La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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Bréchy, chez un de ses amis?

      – Je ne lui connais pas d'amis à Bréchy.

      – Qu'a-t-il fait en rentrant?

      L'inquiétude, visiblement, gagnait le digne serviteur.

      – Attendez! répondit-il. Monsieur, en rentrant, est monté à sa chambre et y est resté quatre ou cinq minutes. Il est redescendu, ensuite, et a mangé une tranche de pâté et bu un verre de vin. Après, il a allumé un cigare et m'a dit d'aller me coucher, qu'il voulait faire un tour et qu'il se déshabillerait seul.

      – Et vousêtes allé vous coucher?

      – Naturellement.

      – De sorte que vous ignorez ce qu'a pu faire votre maître?

      – Pardonnez-moi: je l'ai entendu ouvrir la porte qui donne sur le jardin.

      – Il ne vous a pas paru… extraordinaire?

      – Non… ilétait comme tous les jours, plus gai, peut-être, il chantait…

      – Pouvez-vous me montrer le fusil qu'il avait emporté?

      – Non… Monsieur a dû le déposer dans sa chambre.

      M. Daubigeon ouvrait la bouche pour présenter une objection, le juge l'arrêta d'un geste, et vivement:

      – Y a-t-il longtemps, demanda-t-il au domestique, que monsieur de Boiscoran et monsieur de Claudieuse ne se sont rencontrés?

      Antoine tressaillit, comme si un pressentiment eût traversé son esprit.

      – Très longtemps, répondit-il. À ce que je crois, du moins.

      – Vous n'ignorez pas qu'ils sont au plus mal?

      – Oh!…

      – Ils ont eu ensemble les altercations les plus violentes…

      – Des fâcheries, tout au plus… Ne se fréquentant pas, comment se seraient-ils haïs? Vingt fois, d'ailleurs, j'ai entendu monsieur dire qu'il tenait le comte de Claudieuse pour le meilleur et le plus loyal des hommes, et qu'il le respectait infiniment.

      Durant plus d'une minute, M. Galpin-Daveline se tut, cherchant s'il n'oubliait rien. Puis, tout à coup:

      – Quelle distance y a-t-il d'ici au Valpinson? interrogea-t-il.

      – Six kilomètres, monsieur, répondit Antoine.

      – Si vous aviez à vous rendre chez monsieur de Claudieuse, quel chemin prendriez-vous?

      – La grande route, celle qui passe par Bréchy.

      – Vous ne traverseriez pas les marais?

      – Certes, non…

      – Pourquoi?

      – Parce que la Seille est débordée, monsieur, et que les fossés sont pleins d'eau.

      – Est-ce qu'en coupant à travers bois, on ne s'abrégerait pas?…

      – On aurait moins de chemin à faire, mais on mettrait plus de temps… les sentiers sont mal tracés et encombrés d'ajoncs.

      Le procureur de la République dissimulait mal une réelle douleur. De plus en plus, les réponses d'Antoine lui semblaient fâcheuses.

      – Maintenant, reprit le juge, si le feu prenait à Boiscoran, apercevrait-on l'incendie de la cour du Valpinson?

      – Je ne le crois pas, monsieur; nous sommes séparés par des collines et des bois…

      – D'ici, entendez-vous les cloches de Bréchy?

      – Quand le vent est au nord, oui, monsieur.

      – Et hier soir? Et cette nuit?

      – Le ventétait à l'ouest, comme toujours quand il y a tempête.

      – De sorte que vous ne savez rien, vous n'avez pas entendu parler d'un… accidentépouvantable.

      – Un accident… Je ne sais pas ce que monsieur veut dire.

      C'est dans la cour qu'avait lieu cet interrogatoire, et sur ces derniers mots parurent, à cheval, deux gendarmes à qui M. Galpin-Daveline, avant de quitter le Valpinson, avait commandé de venir le rejoindre. Les apercevant:

      – Mon Dieu!… s'écria le vieil Antoine, qu'est-ce que cela signifie!… Je cours réveiller monsieur!…

      Le juge l'arrêta.

      – Pas un mouvement, lui dit-il durement, pas un mot! (Et montrant Ribot aux gendarmes qui avaient mis pied à terre): Vous allez garder ce garçon à vue, ajouta-t-il, et l'empêcher de communiquer avec qui que ce soit. (Puis, revenant à Antoine): Et maintenant, commanda-t-il, conduisez-nous à la chambre de monsieur de Boiscoran!

      8. Avec ses apparences de demeure féodale…

      Avec ses apparences de demeure féodale, le château de Boiscoran n'était en réalité qu'un pied- à-terre de garçon – pied-à-terre passablement négligé, même.

      Des quatre-vingts ou cent pièces qui s'y trouvaient, c'est tout au plus si huit ou dixétaient meublées, et encore de la façon la plus rudimentaire. Un salon, une salle à manger, quelques chambres d'amis, c'était tout autant qu'il en fallait pour les séjours de M. de Boiscoran.

      Lui-même occupait au premierétage un tout petit appartement, dont la porte ouvrait sur le palier du grand escalier.

      Lorsqu'arrivèrent devant cette porte, guidés par le vieil Antoine, le juge d'instruction, le procureur de la République et le greffier Méchinet:

      – Frappez, commanda M. Galpin-Daveline au valet de chambre.

      Le bonhomme obéit, et tout aussitôt de l'intérieur:

      – Qui est là? cria une voix jeune et forte.

      – C'est moi, monsieur, répondit le fidèle serviteur, je voudrais…

      – Va-t'en au diable! interrompit la voix.

      – Cependant, monsieur…

      – Laisse-moi dormir, bourreau, je n'ai pu fermer l'œil qu'au jour…

      Impatienté, le juge d'instructionécarta le domestique et, saisissant la poignée de la porte, il essaya de l'ouvrir: elle était fermée en dedans.

      Mais il eut vite pris un parti.

      – C'est moi, monsieur de Boiscoran, prononça-t-il, ouvrez…

      – Eh! c'est ce cher Daveline! fit joyeusement la voix.

      – Il faut que je vous parle…

      – Et je suis à vous, magistrat très illustre!… Le temps de voiler d'un inexpressible [1] mes formes apolloniennes et j'apparais.

      Presque aussitôt, en effet, la porte s'ouvrit, et M. de Boiscoran se montra, les cheveuxébouriffés, les yeux encore chargés de sommeil, mais rayonnant de jeunesse et de santé, la lèvre souriante et la main largement tendue.

      – Par ma foi! disait-il, c'est une fameuse inspiration que vous avez eue là, mon cher Daveline, de venir me demander à déjeuner… (Et saluant M. Daubigeon): Sans compter, ajouta-t-il, que je ne saurais trop vous remercier d'avoir décidé à vous accompagner notre cher procureur de la République. C'est une vraie descente de justice…

      Mais il s'arrêta, glacé par l'expression du visage de M. Daubigeon, stupéfait de voir M. Galpin-Daveline se reculer au lieu de prendre et de serrer la main qu'il lui tendait.

      – Ahç à, qu'est-ce qui arrive, mon cher ami?…

      Jamais le juge d'instruction n'avaitété si roide.

      – Il nous faut oublier nos relations, monsieur, prononça-t-il. Ce n'est pas l'ami qui se présente chez vous aujourd'hui, c'est le juge.

      M. de Boiscoran semblait confondu, mais nulle ombre


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Pantalon.