très riche. Sur mon honneur, je crois à son innocence absolue. Mais précisément parce qu'elle est ma conviction, je soutiens qu'il faut le mettre à même de la démontrer victorieusement. Il doit en avoir les moyens. Quand il a rencontré Ribot, il lui a dit qu'il se rendait à Bréchy pour voir quelqu'un…

      – Et s'il n'yétait pas allé? objecta M. Séneschal. Et s'il n'eût vu personne? Si ce n'eûtété là qu'un prétexte pour satisfaire l'indiscrète curiosité de Ribot?

      – Eh bien! il en serait quitte pour dire la vérité à la justice. Je ne suis pas inquiet. Et, tenez, il est une preuve matérielle qui, mieux que tout, disculpe monsieur de Boiscoran. Est-ce que si, par impossible, il eût eu dessein de tuer monsieur de Claudieuse, il n'eût pas chargé son fusilà balle au lieu d'y laisser du plomb de chasse…

      – Et il ne m'eût point manqué à dix pas…, fit le comte.

      Des coups précipités, frappés à la porte, les interrompirent.

      – Entrez! cria M. Séneschal.

      La porte s'ouvrit, et trois paysans parurent, effarés, mais visiblement satisfaits.

      – Nous venons, dit l'un d'eux, de trouver quelque chose de singulier.

      – Quoi? interrogea M. Galpin-Daveline.

      – On dirait, ma foi, unétui, mais Pitard prétend que c'est l'enveloppe d'une cartouche.

      M.


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