La corde au cou. Emile Gaboriau

La corde au cou - Emile  Gaboriau


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rousse, la fille d'un meunier qui demeure tout près d'ici, et que la mâtine venait au château plus souvent qu'il n'était besoin, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre… Mais c'était pur enfantillage. D'ailleurs, il y a cinq ans de cela, et depuis trois la Fougerouse est mariée à un saunier des environs de Marennes.

      – Vousêtes sûr de ce que vous dites?

      – Comme de mon existence. Et monsieur en serait sûr connaissant le pays comme moi, et la langue infernale des gens. Il n'y a pas de ruses qui tiennent, ni précautions; je défie un homme de parler trois fois à une femme sans que tout le monde le sache. À Paris, je dis pas…

      Maître Folgat dressa l'oreille.

      – Il y a donc eu quelque chose à Paris? interrogea-t-il.

      Mais Antoine hésitait.

      – C'est que, balbutia-t-il, les secrets de mon maître ne sont pas les miens, et après le serment que je lui ai fait…

      – De votre franchise dépend peut-être le salut de votre maître interrompit le jeune avocat, soyez sûr qu'il ne vous en voudra pas d'avoir parlé.

      Quelques secondes encore, l'honnête serviteur demeura indécis; puis:

      – Eh bien! commença-t-il, monsieur a eu, comme on dit une grande passion…

      – Quand?

      – Ah! je l'ignore; cela avait commencé avant mon entrée au service de monsieur. Ce que je sais, c'est que pour recevoir… la personne, monsieur avait acheté à Passy bout de la rue des Vignes, au milieu d'un immense jardin, une belle maison qu'il avait fait meubler magnifiquement.

      – Ah!…

      – C'est là un secret que ni le père de monsieur ni sa mère comme de juste, ne connaissent. Et si je le sais, c'est que monsieur, un jour qu'ilétait à cette maison, est tombé dans l'escalier et s'est déboîté le pied, et qu'il m'a fait venir pour le soigner. C'est probablement sous son nom qu'il l'a achetée, mais ce n'était pas sous son nom qu'il l'occupait. Il s'y faisait passer pour un Anglais, monsieur Burnett, et c'était une servante anglaise qui le servait.

      – Et… la personne…

      – Ah! monsieur, non seulement je ne la connais pas, mais je ne soupçonne pas qui elle pouvaitêtre. Ah! monsieur, et elle prenait de fières précautions! Étant ici pour tout dire, j'avouerai que j'ai eu la curiosité de questionner la servante anglaise. Elle m'a répondu qu'elle n'était pas plus avancée que moi; qu'elle savait bien qu'il venait une dame, mais que jamais elle n'avait réussi à lui voir seulement le bout du nez. Monsieur prenait si adroitement son temps que toujours la servanteétait en course quand la dame arrivait et repartait. Quand elleétait à la maison, monsieur et elle se servaient seuls. Et s'ils voulaient se promener dans le jardin, ils envoyaient la servante faire une commission à tous les diables, à Versailles ou à Fontainebleau, ce dont elle enrageait, comme de raison.

      D'un mouvement machinal qui luiétait familier, maître Folgat tortillait une mèche de sa barbe noire. Un instant, il lui avait semblé voir poindre la femme, cette inévitable femme dont l'inspiration toujours se retrouve au fond de toutes les actions d'un homme, et voici que décidément elle s'évanouissait. Car c'est en vain que d'un esprit alerte il cherchait un rapport quelconque possible, sinon probable, entre la mystérieuse visiteuse de la rue des Vignes et lesévénements dont le Valpinson venait d'être le théâtre; il n'en découvrait aucun.

      Quelque peu découragé:

      – Enfin, mon brave Antoine, reprit-il, cette grande passion de votre maître n'existe sans doute plus?

      – Évidemment, monsieur, puisque monsieur Jacques allaitépouser mademoiselle Denise.

      La raison n'était peut-être pas aussi péremptoire que l'imaginait le fidèle serviteur; pourtant le jeune avocat ne fit aucune observation.

      – Et, selon vous, poursuivit-il, quand cette passion aurait-elle pris fin?

      – Pendant la guerre, monsieur et la dame ont dû se trouver séparés, car monsieur n'est pas resté à Paris. Il commandait une compagnie de nos mobiles, et même il aété blessé à leur tête, ce qui lui a valu la croix.

      – Possède-t-il encore sa maison de la rue des Vignes?

      – Je le crois.

      – Pourquoi?

      – Parce que monsieur et moi sommes allés passer huit jours à Paris, après lesévénements, et qu'un soir il m'a dit: «La guerre et la Commune me coûtent bon. Ma bicoque a reçu plus de vingt obus, et il y a logé tour à tour des francs-tireurs, des communeux et des soldats. Les murs sont à jour, et il n'y reste pas un meuble intact. Mon architecte me dit que, tout compris, j'aurai pour plus de quarante mille francs de réparations…»

      – Comment! de réparations!… Il comptait donc encore utiliser cette maison?

      – À cetteépoque, monsieur, le mariage de monsieur n'était pas encore arrêté.

      – Soit, mais cette circonstance tendrait à prouver qu'il a revu à cetteépoque la dame mystérieuse, et que la guerre n'avait pas brisé leurs relations…

      – C'est possible.

      – Et il ne vous a jamais reparlé de cette dame?

      – Jamais…

      Il s'arrêta. Dans le vestibule, on entendait M. de Chandoré tousser avec cette affectation d'un homme qui tient à s'annoncer.

      Aussitôt qu'il reparut:

      – Par ma foi, monsieur, lui dit maître Folgat, lui indiquant ainsi que sa présence n'avait plus aucun inconvénient, je me disposais à aller à votre recherche, craignant que vous ne fussiez incommodé.

      – Je vous remercie, répondit le vieux gentilhomme, l'air m'a tout à fait remis.

      Il s'assit; et le jeune avocat se retournant vers Antoine:

      – Revenons, dit-il, à monsieur de Boiscoran. Commentétait-il, le jour qui a précédé l'incendie?

      – Comme tous les autres jours, monsieur.

      – Qu'a-t-il fait avant de sortir?

      – Il a dîné comme d'habitude, de bon appétit. Il est ensuite monté dans son appartement, où il est resté plus d'une heure. En descendant il tenait à la main une lettre, qu'il a remise à Michel, le fils du fermier, pour la porter à Sauveterre, à mademoiselle Chandoré…

      – Précisément. Dans cette lettre monsieur de Boiscoran dit à mademoiselle Denise qu'il est retenu loin d'elle par une affaire impérieuse.

      – Ah!

      – Avez-vous idée de ce que pouvaitêtre cette affaire?

      – Aucunement, monsieur, je vous le jure.

      – Cependant, voyons, ce ne peutêtre sans raison que monsieur de Boiscoran s'est privé du plaisir de passer la soirée auprès de sa fiancée?

      – Non, en effet.

      – Ce ne peutêtre sans but, qu'au lieu de suivre la grande route, il s'est lancé à travers les marais inondés et qu'il est revenu à travers bois…

      Le vieil Antoine, littéralement, s'arrachait les cheveux.

      – Ah! monsieur! s'écria-t-il, vous dites là précisément ce que disait monsieur Galpin-Daveline!

      – C'est malheureusement ce que dira tout homme sensé.

      – Je le sais, monsieur, je ne le sais que trop. Et monsieur Jacques lui-même l'a si bien senti qu'il a essayé d'inventer un prétexte. Mais il n'a jamais menti, monsieur Jacques, il ne sait pas mentir, et lui qui a tant d'esprit, il n'a rien su trouver qu'un prétexte dont l'absurdité saute aux yeux. Il dit qu'il allait à Bréchy voir son marchand de bois…

      – Et pourquoi non! fit M. de Chandoré.

      Antoine secoua la tête.

      – Parce que, répondit-il, le


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