La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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sans connaissance entre les bras de ses tantes et de son grand-pèreépouvantés. Mais dès qu'elle revint à elle:

      – Suis-je donc folle, s'écria-t-elle, de m'émouvoir ainsi! N'est-il pasévident qu'il est innocent!

      C'est alors qu'elle avait adressé une dépêche au marquis de Boiscoran, comprenant bien qu'avant de rien tenter, ilétait indispensable de s'entendre avec la famille de Jacques. Puis elle avait demandé qu'on la laissât seule, et sa nuit s'était passée à compter les minutes qui la séparaient encore de l'heure où arrivait le train de Paris.

      Dès huit heures, elle descendit elle-même donner au domestique l'ordre d'atteler et de partir pour attendre Mme de Boiscoran à la gare, lui recommandant surtout de revenir bride abattue. Elle alla ensuite s'établir dans le salon, où se trouvaient déjà ses tantes et son grand-père. Ils lui parlaient, mais son attentionétait ailleurs…

      Bientôt elle entendit une voiture remonter au galop la rue de la Rampe et s'arrêter devant la maison. Elle se dressa alors et s'élança dans le vestibule en s'écriant:

      – Voilà la mère de Jacques!

      3. Ce n'est jamais impunément qu'on violente ses sentiments les plus chers…

      Ce n'est jamais impunément qu'on violente ses sentiments les plus chers. Lorsqu'enfin la marquise de Boiscoran put se réfugier dans la voiture envoyée à sa rencontre, elleétait bien près de défaillir, brisée par l'effort inouï qu'elle avait fait pour montrer aux impitoyables curieux de Sauveterre une contenance assurée et un visage riant.

      – Quelle horrible comédie! murmura-t-elle en se laissant tomber sur les coussins.

      – Reconnaissez, du moins, madame, qu'elleétait nécessaire, prononça maître Folgat. Vous venez de conquérir cent personnes peut-être à votre fils.

      Elle ne répondit pas. Les larmes l'étouffaient. Que n'eût-elle pas donné pour se trouver seule, chez elle, pour s'abandonner librement à toutes les lâchetés de sa douleur et de ses angoisses maternelles!

      Jamais trajet ne lui avait paru aussi insupportablement long que celui qui sépare la gare de la rue de la Rampe. Lancé à toute vitesse, le cheval faisait feu des quatre pieds; il lui semblait qu'il n'avançait pas… Pourtant, la voiture finit par s'arrêter. Le petit domestique avait déjà sauté à terre, et il tournait la poignée de la portière en disant:

      – Nous voilà arrivés.

      Aidée de maître Folgat, Mme de Boiscoran descendit, et son pied touchait à peine le pavé de la rue que la porte de la maison s'ouvrit et que Mlle Denise se jeta dans ses bras, tropémue pour pouvoir rien dire, sinon:

      – Oh! ma mère, ma chère mère, quel horrible malheur!

      Dans l'ombre du corridor, s'avançait M. de Chandoré, qui s'était levé en même temps que sa petite-fille.

      – Rentrons, dit-ilà ces infortunées, ne restons pas là… Déjà derrière tous les volets brillent des yeux qui nousépient.

      Et il les entraîna dans le salon.

      Positivement, maître Folgatétait assez embarrassé de son personnage. Nul ne semblait s'apercevoir de son existence. Il avait suivi, cependant, ilétait entré dans le salon et, debout près de la porte, ému de l'émotion de tous, il observait alternativement Mlle Denise, M. de Chandoré et les demoiselles de Lavarande.

      Mlle Denise allait avoir vingt ans. On ne pouvait dire qu'elle fût remarquablement jolie, mais ilétait difficile de l'oublier quand on l'avait vue une fois. Petite, elleétait la grâce même, et chacun de ses mouvements trahissait quelque rare et exquise perfection. Avec des cheveux noirs d'une merveilleuse abondance, elle avait les yeux bleus et le teint d'une blonde des pays du Nord, un teint dont l'éblouissante blancheur faisait paraître jaunes toutes les comparaisons imaginées par les poètes: le lis, la neige, le lait… En elle, tout exprimait une angélique douceur et la plus excessive timidité. Et pourtant, certains plis de ses lèvres et le mouvement de ses sourcils devaient faire soupçonner une grandeénergie.

      Près d'elle, grand-père Chandoré étonnait par sa haute stature et par sa carrure puissante. Soixante-douze années n'avaient pas fait plier ses reins d'hercule, et il semblait bâti pour défier tous les orages de la vie. Ce qu'il avait surtout de singulier, c'était un teint rouge brique, uniformément cramoisi, un teint de vieux chef mohican, que faisaient paraître plus dur et plus cru sa barbe, ses sourcils et ses cheveux blancs. Son visage, malgré tout, exprimait une bonté presque enfantine. Mais il ne fallait pas le regarder deux fois pour comprendre qu'il eûtété peu prudent de se fier au sourire bénin qui voltigeait sur ses lèvres charnues. Et, à certainesétincelles qui s'allumaient au fond de ses yeux gris, on sentait, par exemple, que celui-là eût passé un fâcheux quart d'heure entre ses mains, qui se fût permis d'offenser Mlle Denise.

      Quant aux tantes Lavarande, longues et minces comme une baguette de saule, pâles, discrètes, d'une réserve et d'une froideur ultra-aristocratiques, elles avaient cette physionomie placide et cette expression de sensibilité dévouée des vieilles filles dont le célibat n'a pas aigri les illusions. Elles portaient des toilettes absolument pareilles, comme c'était leur invariable habitude depuis quarante ans, des toilettes de couleur indécise, modestes comme toute leur personne.

      Elles pleuraient, en ce moment, et maître Folgat se demandait de quel sacrifice elles ne seraient pas capables pour racheter les larmes de leur nièce.

      – Pauvre Denise! murmuraient-elles.

      La jeune fille les entendit; et se dressant tout à coup, et rompant le lourd silence qui durait depuis longtemps déjà:

      – Mais notre conduite est indigne! s'écria-t-elle. Que dirait Jacques, si du fond de sa prison il luiétait donné de nous voir! Pourquoi nous affliger? Est-il donc coupable?…

      Ses yeux brillaient d'unéclat extraordinaire, sa voix avait des vibrations qui troublaient maître Folgat jusqu'au fond de l'âme.

      – Je puis, du moins, me rendre cette justice, poursuivit-elle, que je n'ai pas douté de lui une seconde. Et comment le doute m'eût-il effleurée? Le soir même de l'incendie du Valpinson, Jacques m'aécrit une lettre de quatre pages, qu'il m'a envoyée ici par un de ses fermiers, et que j'ai reçue à neuf heures… Je l'ai montrée à grand-père, cette lettre, il l'a lue, et aussitôt il s'estécrié que j'avais mille et mille fois raison et que jamais un homme méditant un crime affreux n'eûtécrit cela.

      – Je l'ai dit et je le pense, approuva M. de Chandoré, et tout homme sensé sera de mon avis, seulement…

      Mais sa petite-fille ne le laissa pas achever.

      – Il est doncévident, interrompit-elle, que Jacques est victime de quelque intrigue abominable, c'est à nous à la déjouer. Assez pleuré, il faut agir… (Et s'adressant à Mme de Boiscoran): Et c'est pour nous aider à cetteœuvre de salut, chère mère, que je vous ai appelée…

      – Et me voici, dit la marquise, non moins sûre que vous, chère enfant, de l'innocence de mon fils.

      Ce n'était sans doute pas tout ce qu'avait rêvé M. de Chandoré, car intervenant:

      – Et le marquis? demanda-t-il.

      – Mon mari reste à Paris.

      Le vieillard eut une grimace des plus significatives.

      – Ah! je le reconnais bien là! s'écria-t-il. Rien ne saurait l'émouvoir. Son fils unique est lâchement accusé d'un crime, arrêté, et en prison. On le prévient, on pense qu'il va accourir… Erreur! Que son fils se tire d'affaire s'il peut. Lui restera à surveiller ses potiches. Ah! si j'avais encore un fils!…

      – Mon mari, monsieur, protesta la marquise, pense qu'il sera plus utile à Jacques en restant à Paris. Il peut y avoir des démarches à faire…

      – Le chemin de fer n'est-il pas là…

      – Enfin, prononça Mme de Boiscoran, il m'a confiée à monsieur… (Elle montrait le jeune avocat.) Monsieur Manuel Folgat, dont l'expérience, le talent et le dévouement


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