Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi

Le sergent Simplet - Paul  d'Ivoi


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sortie, regardant curieusement les voyageurs. Il n’y prit pas garde. Celui qu’il avait heurté n’en parut pas formalisé, au contraire. Sa bouche s’ouvrit dans un rire silencieux.

      – Le voici, dit-il seulement à un personnage qui se dissimulait derrière lui.

      – Ce blond? interrogea l’individu.

      – Mais oui, mon bon monsieur Canetègne. J’ai omis de vous prévenir. Le brun est devenu blond. Il s’agit maintenant de ne pas le perdre de vue.

      Et d’un ton intraduisible, tout en s’élançant sur les traces de Bérard:

      – Il m’est cher ce jeune homme. Il représente le tiers de mon chèque.

      La réflexion ne plut pas au négociant. Une grimace le prouva, mais il allongea les jambes pour se maintenir à hauteur de son compagnon. La course ne fut pas longue. Le sous-officier atteignit le guichet de distribution des billets. Ses ennemis l’entendirent demander un ticket pour Paris.

      – Dans une heure, monsieur, répondit le receveur. Le premier train est à 2 heures 54.

      Le voyageur frappa le sol d’un talon impatient, puis il se décida, quitta la gare et pénétra dans un café voisin. Le policier n’avait pas perdu un de ses mouvements.

      – Attendons comme lui, fit-il.

      L’heure venue, ils retournèrent à la gare sur les pas de Claude et prirent place dans le train de Paris. À 10 h. 37 du soir ils atteignaient enfin la capitale. Toujours suivant Claude qui ne se doutait de rien, ils traversèrent en bourrasque les salles d’attente et gagnèrent la cour que les réverbères, les lanternes de voitures et d’omnibus constellaient de lueurs dansantes. Le sous-officier héla un fiacre. Aussitôt, Martin poussa l’Avignonnais dans un autre véhicule, et s’y engouffra après avoir bouleversé le cocher par ces paroles magiques:

      – Deux louis pour toi, garçon, si tu ne perds pas de vue ce « sapin ».

      À trente mètres de distance les voitures s’ébranlèrent, se dirigeant vers la Bastille. Elles allaient grand train. Elles passèrent à droite de la colonne de Juillet, longèrent le canal, parcoururent le boulevard Voltaire, la place de la République, le boulevard Magenta et s’arrêtèrent, à dix secondes d’intervalle, devant la haute façade de la gare du Nord.

      Onze heures sonnaient.

      Claude, son automédon payé, se mit à courir. Martin et Canetègne trottèrent dans ses pas. Comme lui, ils se munirent au guichet de billets pour Étaples, et sautèrent dans le train de 11 h. 5 sur Creil, Amiens, Abbeville et Calais.

      Il était temps, la longue file de wagons s’ébranlait.

      – Nous allons à Étaples, dit l’agent, rien ne nous empêche de dormir. Bonsoir, monsieur Canetègne.

      Sur ce, il s’accota dans son coin et ferma les yeux. Le négociant, brisé par les émotions de cette journée, lutta un instant contre le sommeil; mais le convoi était à peine à hauteur de Saint-Denis que sa tête se pencha en avant et qu’un ronflement nasillard annonça sa défaite.

      Au moment où le train quittait Abbeville, une secousse le rappela au sentiment de la réalité.

      Il ouvrit les yeux et aperçut M. Martin souriant, qui lui présentait une paire de lunettes bleues et un cache-nez.

      – Pour n’être pas reconnu? dit seulement le policier.

      – Reconnu, par qui?

      – Par ceux que nous poursuivons.

      – Où sont-ils?

      – Je l’ignore encore, mais mon instinct m’avertit que nous les rencontrerons à Étaples.

      Canetègne n’en demanda pas davantage. Il cacha ses yeux sous les verres bleus et jeta le cache-nez sur ses épaules. À 7 h. 58, on entrait en gare d’Étaples, et presque aussitôt l’agent en observation à la portière s’écriait:

      – Les voici!

      Il désignait un homme aux cheveux bruns et une jeune femme abominablement rousse qui attendaient sur le quai. L’Avignonnais se précipita pour descendre, mais son compagnon l’arrêta:

      – Un instant. Inutile de les effaroucher, tout serait à recommencer.

      Claude Bérard avait rejoint ses amis et tous trois s’éloignaient.

      – À notre tour, reprit Martin, qui saisit le bras du commerçant et le contraignit à régler son pas sur le sien.

      Tout en marchant, il parlait:

      – Mon cher monsieur, j’ai tenu ma promesse; j’ai retrouvé les fugitifs. À vous de tenir la vôtre en faisant passer de votre poche dans la mienne, le petit papier que vous savez.

      Canetègne poussa un soupir désolé.

      – Cent mille francs, c’est cher!

      – Vous refusez, bon. Je cours prévenir ces jeunes gens.

      – Non, ne faites pas cela, je me résigne. Mais quand on a amassé un petit pécule dans les affaires…

      – Les affaires, c’est l’argent des autres. Supposez que vous restituez.

      Sans relever l’impertinence, le négociant tira de son portefeuille le chèque préparé à Lyon et le remit au policier.

      – À la bonne heure, dit celui-ci dont les yeux brillèrent, vous devenez raisonnable. Tenez, notre gibier niche à l’hôtel de la gare. On va se raconter les péripéties du voyage. Profitons-en pour courir au télégraphe. Nous prierons M. Rennard d’expédier le mandat d’amener au commissaire central de la localité. Il est 8 h. 10; à midi sa réponse arrivera et le tour sera joué.

      V. PREMIÈRES HEURES HORS DE FRANCE

      Cependant Marcel et Yvonne avaient conduit Claude dans une chambre de l’hôtel de la gare.

      – Reposez-vous, conseilla Dalvan, car la soirée sera fatigante.

      – Comment cela?

      – Nous ferons une promenade en mer. Un patron de barque nous emmène à la pêche. On part à trois heures.

      Le « Marsouin » voulut obtenir une explication, mais Simplet quitta la chambre. Puis laissant Yvonne s’enfermer chez elle, il s’en alla flâner par la ville.

      Bientôt il gagna la rive de la Canche, dont l’embouchure forme le port d’Étaples, et il descendit vers la mer.

      Une cabane dressait son toit de chaume à quatre ou cinq cents mètres de lui. Des « chaluts », soutenus par des perches, séchaient à l’entour. Sur la porte un homme de cinquante ans, dont la barbe grisonnante paraissait presque blanche à cause du hâle du visage, fumait une courte pipe. En voyant le jeune homme, il souleva son bonnet de laine.

      – Bonjour, patron, fit le sous-officier. Ça tient toujours notre partie de pêche?

      – Bien sûr, monsieur. Si vous êtes à bord de la Bastienne à l’heure du jusant, je vous emmènerai certainement. C’est une bonne barque allez. Tenez, regardez-la, là-bas, comme elle roule. On dirait qu’elle a hâte de partir.

      – Nous ne la ferons pas attendre, soyez tranquille.

      Marcel serra la main du patron et revint vers son logis. Comme il passait devant la maison du commissaire central, il entendit un bruit de voix; le nom de « Ribor » lui parvint distinctement.

      Il s’arrêta net. Ribor! Yvonne s’appelait ainsi. Qui donc prononçait ces deux syllabes. Puis il sourit. Évidemment il ne s’agissait pas d’elle, mais d’autres Ribor. Quelle apparence que l’on s’occupât de la jeune fille chez le magistrat?

      Pourtant, il ne pouvait se décider à s’éloigner. Immobile sur le trottoir, il prêtait l’oreille, concentrant toute son attention pour saisir les paroles qui s’échappaient par la porte entre-bâillée. Il se rapprocha de l’ouverture. Les sons lui arrivèrent plus nets, et avec stupeur il surprit


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