Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi

Le sergent Simplet - Paul  d'Ivoi


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la plaisanterie. L’Avignonnais se demanda s’il ne rêvait pas.

      L’aventure était simple. Deux gendarmes, revenant sur la route, avaient remarqué son allure désordonnée. En le voyant disparaître dans la tranchée, ils avaient pensé qu’il cherchait à se cacher, s’étaient précipités, l’avaient poursuivi et arrêté, grâce à un collègue embusqué aux abords de la ville. Aucun n’avait reconnu dans cet homme souillé de glèbe, aux cheveux trempés de sueur, le « notable » à la prime de cinquante louis, et, fidèles à leur consigne, ils avaient transporté leur prise dans une des salles de l’école, occupée déjà par plusieurs autres habitants.

      – En prison, reprit le négociant, mais c’est de la folie.

      Chancelant, il se leva, gagna la porte qu’il frappa à coups redoublés. Un agent se montra aussitôt.

      – Monsieur, s’écria l’Avignonnais, mon arrestation est le résultat d’une erreur.

      – C’est pour me conter cela que vous me dérangez, grommela le gardien moitié fâché, moitié railleur.

      – Sans doute, je suis monsieur Canetègne.

      – Vraiment?

      – À preuve que je dois payer une prime de mille francs à celui qui ramènera…

      L’agent eut un large rire.

      – Vous expliquerez cela au commissaire, demain matin.

      – Mais…

      – Et surtout restez tranquille. C’est un conseil que je vous donne. La porte se referma au nez du commerçant ahuri.

      Il n’eut pas le loisir de se plaindre. Une main s’appuya lourdement sur son épaule. Il se retourna. Devant lui, ses compagnons de captivité étaient debout.

      – Tu viens d’affirmer que tu es Canetègne, gronda le premier; que tu as promis une prime à la rousse, est-ce vrai?

      – Parfaitement.

      – Alors, c’est à cause de toi que l’on nous a ramassés?

      Le danger de sa confidence pénétra l’Avignonnais.

      – Je vais vous expliquer…

      – Pas besoin, c’est compris. Ah! tu tracasses le pauvre monde, tu couvres d’or les gendarmes. Tu es seul maintenant, nous allons voir si tu déchantes.

      Et prenant la position du boxeur, l’homme ajouta:

      – Gare-toi. Je t’offre le duel des zigs, à un pas, autant de coups de poing que l’on veut. Y es-tu?

      – Mais, monsieur, gémit le négociant terrifié.

      – Monsieur! as-tu fini. Je te dispense de mettre des gants.

      La main du vagabond s’avançait menaçante. Canetègne se recula et, d’une voix étranglée par l’émotion, cria:

      – Au secours!

      Il n’acheva pas. Son adversaire l’avait frappé en pleine figure. Durant quelques instants une grêle de taloches s’abattit sur lui. Aveuglé, contusionné, il tomba à genoux, cachant son visage de ses bras relevés.

      La nuit parut longue au commissionnaire. À chaque minute il tremblait de recevoir une nouvelle correction. Blotti dans un coin, car les prisonniers ne lui permettaient pas de s’étendre auprès d’eux, il attendit le jour avec angoisse. Enfin l’aurore entr’ouvrit les portes de l’Orient; mais pendant de longues heures encore, le malheureux dut subir les quolibets de ses voisins.

      Extrait de la prison et conduit au commissariat, il eut peine à se faire reconnaître. Les yeux pochés, le nez gonflé, la face meurtrie, il ne rappelait en rien le commerçant de la veille. Le magistrat, convaincu cependant par ses explications, le remit en liberté. Il poussa même la délicatesse jusqu’à lui donner la formule d’une lotion excellente pour bassiner les plaies contuses. Boitant et pestant, Canetègne se rendit à l’hôtel et étendit ses membres endoloris dans un lit moelleux. Mais il était écrit que le séjour à Étaples ne lui procurerait aucune satisfaction. Le marché se tenait sous ses fenêtres. Les hennissements des chevaux, les appels des marchands faisaient un tintamarre tel qu’il ne lui fut pas possible de fermer l’œil.

      Et, pour comble de disgrâce, vers trois heures de l’après-midi, M. Martin vint lui annoncer que la Bastienne entrait au port, ayant transporté les fugitifs en Angleterre, et que lui-même, estimant son rôle terminé, partait pour Lyon où, grâce à son chèque, il comptait se donner du bon temps. C’était trop. Le négociant pensa étouffer de rage. Ses ennemis lui échappaient. Il perdait cent mille francs. Il retrouva des forces pour vomir des imprécations qui eussent épuisé le souffle des héros d’Homère.

      Pourtant, le lendemain, en dépit d’une forte courbature, il se rendit à la gare et monta dans le train pour Paris. À l’arrivée il déjeuna copieusement, puis sautant dans une voiture qui passait.

      – Cocher, dit-il, au Petit Journal!

      Et se laissant aller sur les coussins, il murmura avec un accent intraduisible:

      – Tout n’est pas perdu. Ils se croient sauvés. Nous verrons bien!

      VI. ORIGINAL YOUNG LADY

      Marcel et ses amis avaient été déposés sur le rivage anglais par le patron Maltôt. Descendus à Hastings, ils avaient obéi à l’instinct des êtres poursuivis, en cherchant à augmenter la distance qui les séparait de leurs ennemis.

      La station du South-Coast-Railway était proche. Par le premier train, les jeunes gens avaient filé à toute vapeur sur Brighton et Portsmouth; puis par Salisbury, Bristol, Gloucester, Birmingham, Stafford, Stoke et Manchester, ils gagnèrent Liverpool, cet immense entrepôt commercial, situé au bord du profond estuaire de la rivière Mersey, à quelques kilomètres de la mer d’Irlande.

      Dans ce voyage encore, Simplet guidait ses compagnons.

      – Tout le monde est attiré par Londres, avait-il dit. Pour dépister la police, il suffit de tourner du côté opposé.

      Et c’est ainsi que, le 2 décembre, les trois Français entrèrent en gare de Liverpool, tête des lignes de London, Manchester, Preston et Southport. De leurs perruques ils s’étaient débarrassés en route, et ils avaient repris, non sans satisfaction, leur apparence habituelle.

      Ils suivaient à petits pas la file des voyageurs. Auprès des employés recevant les tickets, un domestique était debout, considérant avec un sourire bon enfant ceux qui passaient sous ses yeux. Sous ses yeux est l’expression juste, car il avait plus de six pieds.

      Blond, rose, sanglé dans une superbe livrée à deux nuances, marron sur marron, le colosse continuait son inspection. Ses regards se fixèrent sur les Français. Il les scruta des pieds à la tête, eut un clignement des paupières et s’avança vers eux.

      – Gentlemen, fit-il du ton le plus respectueux, lady, vous êtes attendus, s’il vous plaît, sur le Fortune. La voiture à votre disposition stationne dans la cour.

      Tous trois s’entre-regardèrent.

      – Le Fortune, qu’est-ce? demanda tout bas Yvonne.

      – Un hôtel sans doute, répliqua Marcel.

      Claude gonfla ses joues:

      – Mâtin! s’il est tenu comme ce domestique…

      – Il fait notre affaire. Les milieux élégants sont moins surveillés.

      Et sur cette réflexion, Dalvan se tourna vers le géant qui attendait et lui dit:

      – Marchez devant, mon ami.

      Dans la cour, une calèche élégante stationnait. Le domestique ouvrit la portière.

      – Sapristi! grommela Bérard, un huit-ressorts! Gare à l’addition!

      À l’intérieur se tenait un monsieur grave, cravaté de blanc, lequel s’empressa de s’asseoir sur le


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