Le sergent Simplet. Paul d'Ivoi

Le sergent Simplet - Paul  d'Ivoi


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vous ne m’avez pas averti? clama Canetègne.

      – Vous avertir? vous n’y songez pas.

      – Mais si, je vous aurais récompensé.

      – Oui, vingt-cinq louis. Cela ne constitue pas une affaire. J’aime mieux la situation actuelle.

      Sans prêter la moindre attention aux gestes furibonds du commissionnaire, Martin continua:

      – Voici ce que je vous propose: Je me suis enquis de votre situation financière. Vous possédiez à la date d’hier cinq cent vingt-cinq mille trois cent quarante-deux francs, soixante-douze centimes, déposés chez MM. Fulcraud, Barrot et Cie, banquiers, cours Bellecour.

      – Ah! souligna la manutentionnaire.

      Canetègne voulut esquisser un geste de dénégation, mais le policier l’arrêta:

      – J’ai vu votre compte.

      Et après un silence:

      – Votre maison brûle; – c’est une figure – un homme se présente pour aller à travers les flammes sauver votre coffre-fort. Sans lui vous perdez tout. Il me semble qu’en vous demandant 20 pour 100 de votre fortune, il est modéré.

      – 20 pour 100! gémit l’Avignonnais.

      – Pas même. Cent mille francs payables le jour où je retrouve les fugitifs.

      – Vous m’assassinez.

      – Pas le moins du monde. Mon prix ne vous convient pas, je me retire.

      Déjà M. Martin reprenait son chapeau.

      Le négociant, partagé entre l’avarice et la peur, céda à la seconde.

      – Laissez-moi le temps de réfléchir, vous avez une impétuosité.

      – Toute naturelle. Vos adversaires ne réfléchissent pas, ils filent.

      L’argument décida Canetègne.

      – Soit!… Cent mille si vous les trouvez. Rien si c’est la police.

      – Naturellement, fit l’agent d’un ton goguenard. Maintenant ne perdons pas une minute; passons à votre magasin. De là, nous irons chez votre banquier – vous y prendrez quelque argent et préparerez un chèque à mon nom. – Enfin je vous montrerai quelque chose que la police n’a pas encore découvert.

      Il salua Mlle Doctrovée d’un air amical et, suivi du négociant, il quitta la maison. Jusqu’à la rue Suchet, les deux hommes n’échangèrent pas une parole.

      – Pourquoi sommes-nous venus ici? demanda l’Avignonnais.

      – Pour voir votre courrier.

      – Mon courrier?

      – Voyez toujours, vous comprendrez.

      Obéir était le plus simple. Pénétrant dans le compartiment réservé à la caisse, le commissionnaire se mit à dépouiller le paquet volumineux de correspondances entassées sur son bureau. Soudain il eut un cri.

      – L’écriture d’Yvonne!

      – La lettre vient de Chambéry, n’est-ce pas? questionna l’agent sans paraître étonné.

      – Comment le savez-vous?

      – Peu importe. Je le sais.

      D’un geste impatient, Canetègne déchira l’enveloppe et d’une voix tremblante lut ce qui suit:

      Monsieur,

      Vous n’appréciez que les choses qui se vendent. L’honneur vous semble sans valeur. Aussi avez-vous essayé d’en priver une pauvre fille dont c’est toute la fortune. Pour cette chose vague, cette fumée comme vous l’appelez, d’autres sont capables de tous les sacrifices. J’espère revenir victorieuse de la lutte à laquelle vous m’obligez. Alors vous ne douterez plus.

      YVONNE RIBOR.

      Sa lecture terminée, il regarda l’agent:

      – Eh bien?

      – La lettre est conçue dans un noble esprit.

      – Ce n’est point votre appréciation sentimentale que je sollicite. Le timbre de la poste de Chambéry ne vous paraît-il pas un renseignement?

      Le policier le considéra narquoisement:

      – Vous inclinez donc à penser?

      – Que mon ex-caissière se dirige sur Modane.

      – Et comme la frontière est gardée, vous vous réjouissez. Vous n’aurez plus à me verser cent mille francs.

      – Précisément, je l’avoue. M. Martin fit entendre un petit rire sec.

      – Cela ne fait rien. Passons chez votre banquier.

      – Vous voulez, après cette lettre…

      – Plus que jamais. Il est neuf heures moins le quart, nous avons le temps, car nous prendrons le train de 9 h. 41 pour Mâcon.

      Et frappant familièrement sur l’épaule de l’Avignonnais qui ouvrait des yeux effarés.

      – Cette lettre-là, c’est une ruse pour vous dépister.

      – Allons donc! Si vous me prouvez cela.

      – C’est ce que je ferai si vous m’accompagnez. À une condition seulement. C’est que vous me garderez le secret. Je tiens à gagner votre argent, et je ne vous pardonnerais pas de m’en empêcher.

      Le ton dont il prononça ces paroles était clair. Canetègne ne s’y trompa pas. Il fallait agir loyalement – une fois par hasard – avec un homme qui connaissait son histoire.

      Dans la rue, le policier héla une voiture et donna au cocher l’adresse de la banque Fulcraud, Barrot et Cie.

      Chez les banquiers, l’Avignonnais se fit remettre vingt mille francs et annonça qu’il serait peut-être présenté à l’encaissement un chèque de cent mille. Un employé prit note de cette déclaration. Puis toujours flanqué de M. Martin, le négociant remonta en voiture.

      – 9 h. 3, murmura l’agent, c’est juste!

      Bientôt le véhicule s’arrêta devant le pavillon où Yvonne et ses amis avaient passé la veille. Le policier tira de sa poche une clef qu’il introduisit dans la serrure.

      – Qu’est cela? demanda Canetègne.

      – La première cachette de vos ennemis. J’ai pris une empreinte à la cire et me suis fait fabriquer une clef, ce qui nous permet d’entrer comme chez nous.

      Sur ces mots il ouvrait la porte et pénétrait dans le pavillon. Il faisait sombre, et durant quelques secondes le commissionnaire ne distingua rien. Mais ses yeux s’accoutumèrent à la pénombre, il vit sur le plancher des vêtements d’hommes et de femme.

      – C’est ici, déclara l’agent, que les fugitifs ont changé de costumes. Ici également que, grâce à un indicateur pointé au crayon, j’ai pu reconnaître la route choisie par eux.

      Il s’interrompit:

      – 9 h. 30, ne manquons pas le train; décampons.

      À 9 h. 38, les deux hommes s’installaient dans un compartiment de première classe, et bientôt le convoi les emportait vers Mâcon.

      De son côté, Claude Bérard, après une nuit passée à Chambéry, avait fait route sur Culoz, et laissant cette gare en arrière, filait à toute vapeur sur la même destination.

      Il n’accordait qu’une attention distraite au paysage. Ni Ambérieu avec sa jolie rivière l’Albarine, ni Bourg, dominée par le clocher de l’église de Brou, ne lui semblèrent dignes de remarque. Sa pensée était ailleurs. Elle volait, précédant le chemin de fer trop lent, vers Étaples où il devait rejoindre ses amis. Le jeune homme s’exaspérait à chaque arrêt du train. Polliat, Mézériat, Vonnas, Pont-de-Veyle eurent tour à tour leur part dans ses malédictions. Enfin la machine ralentit


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