Han d'Islande. Victor Hugo

Han d'Islande - Victor  Hugo


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Drontheim, vous êtes accouru sur-le-champ pour me voir.

      – Oh! mon Dieu non. Je m'ennuyais au fort, je suis venu dans la ville où j'ai rencontré Musdoemon, qui m'a conduit ici.

      La pauvre mère soupira profondément.

      – À propos, ma mère, continua Frédéric, je suis bien content de vous voir. Vous me direz si les noeuds de ruban rose au bas du justaucorps sont toujours de mode à Copenhague. Avez-vous songé à m'apporter une fiole de cette huile de Jouvence, qui blanchit la peau? Vous n'avez pas oublié, n'est-ce pas, le dernier roman traduit, ni les galons d'or vierge que je vous ai demandés pour ma casaque couleur de feu, ni ces petits peignes que l'on place maintenant sous la frisure pour soutenir les boucles, ni....

      La malheureuse femme n'avait rien apporté à son fils, que le seul amour qu'elle eût au monde.

      – Mon cher fils, j'ai été malade, et mes souffrances m'ont empêchée de songer à vos plaisirs.

      – Vous avez été malade, ma mère? Eh bien, maintenant vous sentez-vous mieux?– À propos, comment va ma meute de chiens normands? Je parie qu'on aura négligé de baigner tous les soirs ma guenon dans l'eau de rose. Vous verrez que je trouverai mon perroquet de Bilbao mort à mon retour.– Quand je suis absent, personne ne songe à mes bêtes.

      – Votre mère du moins songe à vous, mon fils, dit la mère, d'une voix altérée.

      C'aurait été l'heure inexorable où l'ange exterminateur lancera les âmes pécheresses dans les châtiments éternels, qu'il aurait eu pitié des douleurs auxquelles était en ce moment livré le coeur de l'infortunée comtesse.

      Musdoemon riait dans un coin de l'appartement.

      – Seigneur Frédéric, dit-il, je vois que l'épée d'acier ne veut pas se rouiller dans le fourreau de fer. Vous ne vous souciez pas de perdre dans les tours de Munckholm les saines traditions des salons de Copenhague. Mais pourtant, daignez me le dire, à quoi bon cette huile de Jouvence, ces rubans roses et ces petits peignes; à quoi bon ces apprêts de siège, si la seule forteresse féminine que renferment les tours de Munckholm est imprenable?

      – En honneur! elle l'est, répondit Frédéric en riant. Certes, si j'ai échoué, le général Schack y échouerait. Mais comment surprendre un fort où rien n'est à découvert, où tout est gardé sans relâche? Que faire contre des guimpes qui ne laissent voir que le cou, contre des manches qui cachent tout le bras, en sorte qu'il n'y a que le visage et les mains pour prouver que la jeune damoiselle n'est pas noire comme l'empereur de Mauritanie? Mon cher précepteur, vous seriez un écolier. Croyez-moi, le fort est inexpugnable quand la Pudeur y tient garnison.

      – En vérité! dit Musdoemon. Mais ne forcerait-on pas la Pudeur à capituler, en lui faisant donner l'assaut par l'Amour, au lieu de se borner au blocus des Petits Soins?

      – Peine perdue, mon cher; l'Amour s'est bien introduit dans la place, mais il y sert de renfort à la Pudeur.

      – Ah! seigneur Frédéric, voilà du nouveau. Avec l'Amour pour vous....

      – Et qui vous dit, Musdoemon, qu'il est pour moi?

      – Et pour qui donc? s'écrièrent à la fois Musdoemon et la comtesse, qui jusqu'alors avait écouté en silence, mais à qui les paroles du lieutenant venaient de rappeler Ordener.

      Frédéric allait répondre et préparait déjà un récit piquant de la scène nocturne de la veille, quand le silence prescrit par la loi courtoise lui revint à l'esprit et changea sa gaieté en embarras.

      – Ma foi, dit-il, je ne sais pour qui… mais… quelque rustaud, peut-être… quelque vassal....

      – Quelque soldat de la garnison? dit Musdoemon en éclatant de rire.

      – Quoi, mon fils! s'écriait de son côté la comtesse, vous êtes sûr qu'elle aime un paysan, un vassal?

      – Quel bonheur si vous en étiez sûr!

      – Eh! sans doute, j'en suis sûr. Ce n'est point un soldat de la garnison, ajouta le lieutenant d'un air piqué. Mais je suis assez sûr de ce que je dis pour vous prier, ma mère, d'abréger mon très inutile exil dans ce maudit château.

      Le visage de la comtesse s'était éclairci en apprenant la chute de la jeune fille. L'empressement d'Ordener Guldenlew à se rendre à Munckholm se présenta alors à son esprit sous des couleurs toutes différentes. Elle en fit les honneurs à son fils.

      – Vous nous donnerez tout à l'heure, Frédéric, des détails sur les amours d'Éthel Schumacker; ils ne m'étonnent pas, fille de rustre ne peut aimer qu'un rustre. En attendant, ne maudissez pas ce château qui vous a procuré hier l'honneur de voir certain personnage faire les premières démarches pour vous connaître.

      – Comment! ma mère, dit le lieutenant ouvrant les yeux,– quel personnage?

      – Trêve de plaisanteries, mon fils. Personne ne vous a-t-il rendu visite hier? Vous voyez que je suis instruite.

      – Ma foi, mieux que moi, ma mère. Du diable si j'ai vu hier autre visage que les mascarons placés sous les corniches de ces vieilles tours!

      – Comment, Frédéric, vous n'avez vu personne?

      – Personne, ma mère, en vérité!

      Frédéric, en omettant son antagoniste du donjon, obéissait à la loi du silence; et d'ailleurs ce manant pouvait-il compter pour quelqu'un?

      – Quoi! dit la mère, le fils du vice-roi n'est pas allé hier soir à Munckholm?

      Le lieutenant éclata de rire.

      – Le fils du vice-roi! En vérité, ma mère, vous rêvez ou vous raillez.

      – Ni l'un ni l'autre, mon fils. Qui donc était hier de garde?

      – Moi-même, ma mère.

      – Et vous n'avez point vu le baron Ordener?

      – Eh non, répéta le lieutenant.

      – Mais songez, mon fils, qu'il a pu entrer incognito, que vous ne l'avez jamais vu, ayant été élevé à Copenhague tandis qu'on relevait à Drontheim; songez à ce qu'on dit de ses caprices, du vagabondage de ses idées. Êtes-vous sûr, mon fils, de n'avoir vu personne?

      Frédéric hésita un instant.

      – Non, s'écria-t-il, personne! je ne puis dire autre chose.

      – En ce cas, reprit la comtesse, le baron n'est sans doute pas allé à Munckholm.

      Musdoemon, d'abord surpris comme Frédéric, avait tout écouté attentivement. Il interrompit la comtesse.

      – Noble dame, permettez.– Seigneur Frédéric, quel est, de grâce, le nom du vassal aimé de la fille de Schumacker?

      Il répéta sa question; car Frédéric, qui depuis quelques moments était devenu pensif, ne l'avait pas entendue.

      – Je l'ignore.... ou plutôt.... Oui, je l'ignore.

      – Et comment, seigneur, savez-vous qu'elle aime un vassal?

      – L'ai-je dit? un vassal? Eh bien! oui, un vassal.

      L'embarras de la position du lieutenant s'accroissait. Cet interrogatoire, les idées qu'il faisait naître en lui, l'obligation de se taire, le jetaient dans un trouble dont il craignait de n'être plus maître.

      – Par ma foi, sire Musdoemon, et vous, ma noble mère, si la manie d'interroger est à la mode, amusez-vous à vous interroger tous deux. Pour moi, je n'ai rien de plus à vous dire.

      Et, ouvrant brusquement la porte, il disparut, les laissant plongés dans un abîme de conjectures. Il descendit précipitamment dans la cour, car il entendait la voix de Musdoemon qui le rappelait.

      Il remonta à cheval, et se dirigea vers le port, d'où il voulait se rembarquer pour Munckholm, pensant y trouver peut-être encore l'étranger qui jetait dans de profondes réflexions l'un des plus frivoles cerveaux d'une des plus frivoles capitales.

      – Si


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