Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi


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lui faisaient un masque que la pitié même n’empêchait pas de trouver comique. Dans sa pharmacie de voyage, il prit de l’alcali et du phénol, qui guérirent à peu près ses blessures.

      Un autre péril est encore à craindre dans ces sortes de voyages: les fièvres. Murlyton avait son remède: la quinine. Mais Ramon en indiqua un autre, plus simple, plus pratique.

      – Tu éviteras la fièvre en buvant du grog au rhum, dit-il à Lavarède; j’en ai dans mes bagages, c’est du rhum des Antilles. Ensuite tu mangeras peu et tu prendras un bain froid tous les jours.

      – Manger peu est aisé, répondit notre ami en riant. Quant au bain froid, nous rencontrons assez de rios sur la route pour faciliter cette hygiénique opération.

      VII. En Costa-Rica

      Durant une semaine, Lavarède eut le loisir de comprendre l’inanité du mépris des richesses, car seul il allait à pied.

      Sir Murlyton, lassé de marcher, avait tout simplement acheté la mule d’un Indien qui passait; et, l’ayant enfourchée, sans la moindre selle anglaise, il escortait la voiture où se tenaient miss Aurett et la femme de Ramon.

      Quoiqu’un peu penaud, Armand fit bon visage à cette mauvaise fortune, et sans doute le dieu qui le protégeait lui sut gré de sa joyeuse humeur, car le neuvième jour il lui vint en aide.

      Tous avaient couché dans un pueblo tule. Tule est le véritable nom de ceux que les Espagnols appelèrent improprement Indiens. On traversait la grande Savane, dans la direction du Chiriqui, l’un des nombreux volcans de la région, toujours en éruption, lorsque le journaliste avisa, près d’un torrent, le Papayalito, un campement de muletiers.

      Deux mules seulement composaient l’équipage; elles broutaient. Les cuivres de leurs harnais brillaient au soleil, et leur aspect contrastait avec l’allure misérable des deux hommes qui les gardaient, couchés à l’ombre d’un arbre.

      – Ce sont des arrieros? demanda Lavarède.

      – Non, dit Ramon, ils n’ont pas le costume. L’un des deux hommes est un Zambo, et l’autre un Indien Do; sa tribu est loin en arrière de nous, au sud des travaux de l’isthme.

      – D’où tu conclus?…

      – Que ce sont des voleurs… Nous allons bien voir.

      Et s’approchant brusquement:

      – Camarades, nous vous remercions d’être venus au-devant de nous avec nos montures. Ces mules devaient nous attendre vers le Chiriqui: mais je ne vois pas nos mozos avec elles.

      Puis, sans ajouter un mot, il enfourcha une des montures, et Lavarède l’imita.

      Le Zambo et le Do, surpris, se regardèrent. Ramon reprit:

      – Sa Grâce va donner une piastre à chacun pour vous remercier de la peine que vous avez prise.

      Les deux hommes tendirent aussitôt la main. Lavarède, qui n’avait pas le premier cuartillo de cette somme, comprit et paya d’aplomb.

      – Canailles, s’écria-t-il en levant son bâton, vous vouliez voler mes mules.

      – Non… non… Votre Grâce… C’est Hyeronimo, le muletier de Costa-Rica, qui nous a envoyés en nous promettant un bon prix…

      – Cela suffit… Venez le chercher chez l’alcade de Galdera.

      Et, avec un toupet d’honnête homme, il piqua des deux, suivi de Ramon. Pour cette fois, la gravité de l’Indien fit place à la gaieté. En riant, il tira la morale de l’incident:

      – C’est un double plaisir de voler un voleur.

      Ils savaient au moins une chose: les mules appartenaient à un arriero de Costa-Rica, nommé Hyeronimo. Et, à en juger par la splendeur des harnais, cet arriero devait être au service de quelque huppé personnage.

      Quelques jours après, Ramon fit savoir que l’on était arrivé où il devait aller.

      – C’est ici le pays qu’habite ma tribu. En face de toi est ton chemin. Aujourd’hui même, tu auras quitté le territoire colombien pour être sur celui de la République costaricienne. Garde pour toi les deux mules que Dieu nous a données; elles te serviront à toi et à ta compagne. Ton ami l’Anglais en a une aussi; vous êtes donc assurés de faire bonne route. Moi et mon Iloé, nous allons retrouver nos parents, nos frères. Heureux si j’ai pu te guider et t’être utile, fais-moi l’honneur de me serrer la main.

      Ce langage ne manquait pas de grandeur en sa simplicité, et ce ne fut pas sans une certaine émotion que Lavarède se sépara de cet ami de quelques jours qui lui avait rendu un si grand service.

      – Ramon, fit-il, nous ne nous reverrons peut-être jamais…

      – Quien sabe?… Qui le sait? murmura l’Indien.

      – Mais ni moi, ni mes compagnons ne t’oublierons. En quelque lieu que tu sois, si tu as besoin de moi, tu n’auras qu’à m’appeler, fussé-je au bout du monde!

      – Et moi de même, fit résolument Ramon.

      Puis l’on se sépara.

      La route ne fut pas trop pénible, nos amis étant montés tous trois sur d’excellentes mules.

      Un seul incident signala cette dernière journée; des grondements souterrains se firent entendre, ce qui n’a rien de bien surprenant dans cette région volcanique, où les tremblements de terre se produisent, bon an, mal an, une soixantaine de fois.

      Le soir venait. À perte de vue, d’énormes massifs de roches s’entassaient dans tous les sens, à travers la brume amoncelée. Nos voyageurs grignotèrent une tortilla de maïs, de la provision que leur avait laissée Iloé. Il fallait au moins se soutenir, puisque l’on ne savait où l’on pourrait gîter.

      À la frontière, on trouva bien un petit poste, mais c’était à peine un abri pour les soldats.

      Sans s’y arrêter, la caravane salua les trois guerriers un peu dépenaillés qui représentaient l’armée des États-Unis de Colombie. Les mules foulèrent le sol de Costa-Rica. La route faisait, à cent mètres plus loin, un coude brusque à angle droit. Tout à coup, Armand, qui marchait en tête, aperçut, derrière un rocher, une sorte de campement; c’étaient des arrieros, des muletiers, mais avec eux quelques soldats. Il s’arrêta et fit signe aux Anglais d’approcher prudemment.

      Au même instant, des cris retentirent. Les muletiers étaient tous debout, criant plus fort les uns que les autres.

      – Les voilà!…

      – C’est bien nos mules.

      – Je reconnais le harnachement.

      – Les voleurs viennent ici nous braver!

      – Hyeronimo!… où donc es-tu?

      – Cherchez-le! qu’il vienne tout de suite.

      – Ceux-là, en attendant, nous allons les conduire au capitaine Moralès.

      – Ah! leur affaire est claire.

      En un clin d’œil Lavarède, Murlyton et miss Aurett furent entourés, descendus de leurs mules par vingt bras vigoureux, un peu bousculés au surplus, et, finalement, conduits devant le capitaine qui, allongé sur un tronc d’arbre, fumait son cigarito. Ils n’avaient pas eu le temps de s’expliquer.

      À côté de l’officier un homme était assis, enveloppé dans une capa, dont le haut collet dissimulait son visage. Il se pencha vers son voisin, lui dit quelques mots rapides à voix basse, et l’officier se leva tout aussitôt.

      – Silence, fit-il avec autorité!… Laissez cette jeune personne et son honorable père, et tâchez, une autre fois, de mieux reconnaître les gens.

      Les arrieros s’écartèrent.

      – Señorita, ajouta le capitaine, et vous, señor, nous sommes ici par l’ordre du nouveau gouverneur, don José Miraflor y Courramazas, pour


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