Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi

Le sergent Simplet - Paul  d'Ivoi


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ne le puis. Plainte a été portée devant les autorités lyonnaises, et je ne veux agir que sur avis d’elles. Question d’égards. Après tout, votre voleuse ne s’envolera pas. Tenez, je vais vous montrer ma bonne volonté. Je vous donnerai un de mes agents pour surveiller l’hôtel de la gare et pour s’opposer au départ de cette personne.

      – Parfait!

      Un bruit de chaises remuées indiqua à Simplet que les interlocuteurs se levaient. D’un bond il quitta son observatoire et s’élança de toute la vitesse de ses jambes dans la direction de l’hôtel.

      Claude et Yvonne causaient.

      Le « Marsouin », qui avait bien dormi en wagon, s’était contenté de réparer le désordre de sa toilette, puis il avait rejoint la jeune fille. Ils furent terrifiés quand Dalvan leur apprit ce qu’il venait de surprendre. Mais le sous-officier étouffa leurs exclamations:

      – Il faut décamper. Prenons dans nos valises ce qui a une valeur; abandonnons le reste et partons.

      – Mais où? gémit Yvonne éperdue.

      Marcel, qui déjà se livrait à un tri des objets enfermés dans son sac de voyage, releva la tête.

      – C’est bien simple.

      – Toujours simple, clama la jeune fille avec une nuance de colère.

      – Évidemment. On va d’abord nous chercher loin d’ici, cachons-nous donc à deux pas.

      – C’est facile à dire…

      – Et à faire. La cabane du père Maltôt est proche. Sous couleur de déjeuner, nous y attendons l’heure de la marée. En route Claude, que personne ne connaît en ville, achètera un jambonneau, du saucisson, du pain et quelques bouteilles. À trois heures, toutes voiles dehors, nous sortirons du port.

      – Mais il faudra revenir, la pêche terminée.

      Dalvan eut à l’adresse de sa sœur de lait un regard plein de reproche.

      – Essaye donc d’avoir confiance en moi, commença-t-il. Puis changeant de ton: Y êtes-vous, Bérard?

      – Je vous attends.

      – Bien, venez donc.

      Sans affectation les fugitifs descendirent, traversèrent la cour de l’hôtel et s’échappèrent par une porte s’ouvrant sur une ruelle qui longeait les derrières de l’établissement.

      Il était temps. Canetègne, flanqué de M. Martin et de l’agent mis à sa disposition par le commissaire central, paraissait sur la place du Chemin-de-Fer. Fort de la présence de son nouvel allié, le négociant se présenta à la grande entrée de l’hôtel de la Gare. Les précautions devenaient inutiles, il s’enquit de ceux qu’il poursuivait.

      – Ces messieurs et cette dame sont dans leurs chambres, répondit l’hôtesse qui n’avait pas vu sortir Marcel et ses amis. Si vous le désirez, je vais les faire prévenir.

      – Inutile, s’empressa de répliquer l’Avignonnais. Veuillez seulement nous donner à déjeuner. Nous les verrons plus tard.

      Et il se plaça dans la salle commune, de façon que nul ne pût franchir le seuil de la maison sans être aperçu.

      Il rayonnait. Enfin il allait reprendre Yvonne. Ses craintes cesseraient aussitôt. Sa vie calme et confortable recommencerait. Il continuerait à dérober aux Lyonnais leur considération et leur argent.

      Telle était sa satisfaction qu’il oubliait de quel prix exorbitant il la payait. La face épanouie du policier ne lui rappelait pas ce chèque de cent mille francs que cet autre honnête homme lui avait extorqué. Il mangea comme un loup, but ainsi qu’une éponge. Tout était parfait: poisson ou rôti, cidre ou vin. L’eau-de-vie de pommes de terre, qu’on lui servit avec le café, lui parut même exquise. Jamais, il ne s’était senti si gai, si léger. Martin du reste, content de son opération, non plus que l’agent, ravi du bon repas, n’engendraient la mélancolie.

      Bref, en dégustant le moka douteux, le trio devisait avec de grands éclats de rire; quand le commissaire central fit irruption dans la salle. Sous sa redingote, on apercevait son écharpe.

      – J’ai la dépêche de M. Rennard, dit-il. À ces paroles magiques, tous se levèrent.

      – Procédons immédiatement à l’arrestation, continua le magistrat, et s’adressant à l’aubergiste qui regardait toute émue par sa présence. Quelles chambres occupent les gens que nous cherchons?

      La bonne femme leva les mains au ciel.

      – Quels gens?

      – Ceux dont nous parlions avant déjeuner, expliqua le négociant.

      – Qu’est-ce que vous leur voulez donc?

      – Les mettre à l’ombre. Ce sont des voleurs.

      – Des voleurs chez moi… Et ils ont couché ici? C’est affreux!

      La commère, effarée, s’assit sur une chaise, sa face bouffie devenue blême.

      – Répondez donc… quelles chambres?

      – Au premier: 5, 7 et 9.

      Elle fit un effort pour se remettre sur ses pieds.

      – Je vais vous conduire.

      Mais elle chancelait. Le commissaire l’arrêta.

      – Inutile, nous n’avons pas besoin.

      Suivi de ses compagnons, il s’élança dans l’escalier. Au premier, courait un long couloir bordé de portes numérotées.

      – Un homme au haut de l’escalier, dit-il.

      – Voilà, fit Martin, se plantant à l’endroit désigné.

      Alors, d’un pas posé, ses talons sonnant sur le carrelage du corridor, le magistrat s’avança vers les portes numérotées 5, 7, 9, auxquelles il frappa successivement.

      Canetègne se frottait nerveusement les mains. Dix secondes s’écoulèrent. Pas de réponse.

      – Au nom de la loi, ouvrez! dit le commissaire d’une voix forte.

      Toutes les portes, sauf celles que l’Avignonnais dévorait des yeux, tournèrent aussitôt sur leurs gonds, et les voyageurs montrèrent leurs têtes étonnées.

      – Ah! s’écria un petit homme rond en sortant du 8; c’est aux personnes d’en face que vous avez affaire. Elles sont en promenade.

      – En promenade, rugit Canetègne. Puisque l’hôtelière nous a affirmé qu’elles n’étaient pas sorties.

      – Moi je les ai vues descendre il y a une heure à peu près.

      Le commissaire regarda l’agent. Celui-ci tourna les yeux vers le négociant.

      Martin avait disparu. Presque aussitôt il revint.

      – J’ai pris les clefs au bureau. Voyons si nos « clients » ne se sont pas envolés.

      Il ouvrit la porte de la chambre de Claude.

      – Ils reviendront, déclara-t-il. Voyez, la valise est là… Nous n’avons qu’à les attendre.

      L’observation paraissait juste; on s’y conforma. Les quatre personnages retournèrent dans la salle commune.

      Les petits verres rendaient la faction moins rude, pourtant Canetègne et ses acolytes tournaient la tête au moindre bruit. À chaque instant, quelqu’un se levait, allait à la fenêtre et fouillait la place du regard. Peine inutile. Les fugitifs ne se montraient pas et pour cause.

      Une heure, deux heures sonnèrent. Martin, qui réfléchissait, quitta brusquement sa place et entra dans le bureau. Pour la dixième fois le commissaire central collait son visage aux vitres de la croisée, quand le policier lyonnais se montra à la porte de la pièce.

      – Messieurs, dit-il froidement, nous sommes joués. Nos voleurs ne reviendront


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