La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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s'il eûtété mû par un ressort, M. de Boiscoran se dressa.

      – Quoi? fit-il, que voulez-vous que j'avoue?

      – Que vousêtes l'auteur du crime de Valpinson.

      D'un mouvement convulsif, le malheureux jeune homme pressait son front entre ses mains.

      – Mais c'est de la folie! s'écria-t-il. Moi, l'auteur d'un tel crime, si odieux, si lâche!… Est-ce possible, est-ce vraisemblable! Je l'avouerais, que vous ne voudriez pas me croire! Non, vous ne me croiriez pas!

      Il eût réussi àémouvoir le marbre de la cheminée avant M. Galpin-Daveline.

      – Ce n'est pas de moi qu'il s'agit, prononça le magistrat d'un ton glacé. Pourquoi revenir sur des relations qui doiventêtre oubliées? Ici, ce n'est plus l'ami, ce n'est même plus l'homme qui vous parle, c'est le juge. On vous a vu…

      – Quel est le misérable?…

      – Cocoleu.

      M. de Boiscoran parut anéanti.

      – Cocoleu, balbutia-t-il, ce pauvre idiotépileptique recueilli par la comtesse de Claudieuse!

      – Lui-même.

      – Et il a suffi des propos incohérents d'un malheureux frappé d'imbécillité pour que l'on me crût coupable, moi, d'un incendie, d'un meurtre…

      Jamais le juge d'instruction n'avait visé avec tant d'efforts à cette solennité qui frappe les esprits et s'impose.

      – Pendant une heure, au moins, monsieur, le pauvre Cocoleu a joui de la plénitude de sa raison. Les desseins de la Providence sont impénétrables…

      – Eh! monsieur…

      – Qu'a dit Cocoleu? Qu'il vous a vu allumer l'incendie de vos mains, puis vous cacher derrière une pile de fagots et tirer sur le comte de Claudieuse deux coups de fusil…

      – Et cela vous a paru tout simple!

      – Non. J'aiété révolté comme tout le monde. Vous sembliez planer si haut au-dessus des soupçons. Mais voilà que l'instant d'après, on ramasse sur le théâtre du crime une enveloppe de cartouche qui ne peut appartenir qu'à vous. Mais voici que moi, arrivant ici, à l'improviste, je trouve noire de charbon et de débris de papier brûlé l'eau où vous vousêtes lavé les mains en rentrant…

      – Oui, murmura M. de Boiscoran, c'est une fatalité.

      – Et ce n'est pas tout, poursuivit le juge, enflant de plus en plus la voix. Je vous interroge et vous confessezêtre resté dehors hier soir de huit heures à minuit. Je vous demande l'emploi de ces quatre heures, vous refusez de me le dire. J'insiste, vous mentez. Et je suis obligé, pour vous confondre, de vous produire les témoignages de Ribot, de Gaudry et de la femme Courtois, qui vous ont reconnu là où vous prétendez n'être pas allé. Cette dernière circonstance seule vous condamne. Quel a doncété l'emploi de cette soirée, que vous ne pouvez le faire connaître!… Vous vous prétendez innocent. Aidez-moi à faireéclater votre innocence. Parlez. Qu'avez-vous fait, de huit heures à minuit?…

      M. de Boiscoran n'eut pas le temps de répondre. Depuis un moment déjà montaient de la cour comme des clameurs sourdes et le tumulte d'une foule irritée.

      Un gendarme entra tout effaré.

      – Messieurs, dit-il, s'adressant au juge d'instruction et au procureur de la République, il y a en bas une centaine de paysans, hommes et femmes, qui veulent faire un mauvais parti à monsieur de Boiscoran; ils le demandent, ils disent qu'il le leur faut pour le traîner à la rivière. Quelques hommes sont armés de fourches, mais les femmes sont les plus enragées. Mon camarade et moi avons toutes les peines du monde à les contenir…

      Et, en effet, comme pour appuyer ses assertions, les clameurs se rapprochèrent et redoublèrent, et très distinctement, on entendit crier:

      – À l'eau Boiscoran! À l'eau l'incendiaire! Le procureur de la République se leva.

      – Descendez dire à ces paysans, commanda-t-il, que la justice interroge le prévenu, et qu'ils la troublent, et que s'ils continuent, c'est à moi qu'ils auront affaire!

      Le gendarme obéit.

      M. de Boiscoranétait devenu livide.

      – Tous ces malheureux me croient donc coupable! murmura-t-il.

      – Oui, répondit M, Galpin-Daveline, et vous comprendriez leur indignation, jusqu'à un certain point légitime, si vous connaissiez les déplorablesévénements de la nuit…

      – Quoi encore!

      – Deux pompiers de Sauveterre, dont un, père de cinq enfants, ont péri dans les flammes. Deux hommes, un fermier de Bréchy et un gendarme, en essayant de leur porter secours, ontété si grièvement brûlés qu'on craint pour leur vie.

      M. de Boiscoran se taisait.

      – Et c'est vous, poursuivit le juge, qu'on accuse de tant de malheurs. Vous voyez combien il importerait de vous justifier.

      – Eh! le puis-je…

      – Si vousêtes innocent, oui. Faites-moi connaître l'emploi de votre soirée…

      – Je vous ai dit tout ce que je pouvais dire.

      Le juge d'instruction, pendant une bonne minute, parut réfléchir; puis:

      – Prenez garde, monsieur de Boiscoran, prononça-t-il, je vaisêtre obligé de décerner contre vous un mandat…

      – Faites.

      – Je vaisêtre forcé de vous faire arrêter séance tenante et diriger sur la prison de Sauveterre…

      – Soit.

      – Vous avouez donc!

      – J'avoue que je suis victime d'un concours inouï de circonstances. J'avoue… que vous avez raison, et qu'il faut l'idée d'une Providence pour expliquer certaines fatalités. Mais, par tout ce qu'il y a de saint au monde, je le jure, je suis innocent.

      – Prouvez-le!

      – Eh! ce serait fait, si je pouvais.

      – Veuillez alors vous habiller, monsieur, et vous préparer à suivre les gendarmes.

      Sans un mot, M. de Boiscoran passa dans son cabinet de toilette, et il y fut suivi par son valet de chambre portant des vêtements.

      Tout occupé de dicter à son greffier la dernière partie de l'interrogatoire, M. Galpin-Daveline semblait oublier «son prévenu».

      Le vieil Antoine en profita.

      – Monsieur…, souffla-t-ilà l'oreille de son maître, tout en paraissant l'aider.

      – Quoi.

      – Chut! Plus bas! La fenêtre du fond du cabinet est ouverte… Elle n'est qu'à vingt pieds du sol du jardin… La terre, au-dessous, est molle… Tout près est un des soupiraux des caves, et au fond est la cachette que vous connaissez… La mer n'est qu'à cinq lieues, j'aurai un bon cheval cette nuit, à l'entrée du parc.

      Un amer sourire monta aux lèvres de M. de Boiscoran.

      – Et toi aussi, fit-il, toi, mon vieil ami, tu me crois coupable.

      – Je vous en conjure, monsieur, insista Antoine, je réponds de tout; il n'y a que vingt pieds… Au nom de votre mère!

      Mais, au lieu de lui répondre, Jacques de Boiscoran se retourna et appela le juge d'instruction. Et quand M. Galpin-Daveline se fut approché:

      – Voyez cette fenêtre, monsieur, lui dit-il. J'ai de l'argent, de bons chevaux, et la mer est à cinq lieues… Un coupable vous eûtéchappé… Je suis innocent, je reste.

      En un point, du moins, M. de Boiscoran disait vrai: rien ne luiétait plus aisé que de s'évader et de gagner le jardin, et très probablement cette retraite que lui rappelait son valet de chambre. Mais après?

      Il avait, c'était incontestable,


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