Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi


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qu’il a refusé de l’avancement à tous les colonels… Il trouvait qu’il y avait assez de généraux.

      – Et combien donc y en a-t-il?

      – Trois cents.

      – Et combien de soldats dans l’armée?

      – Cinq cents.

      Lavarède partit d’un bon éclat de rire que l’air étonné de Concha rendit plus bruyant encore. Cependant, elle sortit pour aller se mettre aux ordres du général, laissant notre ami peu vêtu, mais muni d’un bagage complet de politicien costaricien. À présent, il connaissait sa république comme personne. Et il prêta d’autant plus d’attention à l’entretien qui se poursuivait dans le patio (la cour), entre le général et «sa garde». Voici ce qu’il entendit?

      C’était l’ex-président Zelaya qui parlait:

      – Hyeronimo, notre parti compte sur toi. Ce misérable Guzman, venu au nom de los serviles, n’a tenu aucune de ses promesses, et, par surcroît, il veut ramener les Jésuites! L’an dernier, le signal de la révolution est parti de la province de Nicoya… Qu’il parte cette fois du golfe Dulce, et que ce soit, comme toujours, Hyeronimo le Brave qui le donne. Mais qu’as-tu donc? Tu parais hésitant…

      – Excellence, répondait le muletier, je ne refuse pas absolument… Mais j’ai besoin d’être mieux éclairé… Y a-t-il du danger?

      – Aucun… Cambo, la résidence de José, ainsi que son château, comme dit pompeusement cet Européen, sont peuplés de nos amis. Notre parti est prêt; tu sais bien que lorsque los libres font de l’agitation, c’est qu’ils sont assurés du succès.

      – Mais, moi, personnellement, qu’est-ce que je gagnerai à cette nouvelle révolution?

      – Tu demanderas ce que tu voudras, pour toi et ces deux hommes, tes serviteurs, sans doute?

      – Non, Excellence, nous gardons à vue un Français que José veut éloigner pour aujourd’hui du château de la Cruz.

      – Laisse ce Français en paix, les affaires de José n’intéressent que lui. Je compte sur toi, et vais sur la route de la capitale préparer le mouvement.

      Et lui jetant sa bourse pleine de piastres et de dollars, le général Zelaya partit. Mais il n’avait pas semé seulement l’idée de révolte chez les siens; un mot avait ravivé les soupçons de Lavarède.

      Pourquoi José voulait-il l’éloigner tout un jour?

      Évidemment pour accomplir quelque vilaine entreprise contre la jeune Anglaise, son amie. À tout prix il fallait donc la rejoindre et arriver au château de la Cruz.

      Mais comment? Une minute de réflexion, puis il sourit. Il avait trouvé.

      En son costume primitif, il descendit aussitôt dans le patio, après s’être muni d’une chaise, et s’adressant au muletier:

      – Mon ami, j’ai tout entendu, et, si vous le voulez, je suis des vôtres… Marchons contre don José.

      Mais, à sa grande surprise, Hyeronimo fit un geste de dénégation. Les soldats eurent un mouvement de résignation fataliste.

      – Non, señor, dit le muletier avec un certain sens pratique… Cette fois, je ne donnerai pas le signal… D’abord, vous pensez bien que ce José résistera, le général m’a prévenu sans s’en douter… Il n’a pas encore touché son traitement, donc il ne voudra jamais s’en aller les mains vides… Et puis, nous venons d’y songer: il a habité l’Europe, il est armé, il nous tirera dessus!… Il n’est pas, comme nous, un vieux Costaricien: le sang coulera. Nous sommes décidés à ce que ce ne soit pas le nôtre.

      – Eh bien! je vous offre que ce soit le mien…

      Les trois hommes le regardèrent stupéfaits. Ils le trouvaient chevaleresque, mais un peu fou. N’y a-t-il pas, d’ailleurs, toujours un grain de folie dans l’héroïsme, folie noble, mais certaine?

      Mais il brandissait sa chaise de façon tant soit peu menaçante. C’était une bonne chaise en bambou, solide, élastique, une arme dangereuse dans la main d’un homme déterminé. Les indigènes, sans avoir besoin de se consulter, tombèrent d’accord. Il ne fallait pas contrarier l’Européen. Mais, tout en acceptant le sacrifice que leur proposait ce nouvel adhérent au parti, l’idée leur vint de prendre quelques précautions sages, inspirées par l’esprit de raison.

      – C’est fort bien si la conspiration Zelaya réussit, fit le muletier; mais, si elle échoue… don José ne me pardonnera pas de vous avoir laissé échapper pour aller à Cambo donner le signal de la révolution.

      – Et à nous non plus, ajoutèrent les deux soldats.

      Lavarède fronça le sourcil et frappa le sol de sa chaise. Aussitôt l’un des guerriers, Indien terraba de naissance, – ce sont de très doux agriculteurs, – eut une idée pratique.

      – Que le seigneur Français veuille bien nous attacher, nous entraver au moins les jambes; comme cela il nous aura mis dans l’impossibilité de le poursuivre, et il sera évident que nous ne sommes pas ses complices.

      – Soit, dit Armand, mais le temps presse… Ligotez-vous réciproquement à la première mauvaise nouvelle que vous recevrez, et cela suffira.

      – Votre Grâce est trop bonne.

      – Quant à toi, Hyeronimo, je vais prendre ta mule, la meilleure.

      – Oh! seigneur, mon gagne-pain!

      La chaise frétilla.

      – Prenez, prenez, s’empressa d’ajouter l’arriero; la meilleure, c’est Matagna… regardez-la, on dirait un cheval anglais.

      – Bien… Il ne me manque plus qu’un vêtement convenable… Je ne me vois pas faisant une révolution… en caleçon de toile… même dans un pays chaud.

      – Votre Excellence ne veut pourtant pas me dépouiller de mes habits!…

      Tranquillement, le journaliste enleva le siège de bambou à bras tendu, et souriant:

      – Mais justement si, mon Excellence ne veut pas autre chose. Allons, je te dépouille de gré ou de force.

      – Tu as deux costumes, fit observer le Terraba, un de cuir en dessous et un de velours brodé par dessus.

      C’est l’usage, lorsqu’un convoi de muletiers doit traverser un pays de montagnes où la température subit de brusques changements comme en cette région.

      Hyeronimo regarda l’Indien de travers, donna un coup d’œil à la chaise, et finalement se dépouilla de la large culotte à lacets et du gilet-veste de cuir, qu’Armand revêtit aussitôt. Un sombrero emprunté au ranchero acheva la métamorphose.

      Notre Parisien avait tout à fait l’air d’un indigène.

      – Au fait, demanda-t-il, quel est donc ce signal que je dois donner?

      – Comme l’année dernière… trois coups de feu.

      – Confie-moi alors ton revolver.

      – Mais je n’en ai pas!… et puis j’en aurais un que je ne le donnerais pas à Votre Grâce…

      – Pourquoi?…

      – Avec vos mauvaises habitudes d’Europe, vous seriez capables de tirer sur des gens.

      – Allons, fit Armand en riant, il faudra que je trouve un fusil qui parte tout seul… En route.

      Et, ayant enfourché Matagna, la mule au trot rapide, Lavarède courut, d’une seule traite, du rancho aux mines d’or et de quartz, à travers la montagne. Déjà travaillés par Zelaya, des groupes l’attendaient au passage. Ils avaient reconnu la mule d’Hyeronimo et lui firent une ovation.

      – Vive le libérateur des peuples!…

      – Bon! voilà que je suis libérateur,


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