Les cinq sous de Lavarède. Paul d'Ivoi

Les cinq sous de Lavarède - Paul  d'Ivoi


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ajouta à voix basse miss Aurett, grâce à notre ami M. Lavarède.

      – Aoh! ce était tout à fait un gentleman.

      Et il alla lui serrer la main avec cordialité. Pendant qu’ils échangeaient le shake hands, un brouhaha se produisit vers la porte du château. Un homme cherchait à se sauver. Interpellé, il n’avait pas répondu. Alors, deux ou trois montagnards lui avaient couru après et le ramenaient de force. Tout naturellement, ils le conduisirent devant leur général. Le libérateur partit d’un franc éclat de rire. Le prisonnier était penaud et tremblant.

      – Ah! maître Bouvreuil!… fit Armand… Eh bien, qu’en dites-vous?… Du jour au lendemain les rôles sont changés en ce pays.

      – Ah! je l’ai vu tout à l’heure, quand cette foule vous acclamait… Je n’ai songé qu’à me sauver.

      – Pour éviter mon juste courroux!… Mais vous ne savez pas un mot d’espagnol, vous ne seriez pas allé bien loin.

      – Hélas!

      – Dites, mon bon monsieur Bouvreuil, hier vous me faisiez arrêter, si je vous faisais fusiller aujourd’hui?

      – Oh!… oh!… Lavarède, mon doux ami… vous ne ferez pas ça… tenez, voici vos quittances, voilà mon désistement, mes billets de banque… tout! tout! voulez-vous ma fille avec?… Prenez tout, mais ne me prenez pas la vie!…

      Les Costariciens n’entendaient pas ce dialogue, échangé en français; mais ils comprenaient parfaitement les mouvements extérieurs.

      – Qu’ai-je à faire de votre fortune? répondit Lavarède avec un geste de refus… J’ai cinq sous, vous le savez bien, et ils me suffisent.

      Il n’y avait pas à se méprendre à cette pantomime. Un chef de révolution désintéressé, cela est assez rare pour enthousiasmer la foule sous toutes les latitudes. Pour l’exalter encore:

      – Nous ne sommes pas des voleurs, s’écria Armand, en castillan cette fois, nous sommes de libres citoyens.

      Un hourrah immense lui répondit. S’il avait seulement levé le doigt, Bouvreuil et José eussent été sur place écharpés par ceux-là mêmes, capitaine Moralès en tête, qui leur obéissaient quelques heures auparavant. Mais le Libérateur en avait décidé autrement. Cette révolution qu’il avait faite uniquement pour sauver sa petite amie, l’Anglaise, cette révolution qui s’accomplissait, il ne savait encore au profit de qui, il la voulait pure de tout crime, exempte de sacrifices humains.

      – Non, dit-il majestueusement à Bouvreuil et à José, non, je ne veux pas votre mort! Cette blessure légère que j’ai reçue, je la bénis, car elle m’a fait le chef de tous ces braves gens, et vous ne la paierez pas de sévères représailles. Seulement, vous comprenez bien que je ne veux pas vous retrouver sur mon chemin… J’ai un trop grand intérêt à continuer ma route pour ne pas me débarrasser de vous. Capitaine Moralès, vous allez, sous bonne escorte, conduire ces deux messieurs, par les montagnes, jusqu’au rivage de l’Atlantique. Vous irez à Puerto-Limone, et vous les ferez embarquer sur le premier navire en partance, dans n’importe quelle direction, pourvu que ce soit loin de la terre de Costa-Rica. Il vous faut assurément quinze jours pour exécuter cet ordre; après quoi vous reviendrez à la capitale de la République, à San-José, où vous recevrez la récompense que mérite votre mission. Je vous la promets aussi considérable que le service rendu. Voici votre ordre écrit. L’argent que nous laissons à vos deux prisonniers servira à payer leurs voyages et à entretenir l’escorte que vous commandez. J’ai dit. Allez! Et vivan los libres!

      – Nous avons la vie sauve, murmura José bas à Bouvreuil, rien n’est perdu encore… Je connais le pays, et je vous réponds que nous nous retrouverons face à face avec ce trop confiant Français.

      Un peu remis de la bourrasque passagère, sir Murlyton se rendit compte du service qu’Armand venait de lui rendre, ainsi qu’à sa fille. Celle-ci, de son côté, l’avait compris de suite. Aussi, leur reconnaissance s’en accrut avec leur amitié pour le bon diable au destin de qui ils étaient attachés pour toute une année. Et ce fut pour eux une simple question de conscience de rappeler à Lavarède qu’il n’était pas en route uniquement pour renverser don José de son trône préfectoral.

      – Votre voyage, dit l’Anglais, ne doit pas souffrir de tels retards. Honnêtement, je suis prêt à décompter de sa durée les jours perdus ici pour notre salut personnel.

      – Non pas, fit Armand, ce sont là menus incidents qu’il faut prévoir lorsqu’on voyage sans argent. C’est la compensation nécessaire.

      – Soit, mais que comptez-vous faire maintenant?

      – Parbleu, continuer ce que j’ai commencé ici.

      – Le révolution!

      – Certes… de ce coin perdu de la Cordillère américaine, où irais-je pour trouver mieux et m’avancer un peu?… Je ne puis exécuter de besogne plus avantageuse que celle de révolutionner le pays. D’ailleurs, je ne le voudrais point que j’y serais forcé… Ces gens n’ont d’autre objectif que de marcher sur la capitale; je suis leur chef, je dois les suivre, ainsi que disait chez nous Ledru-Rollin, en 1848… Réfléchissez-y; au surplus, en agissant de la sorte, je reste dans mon programme; la capitale, San-José, est dans la direction du nord. Je dois aller vers le nord, pour m’efforcer de rejoindre San-Francisco. Par conséquent, je marche à la tête de ma troupe; je m’adresse au nouveau président, une fois arrivé là-bas, et, à titre de récompense, je lui demande le moyen de continuer mon voyage.

      – Avez-vous songé aux difficultés qui vous attendent pour atteindre San-Francisco?

      – Non. Je les rencontrerai toujours assez tôt.

      – Mais il vous faudra traverser tout l’isthme américain… qui n’est pas riche en voies carrossables, ni en chemins de fer; franchir le Nicaragua, le San-Salvador, le Guatemala; ensuite, c’est le Mexique à parcourir dans toute sa longueur… jamais vous n’arriverez.

      – Surtout, interrompit gaiement Lavarède, surtout si je ne commence pas… Donc, commençons.

      Et, ayant donné à ses partisans le signal du départ, le «général» enfourcha sa mule et se mit en route. Fidèle historien de cette aventure, nous devons reconnaître qu’il ne courait pas grand péril. À son arrivée, ce n’était partout qu’acclamations et vivats. Sur son passage, on tirait des coëtes, des pétards; on se disputait l’honneur de le loger, de l’héberger, lui et sa suite, c’est-à-dire Murlyton et Aurett. Déjà même, parmi les gens de son armée et dans les contrées que l’on parcourait, le bruit s’était répandu que ces deux personnes étaient sa femme et son beau-père. Et quelques-uns des siens répétaient cela aux autres, avec un petit air entendu, des hochements de tête significatifs, que seuls nos trois voyageurs ne comprenaient pas. À la fin miss Aurett voulut en avoir le cœur net. La troupe se dirigeait vers le pays des Guetarez; on suivait un chemin au pied de la montagne Dota, et le hasard de la route avait logé l’état-major de la petite colonne dans une hacienda, la Cascante, dont Mlle Luz, une aimable señorita, faisait les honneurs. Pendant que Lavarède pansait sa blessure de l’épaule avec l’aide accoutumée de sir Murlyton, les deux jeunes filles causèrent, et Aurett apprit tout de la bouche de Luz:

      – Un article de la Constitution du 22 décembre 1871 porte que le président de la République costaricienne est élu pour quatre ans, non rééligible; il doit justifier d’un capital de 50 000 francs, être âgé d’au moins trente ans et être marié.

      – Bon, pensa la petite Anglaise, M. Armand a l’âge nécessaire; il est en train de gagner quatre millions, et ses amis le croient marié… Je ne dois pas les dissuader… Je continuerai de passer pour sa femme, et ce sera très plaisant, très humbug, de le faire acclamer président.

      Elle accompagnait ses réflexions d’un sourire mutin, qui, involontairement, en disait plus long même qu’elle ne pensait. C’est qu’elle se prenait tout de bon à tendrement aimer – d’amitié certes, mais d’amitié profonde


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