La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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de passer la porte:

      – Monsieur, murmura Méchinet à l'oreille de M. Daubigeon, cet homme est certainement innocent. Jamais un coupable ne nous eût accueillis ainsi…

      – Silence! monsieur, dit sévèrement le procureur de la République, qui, cependant, était un peu de l'avis du greffier; silence!

      Et, grave et attristé, il alla se placer dans l'embrasure d'une fenêtre.

      M. Galpin-Daveline, lui, était debout au milieu de la chambre, et il s'efforçait d'en embrasser et d'en fixer, dans son esprit, jusqu'aux moindres détails.

      Le désordre de cette chambre disait avec quelle précipitation M. de Boiscoran avait dû se coucher la veille. Ses effets, ses bottes, sa chemise, son gilet, sa jaquette et son chapeau de pailleétaient jetés au hasard sur les meubles et à terre. Il avait sur lui ce pantalon gris clair, reconnu et désigné successivement par Cocoleu, par Ribot, par Gaudry et par la femme Courtois.

      – Maintenant, monsieur, commença M. de Boiscoran, avec cette nuance de mécontentement d'un homme qui se demande si on ne se moque pas de lui, m'expliquerez-vous, puisque vous n'êtes plus mon ami, ce qui me vaut l'honneur matinal de votre visite?

      Pas un muscle de la figure de M. Galpin-Daveline ne bougea. Et comme si la question se fût adressée à tout autre qu'à lui:

      – Veuillez, monsieur, me montrer vos mains, dit-il froidement.

      Une vive rougeur colora les joues de M. de Boiscoran, et une perplexité singulière se lut dans ses yeux.

      – Si c'est une plaisanterie, dit-il, elle a peut-être trop duré!

      Il allait s'emporter, c'étaitévident. M. Daubigeon crut devoir intervenir:

      – Malheureusement, monsieur, prononça-t-il, jamais situation ne fut plus grave. Faites ce que vous demande monsieur le juge d'instruction.

      De plus en plus surpris, M. de Boiscoran promenait autour de lui un rapide regard.

      Dans le cadre de la porte, Antoine, le vieux valet de chambre, se tenait debout, l'angoisse peinte sur le front. Près de la cheminée, le greffier Méchinet avait avisé une table, et il s'yétait installé avec son papier, ses plumes et sonécritoire de corne.

      Alors, avec un mouvement d'épaules qui annonçait que, décidément, il renonçait à comprendre, M. de Boiscoran montra ses mains. Ellesétaient parfaitement blanches et nettes. Les ongles, assez longs, étaient soigneusement nettoyés.

      – Quand vousêtes-vous lavé les mains pour la dernière fois? demanda M. Galpin-Daveline, après un minutieux examen.

      À cette question, le visage de M. de Boiscoran s'éclaira, etéclatant de rire:

      – Par ma foi! s'écria-t-il, j'avoue que j'aiété pris. J'allais m'emporter. J'ai eu presque peur…

      – Et vous aviez raison d'avoir peur, monsieur, prononça M. Galpin-Daveline, car une accusation terrible pèse sur vous. Et de votre réponse à la question que je vous pose, et qui vous semble ridicule, dépendent peut-être votre honneur et votre liberté…

      Ah! il n'y avait plus cette fois à s'y méprendre. M. de Boiscoran se sentit saisi de cet effroi que la justice inspire aux plus honnêtes, aux plus sûrs d'eux-mêmes.

      Il pâlit, et d'une voix troublée:

      – Quoi! dit-il, une accusation pèse sur moi, et c'est vous, monsieur Galpin-Daveline, qui vous présentez chez moi pour m'interroger…

      – Je suis magistrat, monsieur!

      – Mais vousétiez aussi mon ami. Si quelqu'un devant moi se fût permis de vous accuser d'un crime, d'une lâcheté, d'une infamie, je vous aurais défendu, monsieur, et de toute monénergie, sans hésitation, sans arrière-pensée… Je vous aurais défendu jusqu'à ce qu'on m'eût fourni des preuveséclatantes, irrécusables, matérielles, de votre culpabilité. Et si, à la fin, il m'eûtété démontré que vousétiez coupable, je vous aurais plaint, et je ne m'en serais pas moins rappelé qu'à un certain moment je vous avais assez estimé pour vous faciliter une alliance qui eût fait de vous mon parent. Tandis que vous!… On m'accuse, je ne sais de quoi, faussement, évidemment, et tout de suite vous ajoutez foi à l'accusation absurde, et vous acceptez d'être mon juge… Eh bien! soit! Je me suis lavé les mains hier soir, en rentrant.

      C'est avec raison que M. Galpin-Daveline avait vanté son sang-froid et sa puissance sur soi. Il ne sourcilla pas à cette rude apostrophe, et toujours du même ton:

      – Qu'est devenue l'eau dont vous vousêtes servi? demanda-t-il.

      – Elle doit encoreêtre là, dans mon cabinet de toilette.

      Le juge d'instruction y courut.

      Sur la table de marbreétait une cuvette de porcelaine pleine d'eau. Cette eauétait noire et sale. Au fond, on voyait distinctement des résidus de charbon. À la surface, mêlés à de la mousse de savon, surnageaient quelques fragments d'une extrême ténuité, mais cependant appréciables, de papier brûlé.

      Avec des précautions infinies, le juge d'instruction apporta lui-même la cuvette sur la table oùécrivait Méchinet, et la montrant à M. de Boiscoran:

      – Est-ce bien là, interrogea-t-il, l'eau dans laquelle vous vousêtes lavé les mains en rentrant?

      D'un ton d'insouciance dédaigneuse:

      – Oui, répondit M. de Boiscoran.

      – Vous aviez donc manié du charbon, touché des matières enflammées?

      – Vous le voyez bien!

      Placés presque en face l'un de l'autre, le procureur de la République et le greffier Méchinetéchangèrent un rapide coup d'œil. Ils avaient, en même temps, ressenti la même impression.

      Si M. de Boiscoran n'était pas innocent, c'était à coup sûr un homme d'une audace et d'uneénergie extraordinaires, et qui obéissait à quelque plan longuement médité, car ses réponses, comme autant d'aveux, semblaient le livrer pieds et poings liés à la prévention.

      Le juge d'instruction lui-même parut frappé de stupeur. Mais ce ne fut qu'unéclair, et se retournant vers son greffier:

      – Écrivez! lui commanda-t-il.

      Et il lui dicta le procès-verbal de cette scène, exactement, minutieusement, se reprenant même parfois pour arriver à l'expression juste et châtier son style.

      Ayant terminé:

      – Reprenons, monsieur, dit-ilà M. de Boiscoran. Vous avez passé dehors la soirée d'hier.

      – Oui, monsieur.

      – Sorti à huit heures, vous n'êtes rentré qu'à minuit.

      – Après minuit.

      – Vous aviez emporté votre fusil?

      – Oui.

      – Où est-il?

      D'un geste insouciant, M. de Boiscoran le montra, dans l'angle de la cheminée, et dit:

      – Le voilà!

      Vivement M. Galpin-Daveline s'en empara.

      C'était une arme de luxe, à double canon, d'un travail et d'un fini exceptionnels. Sur les incrustations de la crosse se lisait le nom du fabricant:

      Klebb.

      – Quand avez-vous fait feu avec ce fusil pour la dernière fois, monsieur? interrogea le juge d'instruction.

      – Il y a quatre ou cinq jours.

      – À quelle occasion?

      – Pour tuer des lapins qui ravagent mes bois.

      Avec toute l'attention dont ilétait capable, M. Galpin-Daveline examinait et faisait jouer la batterie de cette arme, dont le mécanisme avait une certaine analogie avec le système Remington. Bientôt il ouvrit le tonnerre et constata que le fusilétait chargé. Dans chacun des canons se trouvait une cartouche à enveloppe de plomb. Cela fait, il remit


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